samedi 7 août 2010, par
Banlieue favorisée
Publier un article sur un album d’Arcade Fire, c’est par essence se tromper, être partiel, partial et étriqué. Et puis dans six mois seulement on aura eu le temps nécessaire pour que tout percole. A ce stade-ci, je ne fais que soupçonner tout ce que pourra m’apporter Deep Blue, lui qui m’a plu toujours plus à chaque écoute. Mais il faut pourtant publier cet article qui ne me fera peut-être pas honneur une fois la patine du temps installée. Commenter dans l’instantané des œuvres qui vont durer et évoluer, c’est un risque au quotidien de notre hobby.
Je préfère évidemment prendre les albums comme ils viennent, pas par petits bouts sortis de leur contexte. Ce picorement était assez peu flatteur pour les morceaux de Neon Bible. Mais bon, il existe des singles annonciateurs et ils sont faits pour ça. En écoutant Pure Fm un peu par hasard, je me faisais la réflexion qu’un morceau génial comme Rebellion avait quand même fait de pâles émules. Ce n’est qu’après que j’ai reconnu We Were Waiting. Prenez ça pour du pessimisme si vous voulez, mais c’était mal barré. Pourtant, replacé dans cette banlieue pas si désolée, il ne dépare pas l’ensemble. C’est donc d’un album complet dont nous allons parler.
Je m’apprêtais à passer par les cinq phases de deuil. Le déni tout d’abord, et presque un refus d’écouter les morceaux. La colère ensuite d’entendre que certains morceaux n’étaient peut-être pas dignes du souvenir qu’on a de leurs auteurs. Marchandage peut-être ensuite en triant ce qui plait tout de suite de ce qui assurera des transitions. Je dois bien dire que la dépression n’est pas venue, et je ne compte pas m’en plaindre. Et puis il y eut l’acceptation qu’il ne faudra plus compter sur eux pour reproduire le choc de Funeral et que ce n’est pas nécessairement plus mal. On a capté leur humeur, on a suffisamment l’impression de les connaître pour que la connivence se rétablisse. Ce n’est pas donc le virage abrupt que d’autres ont pris et nous on perdu.
Le cap du troisième album est souvent crucial, surtout s’il est négocié par un des grands groupes de l’époque. Parce qu’en deux albums marquants, ils ont créé autour d’eux un vrai enthousiasme, et nous ne sommes pas les derniers à nous enflammer. Et puis il y a tellement de groupes « font » du Arcade Fire qu’il est bon de temps en temps de remettre les pendules à l’heure. Mais il faut le dire, si tous les groupes influencés (voir l’hilarante liste de Laurent) ont toute notre sympathie, et ont produit des albums qui nous ont plu, on a souvent l’impression que seuls les Montréalais possédaient le souffle supérieur. N’essayez pas de réécouter le pourtant très bon Luna de Fanfarlo après ceci, l’exercice serait décevant.
Après un album sur la perte (Funeral) et un habité par la peur (Neon Bible), The Suburbs parle comme on s’y attend de banlieue, ce qui leur permet au passage de limiter leur aspect de Famille Adams, de s’assurer un changement de cap réussi, et de se renouveler de façon crédible sans se renier. Remarquons que les sujets des concept-albums sont rarement glamour sur le papier. Seuls les Decemberists semblent attirés par les thèmes plus poétiques (et ça ne leur a pas vraiment réussi). La banlieue dans l’acception américaine n’évoque pas la même violence que chez nos amis français. Il faut avoir vu ces paquets maisonnettes souvent en bois s’étaler sur des superficies insensées pour capter l’ennui, la vie qui s’écoule ni pénible ni excitante. On sent ce désoeuvrement sur un Wasted Hours (Wasted hours before we knew/Where to go and what to do). Bruce Springsteen est une référence souvent brandie par les détracteurs, par dérision souvent, comme un épouvantail à railleries. Replacé correctement, cette comparaison prend maintenant tout son sens. Le natif du New Jersey a comme peu su capter ce que c’est de vivre dans ces villes qui n’en sont pas. Et puis il y a les épiques War ou Born To Run qu’il a commis il y a maintenant trente ans qui peuvent servir de matrice.
