vendredi 20 août 2010, par
La sourdine de l’habitude
À entendre le joyeux foutoir qui préside à nombre de galettes d’indie nord-américain, on s’imagine fatalement avoir affaire à autant de bande d’amis perpétuant les préceptes hippies, vivant et jouant entassés, les cœurs gonflés d’illusions et les zygomatiques en hypertension. Et si l’illusion était en réalité l’apanage de l’auditeur ? Si, contre toute attente, il y avait derrière ce capharnaüm organisé une authentique vision de l’harmonie voire, plus pessimiste, une visée stratégique ? À tant se ressembler, les univers de ces innombrables combos finissent par se confondre, comme d’anciens camarades de classe abandonnent leur singularités d’adolescents en s’immergeant dans le moule unique du père de famille. Quelle que soit la force de caractère d’un personnage, que reste-t-il de son aura lorsque mille acteurs ont joué son rôle avec le même talent ? Le plaisir, sans doute, sera d’apprécier les infimes variations qu’en proposera chaque interprétation, de redécouvrir chaque fois ce qu’on a aimé, et pourquoi.
Aussi, quand les clapotis béats de Boyfriends semblent trop évidents pour rester spontanés, on adopte d’abord une suspicion qui relève de la paranoïa. A feeling of déjà-vu, comme ils disent : ces gens veulent nous refaire « le » coup, ça commence à bien faire. Mais les Secret Cities viennent de Fargo, Dakota du Nord – cette bourgade dont les frères Coen n’ont plus à montrer les trompeuses apparences. Leurs chansons sont plus tortueuses qu’il n’y paraît et la farandole de seconde main peut se muer en paysage inédit. Indéniablement, stratégie il y a : presque cynique dans sa visibilité, plutôt éthique dans son programme – faire de nous des victimes consentantes. C’est encore le syndrome de Stockholm qui opère, mêlé à une forme rare de gratitude. Oui, on voudrait remercier Secret Cities parce qu’en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, on pensait révolu le genre où ils excellent. Au même titre que les Suckers, voilà pourtant des gens capables de signer des morceaux passionnants sans la moindre idée nouvelle.
Il y a deux ans – probablement moins – on aurait voulu les encenser ; mais comme disait Samuel Beckett, « l’habitude est une grande sourdine » et en l’occurrence, rien ne distingue “Pink Graffiti” : les chansons ne sont ni plus intenses que chez les Freelance Whales, ni plus poignantes que celles de Fanfarlo, et si leur construction est intelligente, on réservera pour d’autres le champ lexical du génie. Toutefois, en brassant avec fluidité ces vertus cardinales – force, beauté, sagesse – les Secret Cities cisèlent un disque impeccable, où tout n’est pas que sifflotements contagieux et chœurs juvéniles : il y a aussi de vraies envolées épiques, sans cordes (Aw Rats, Pink Graffiti part 1) ou avec (Slacker), la ritournelle pop parfaite que personne n’arrive à pondre en l’absence de Belle & Sebastian (Color), et même un clin d’œil à l’electro-pop eighties pas moins crédible que sur le dernier Arcade Fire (Pink Graffiti part 1). En plus, la chanson la plus rouée du lot s’appelle Vamos a la Playa et on devrait déjà en savoir gré au groupe, rien que parce que ce n’est pas une reprise du tube de Righeira.
Alors, pourquoi tant d’ingratitude à l’égard d’un album auquel rien ne semble manquer ? Pourquoi seulement s’embarrasser d’un contexte, ne pas faire fi des comparaisons pour considérer la musique dans ce qu’elle a d’intemporel ? Si vous y parvenez, bénis soyez-vous ; mais l’humble auteur de ces lignes ne peut, quant à lui, envisager toute forme d’art affranchie de son immatriculation culturelle. De même que l’histoire littéraire négligera toujours la poésie du XVIIIe siècle, les nouvelles années 10 omettront d’être propices à ce rock qui se voudrait encore chercheur à l’heure où tous ont déjà trouvé. Douloureux paradoxe : bien qu’il ne sonne ni ne risque un jour de sonner daté, “Pink Graffiti” apporte la preuve cruelle qu’il ne suffit pas de sortir un bon album... encore faut-il le sortir au bon moment.
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