Accueil > Critiques > 2010

Liars - Sisterworld

lundi 22 mars 2010, par Laurent

Sans merci


Le plus gros bobard que ces Liars pourraient inventer, ils le proféreront le jour où ils se prétendront rangés des voitures. Après quatre disques qui n’ont jamais démenti la totale insoumission présidant à leur carrière, ils reviennent en cherchant à faire croire qu’ils se sont assagis. Façon de parler : "Sisterworld" commence en effet par un gospel morbide, une complainte charognarde qui exhale le sang et l’autoflagellation, mais vous serre le corps à votre cœur défendant. Le morceau s’appelle Scissor et porte bien son nom, s’écartant d’abord largement pour laisser pénétrer l’espace, avant d’abattre sans sommation ses lames impitoyables. C’est alors une décharge de rage qui vient lacérer l’éther, comme on s’en prend à l’innocence pour mieux montrer qu’on ne plaisante pas.

Et la musique des Liars, on le sait, est sans merci. Sa diffusion à un public croissant n’a jamais été la marque d’une concession d’aucune sorte, mais bien celle d’une maîtrise grandissante de leur son. Si, du propre aveu du groupe, ce cinquième chapitre répond directement à l’esprit instinctif de "They Were Wrong, So We Drowned", deuxième effort animal sorti en 2004, on peut estimer d’autre part que "Sisterworld" s’inscrit en droite ligne dans la continuité d’une discographie toujours un peu plus tournée vers la lumière – même si on ne parle pas forcément des projecteurs. Ce n’est pas évident de prime abord, mais force est de reconnaître à ces compositions, même les plus hermétiques, une réelle limpidité.

Les violons lancinants de No Barrier Fun ou les arabesques grunge de Here Comes All the People, à condition qu’on se donne la peine de les mériter, en feraient presque des chansons affables – et c’est tout à l’honneur des Liars, dont le travail de réalisation est ici remarquable. L’instrumentation s’est étoffée, peut-être à l’initiative du producteur Tom Biller, et on sent que ce n’est jamais au détriment de l’intention. Un titre comme Scarecrows on a Killer Slant, par exemple, gagne à hurler ainsi son agressivité en dehors du garage, ce qui lui évite d’être bêtement agaçant. Quant à Goodnight Everything, il parvient à se révéler extrêmement pesant – trombone et basson n’y sont pas étrangers – là où d’autres se contenteraient d’être juste patauds.

Cependant, l’album délaisse quelque peu la furie – n’en déplaise à The Overachievers, cavalcade brute de décoffrage, ou à cette autre explosion tribale sur I Still Can See an Outside World – car comme chacun le sait, rien ne sert de s’agiter quand on s’enlise dans la bourbe. Et "Sisterworld" voit les Américains s’enfoncer dans un univers plus vaseux, moins brûlant que par le passé mais toujours aussi résolument malsain. Ainsi Drip ou Drop Dead achèvent-ils la métamorphose des Liars en zombies. Des zombies diurnes, comme en atteste l’extraordinaire Proud Evolution, dont le mantra fait figure de pendant lumineux au The Gloaming de Radiohead. Pas étonnant dès lors qu’ils aient demandé à Thom Yorke de remixer ce morceau sur le disque bonus qui garnit l’édition limitée de "Sisterworld".

Et même si le propos n’est pas ici de la chroniquer, signalons tout de même que cette seconde rondelle, grâce notamment aux contributions des Melvins, de Devendra Banhart ou encore de Kazu Makino (Blonde Redhead), propose une version revue et corrigée de chaque titre de l’album et atteint un niveau de réussite rarement approché par ce genre d’exercice. Si en plus, la bande à Angus Andrew pousse le bouchon jusqu’à multiplier le plaisir par deux, que voulez-vous demander de plus à ce disque ambitieux, racé et indomptable ? Qu’il soit d’ores et déjà considéré comme le meilleur de leur discographie, un sommet qu’ils ne parviendront plus à égaler dans le futur ? Si les Liars vous l’affirment, dites-vous bien que c’est un gros bobard...


Répondre à cet article

4 Messages

  • Trounce - The Seven Crowns

    Partons du principe que vous êtes aussi béotien.ne que moi. Le blast-beat est une technique de batterie qui superpose des doubles croches effectuées aux pieds et aux mains à un tempo élevé pour créer un mur du son. Bref, un hénaurme roulement de batterie supporte tous les morceaux, en permanence. Comme une fin de morceau épique qui durerait 44 minutes. A l’instar d’une plongée dans de l’eau un peu (...)

  • Evangelista - In Animal Tongue

    Beauté monstrueuse
    Parmi les labels chouchous des amateurs d’indé exigeant, nul doute que la maison canadienne Constellation fait partie des mieux cotées, que ce soit pour sa contribution à l’envol du post-rock ou son intransigeance. Connue – façon de parler – pour être la première artiste allochtone à s’y faire embaucher pour un CDI, Carla Bozulich s’est depuis lancée dans une pléthore de projets dont (...)

  • Wu Lyf - Go Tell Fire to the Mountain

    Much ado about nothing
    On va tout de suite se calmer. Dans une première moitié de 2011 qui proclame davantage la bonne forme des talents confirmés qu’elle ne révèle de nouvelles têtes essentielles, le premier album de Wu Lyf était attendu comme le messie par une horde de zombies en manque de chair fraîche et prêts à enfoncer des portes (ouvertes) au premier murmure de la hype. Ça, pour sûr, (...)

  • Faust - Something Dirty

    Canal historique
    Des guitares zèbrent le ciel, le clavier tombe en pluie, une voix perce le brouillard. Vous l’aurez remarqué, la météo n’est pas au beau fixe et les amateurs de cartes postales ne sont pas à la fête. I Lost The Signal propose ainsi pour un blues ralenti et tendu un peu inquiétant par la voix vénéneuse de Géraldine Swayne. Something Dirty ménage d’autres surprises, comme son introduction (...)