mercredi 4 août 2010, par
Beauté changeante
Parfois, les intentions d’un artiste peuvent laisser perplexe, auquel cas il n’y a sans doute rien d’autre à faire que s’en remettre tout entier à son art, indépendamment du contexte qui le sous-tend ou du parcours qui l’explique. Et l’art de Jason Lytle, ancien orfèvre barbu de Grandaddy, c’est celui du contre-emploi troublant, de la poésie inattendue. Avec son groupe ou en solo, l’homme s’est révélé (p)artisan de l’incroyable, bricoleur de lumière, rafistoleur d’éther. On n’a jamais su par quelle magie Lytle parvenait à créer tant de jolies choses en associant vieux synthés et guitares bûcheronnes ; une science quasi occulte du songwriting qui faisait miraculeusement tenir ses morceaux debout par la grâce si improbable d’une voix d’ange enrhumé.
Dieu ! qu’on a pu errer dans cet univers bâtard, mêlant pour le meilleur contes de fées cybérnétiques, technologie rétro et blessures aériennes ! que cet organe impossible a pu nous terrasser d’effets secondaires, jusque sur les disques des autres ! Alors on a pu comprendre que, démotivé sans doute par une impopularité toujours plus injuste, Lytle ait dissout son groupe après de superbes adieux. Et on a tout à fait adhéré à “Yours Truly, the Commuter”, disque solo prévisible mais inespéré, qui sanctifiait de pur génie dix années au service de la beauté.
En revanche, on ne peut se départir du sentiment de frustration qui nous agite les oreilles face à ce nouveau projet collectif. Frustration, car “I Heart California” est un album proprement excellent, et que les compositions atteignent sans problème le niveau de perfection bancale auquel Jason Lytle nous a habitués... sauf qu’il commet ici l’impensable, l’impardonnable : il partage le micro ! Aussi, c’est le même goût amer de trop peu qui nous assaille chaque fois qu’un titre à l’univers si reconnaissable se retrouve chanté par un autre.
L’autre, c’est surtout Aaron Espinoza, membre pourtant talentueux d’Earlimart mais dont la voix, d’une désolante platitude, rappelle que son ancien groupe manquait d’arguments pour rivaliser avec Grandaddy et ramène, ici, chacune de ses interprétations sur le plancher des vaches. Passe encore que d’honnêtes ballades comme Lonesome Co. ou Chingas in the West passent sans susciter un frisson ; mais quelle déception lorsque l’affront doit être essuyé par une composition de l’envergure de Ghosts of Syllables, véritable fulgurance mélodique que Lytle aurait transcendé et transformé en classique avec autant d’aisance qu’on souffle dans un cerceau pour créer des bulles de savon.
Ailleurs, la sauce prend malgré tout : sur Ending of Me, un solo déjanté fait intelligemment diversion avant que le brûlot ne se métamorphose en aubade ; quant I’m All Fucked on Beer, la voix y est si filtrée et le rythme si infernal qu’on a depuis longtemps troqué son cœur d’artichaut contre une paire de pieds surexcités, rendant vaine toute considération esthétique. L’harmonie est cependant bien au programme de The Thread, fredonnée par l’autre ex-Earlimart Ariana Murray, qui en fait une comptine rétro tout à fait charmante. Du reste, on aura compris que ce sont les morceaux chantés par Jason Lytle qui récoltent les plus beaux fruits.
Comme de coutume, le natif de Modesto évolue entre élégies boiteuses (Red Curbs, I Heart California), tubes portatifs intemporels (Sunburn Kids) et épopées de série B (GNDN). Toutes sont de vraies réussites, suaves garanties d’un talent resté intact, bouleversantes promesses d’autres futurs grands moments. Et puis, comme pour mieux sacrer son curieux changement de cap, Lytle délaisse sa fébrilité nasillarde sur le poignant finale I Left U Cuz I Luft U, où sa voix semble tout faire pour garder ses distances, refuser l’implication émotionnelle, presque au point de justifier les infidélités qui ont précédé durant trois quarts d’heure.
Si l’avenir de Lytle semble donc bien équivoque, concentrons-nous à tout le moins sur nos rares certitudes : le génie est toujours là, la voix suit son chemin, et le Californien est décidément un des plus grands songwriters de notre génération. La confidentialité incompréhensible à laquelle il s’est retrouvé condamné n’aura quant à elle, semble-t-il, de cesse de creuser l’écart entre justice méritée et triste réalité. On continuera de compter sur lui pour nous donner de temps à autre des nouvelles de son univers parallèle où rien n’est ordre ni luxe, rarement calme et volupté mais où tout, absolument tout, est beauté. Dommage qu’il ne s’y abandonne plus que par tournantes.
Difficile de revenir après plusieurs années d’absence, surtout si on était associé à un courant qui s’est un peu éteint. C’est en effet dans la vague freak-folk, mêlant écriture et musique aérienne et organique à la fois qu’on avait placé DM Stith. Avec son pote Sufjan Stevens ou autres Grizzly Bear, il était même un des plus éminents représentants de ce style qui nous a valu bien du plaisir.
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