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Dan Le Sac vs Scroobius Pip - Logic of Chance

vendredi 19 mars 2010, par Laurent

Calcul de probabilités


Il y a deux ans de cela, à quelques cacahuètes près, Scroobius Pip faisait subir au hip-hop une nouvelle mutation génétique. Posant son flow intello et flegmatique sur les beats électro de son comparse Dan Le Sac, il rappait sur la vanité des idoles, la mort d’un comique sur scène ou le tableau périodique de Mendeleïev, et c’était éblouissant. La musique samplait Radiohead, variait savamment entre minimalisme et eurodance bourrine, chaque titre possédait un univers captivant tout en s’inscrivant avec limpidité dans le tout. Bref, c’est peu de dire que le duo avait d’emblée frappé un grand coup et qu’"Angles", à ce jour, reste un grand disque.

On s’attendait donc à les voir transformer l’essai en exploitant leur savoir-faire, mais ce "Logic of Chance" est, à ce titre, une vraie déception : ni les textes, ni les instrumentations n’ont capitalisé sur les vertus du passé, et les uns comme les autres ont un peu perdu de leur savoureuse originalité. La contribution de Dan Le Sac, en particulier, met des bâtons dans les roues de son compère et noie dans l’œuf ses velléités de prêcheur exorciste. Souvent proche d’une techno braillarde à la germaine, sa musique réduit parfois tout bonnement Scroobius Pip à un rôle de chauffeur de salle, de G.O. pour clubs méditerranéens (écouter à ce sujet l’insoutenable The Beat, rencontre foireuse entre Mr Oizo et un télévangéliste). Au niveau des thèmes, on remarque que les textes sont davantage politisés (le très rentre-dedans Great Britain, qui égrène des statistiques sur la criminalité juvénile, ou le prêchi-prêcha citoyen de Stake a Claim) mais peu atteignent la profondeur intimiste d’anciens faits d’armes tels qu’Angles ou The Magician’s Assistant.

Par moments cependant, la formule fonctionne, de façon bancale : si on se sent d’humeur, on trouvera ainsi à la rythmique dubstep de Sick Tonight une certaine force de persuasion, et le single Get Better, qui doit beaucoup à LCD Soundystem, devrait logiquement convertir les fans de James Murphy. Mais ce qui sauve réellement la mise, c’est l’alternance – insuffisante – de moments moins radicaux. Le down-tempo poisseux de Five Minutes, par exemple, a nettement plus de classe que ce Snob à gros sabots. Les deux morceaux renouent avec la verve narrative du premier opus en multipliant les points de vue de leurs personnages-héros ; mais tandis que l’un privilégie une introspection sinueuse, l’autre joue la carte du beat de luna park et se révèle en fin de compte assommant : comme Corinne Charby, « j’me sens comme une boule de flipper… qui roule… qui roule… ».

On pense souvent à Dizzee Rascal, pour cette tendance inexorable à basculer vers un hip-hop forain, qui sent un peu trop le croustillon pour donner envie d’aimer. Même chose pour les couplets de Cauliflower, hantés par l’esprit de 2 Unlimited mais fort judicieusement ponctués par une valse synthétique qui rehausse le niveau. Curieusement, c’est une certaine Kid A qui est au chant sur le refrain en question, mais elle est plus proche d’une Lily Allen réincarnée en diva R’n’B que d’une laborantine qui se réveille en suçant du citron (comprenne qui pourra). À l’inverse, c’est plutôt Dan Le Sac qui évite le naufrage à Inert ExplosionsI : sa construction simple mais envoûtante détourne heureusement l’attention des consternants lyrics que Scroobius Pip a dû pondre en se préparant un bolo.

Mention honorable également pour la soul robotique de Last Train Home, et son clin d’oeil rigolo à Amy Winehouse, ainsi que pour la relecture du Cowboy de Kid Carpet (devenu Cowboi). Sosie vocal de Jamie T, le kid cachetonne ici aussi sur le refrain, et permet au duo de conclure son album sur une note plus positive, tant par le message d’espoir véhiculé par cette vignette en forme de conte urbain que par son instrumentation apaisée. Ça ne suffira pas à faire de ce second album une œuvre remarquable, aussi on ne saurait trop recommander au néophyte d’aborder Pip & Le Sac par le commencement. La « logique de la chance », en effet, est peut-être celle qui a fait de leur premier album une réussite due au hasard, et rend utopique la baraka du sans-faute. Espérons donc que la probabilité rendra, à la suite attendue de leur parcours, l’éclat aléatoire de ses débuts.


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