Cet album a comme les précédents un agencement très étudié, avec ses plages de repos, ses moments de paroxysme, ce qui rend le début moins palpitant. The Suburbs est assez anodin dans son genre, pas très spectaculaire, passe-partout, de ces morceaux bien fichus, carrés mais qui ne vous font pas tourner le bouton du volume vers le haut. Il faut le voir comme une introduction en douceur. D’ailleurs c’est le second titre qui affirme qu’ils sont Ready To Start et convoquent même leurs grandes orgues pour ramener à eux les auditeurs. Avec Modern Man cependant, on réalise que les choses sérieuses attendent un peu. Pourtant il est là le cœur de l’album, dans les morceaux qui ne resteront pas comme des collecteurs d’étoiles mais cimentent les albums bien faits comme celui-ci. Parce que s’il est envisageable de picorer et de trier ses morceaux préférés, c’est en tant qu’album compact que The Suburbs est impressionnant, parce qu’aucun morceau n’est à négliger. Et quand on soupçonne un Suburban War de manque de souffle, une variation qui ramène à Black Wave/Bad Variations.
C’est que la volonté de grandiose ne les a pas déserté, ce dont témoigne une de leurs têtes de gondole comme Half Light I qui nous rappelle que pour les pour les arrangements de cordes, et on sait à quel point ils sont importants, on retrouve le petit génie Owen Pallett à la manœuvre. C’est loin d’être une surprise, certes, mais on le sent spécialement sur le son de l’intro d’Empty Room.
Pourquoi aimer chez Arcade Fire ce qui m’irrite beaucoup chez Muse ou Killers ? Question d’origine peut-être, de progression de carrière, d’émotion qu’on ressent encore pour eux alors que les deux exemples cités m’évoquent plus de railleries que d’admiration. Cependant, les incursions des québécois dans un son plus synthétique le temps d’un Half Light II ne m’ont pas convaincu qu’il fallait chasser sur le terrain de Coldplay. Et puis on ne les aime peut-être pas au point de leur passer les synthés années ’80 de la seconde partie de Sprawl II. C’est sur ce morceau qu’on se réveille et qu’un esprit critique jusque là un peu mis sous l’éteignoir vient nous souffler que c’est de très mauvais goût.
Regine Chassagne n’est tout de même pas une interprète banale, et on peut mollement déplorer qu’elle chante moins qu’auparavant. Mais Win Buttler semble plus à son affaire que jamais, distillant une intensité qu’il arrive à parfaitement moduler sans tomber dans la geignardise ni la performance. Il y a toujours une intensité sous-jacente chez eux, qui vient à la fois des individualités et de leur cohésion qu’on a toujours perçu.
Autre phénomène curieux, c’est de la musique de grands espaces, donc qui a plus d’intérêt et dévoile plus de richesses à volume plus élevé. C’est rarement poussé à ce point. Cette sensation d’intimité d’un Half Light I alors qu’on a sorti les grandes orgues, c’est aussi un signe qui compte. On sait que nce n’est plus un groupe qu’on garde jalousement mais qu’il faut supporter de les voir s’exposer à une incompréhension normale. Mais on ne leur a pas tourné le dos et ils ne se sont pas détournés de nous.
Arcade Fire est un grand groupe. Et à ce titre a livré un album de grand groupe. Ce qui ne veut nullement dire qu’il est passionnant de bout en bout, que du contraire même. Mais ils sont dépositaires d’un souffle supérieur, d’une ampleur que rien ne semble pouvoir contrarier. Et si en ce moment je n’ai pas encore trouvé de successeurs à leurs géniaux morceaux des deux premiers albums, je sais que cet album grandira. Eux aussi.
Bon, maintenant, je peux aller lire la prometteuse critique de Benjamin de playlistsociety
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