Accueil > Critiques > 2010

The Daredevil Christopher Wright - In Deference to a Broken Back

vendredi 7 mai 2010, par Laurent

Le groupe qui tombe à pic ?


Quoi de plus hospitalier qu’un disque sur l’hôpital ? Plusieurs artistes se sont déjà frottés à l’exercice de la chronique clinique, tantôt descente aux enfers pour une maladie en phase terminale, tantôt récit d’une rédemption sur le lit de mort. Disques de deuil d’avant le deuil – comme celui que Rufus Wainwright signait récemment – ces albums de fins de vie partagent à tout le moins une gravité souvent très digne et la beauté qui sublime les douleurs sincères. Pas forcément aussi ampoulés que, au hasard, un disque de divorce ou un plaidoyer pour l’amour universel, ils rappellent donc que l’acceptation n’est pas toujours lâche et qu’un combat peut être résigné.

Chercher des références en la matière nous amènera immanquablement à parler du dernier Antlers (“Hospice”) ou d’un vieux Eels (“Electro-Shock Blues”). Pour la démarche, sans doute. Mais à l’écoute du premier effort de ce trio du Wisconsin – dont aucun membre ne s’appelle Christopher – on pense pour la forme à l’album que les Islandais de Hjaltalín ont publié il y a un peu plus d’un an. Même richesse mélodique, même parfum floral – et pas seulement celui des chrysanthèmes.

Faut-il y voir une façon d’exorciser les traumatismes vécus par le groupe ? Une volonté de dédramatiser ce qui, pour d’autres, frôlerait l’indicible ? Toujours est-il que les morceaux aux titres les plus plombés (A Conversation About Cancer, A Near Death Experience at Sea...) sont aussi les plus enlevés. Ailleurs, le tempo est plutôt lent et le ton, régulièrement élégiaque. Mais avec une légèreté bienvenue dans le traitement, soutenue par des arrangements très aérés : wurlitzer, violon, flûte, tambourin, sifflements,... que du rustique, du frais, du délicat, histoire de rappeler que les hôpitaux de campagne sentent décidément moins le formol que ceux de la grande ville.

On se rapproche vraiment – même si en un chouïa moins bien – des baleines bleues de l’indie rock champêtre, Noah & the Whale et les Freelance Whales, dont ce “In Deference to a Broken Back” emprunte les vagues à l’âme sans les transformer en larmes de fond. Il est vrai qu’il est plus facile de contenir ses sanglots quand on sait prendre de la distance. « Jesus took you home / I saw it all on television » seront ainsi les derniers mots de l’album. Auparavant, The Daredevil Christopher Wright n’aura pas tant joué les casse-cou que les funambules, dans un barnum de clowns tristes (Acceptable Loss), sur la corde raide de Girizzly Bear (We’re Not Friends) ou des montagnes russes qui alternent le dessous et l’au-delà des nuages (Clouds).

Il y a aussi cette magnifique comptine qui porte le nom du groupe, et qu’il faut jouer comme berceuse aux petits garçons aux ambitions cascadeuses (« What a shame, what a shame / We’ll never see that man again / He was attempting his longest jump yet / But there was such a wind today / That it blew his life away »). Dans la pléthore apparemment sans fond des petits groupes à chérir discrètement, je ne pourrais dire si Christopher Wright est vraiment l’homme qui tombe à pic. Mais le saut périlleux qu’il tente, à chaque nouvelle écoute, entre affliction et allégresse, est indéniablement réussi.


P.-S.

Le nouvel album de Hjaltalín nous arrive par ailleurs incessamment et s’intitulera... Terminal ! Encore un disque gai luron en perspective. Et, en toute logique, une critique à suivre...

Répondre à cet article

6 Messages

  • Xiu Xiu - Ignore Grief

    Si on a depuis toujours associé Xiu Xiu à la personnalité hors-normes de Jamie Stewart, on sait que la place d’Angela Seo est centrale. Le caractère de duo est maintenant encore mieux établi, la parité étant assurée au chant. Mais n’attendez pas de changement de cap, la flippante musique de Xiu Xiu garde tout son mystère.
    Cet Ignore Grief n’a pas la flamboyance electro de certains essais antérieurs. Il (...)

  • Nicholas Merz - American Classic

    Il faut parfois le recul de plusieurs albums pour qu’on voie vraiment la personnalité d’un artiste émerger. Après un album de Darto et un troisième exercice solo, on peut commencer à cerner Nicholas Merz. On avait tout de suite remarqué sa belle voix grave et elle est logiquement toujours là.
    On commence bien avec The Dixon Deal et ce montage en étranges couches dont certaines sont volontairement (...)

  • The Coral Sea - Golden Planet Sky

    J’ai fréquenté la beauté/Je n’en ai rien gardé
    Si Jean-Louis Murat parle pour lui, on peut pour notre part témoigner qu’on n’a jamais oublié la beauté qui sourdait des albums de Rey Villalobos en tant que House of Wolves. Il a fallu une mise en lumière de l’indispensable Laurent pour qu’on se rende compte qu’il officiait maintenant en tant que The Coral Sea. Et constater par ailleurs que l’album qui était (...)

  • Will Sheff - Nothing Special

    On peut toujours se demander ce qui pousse des artistes a priori seuls maitres à bord de leur formation à vouloir se lancer dans l’exercice solo. On sait depuis toujours qu’Okkervil River, c’est Will Sheff et les musiciens avec qui il a envie de travailler. Lui qui avait annoncé Okkervil River R.I.P. sur l’album Away (qui du reste n’est pas le dernier) semble maintenant faire de cette déclaration une (...)