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Big Boi - Sir Luscious Left Foot

samedi 4 septembre 2010, par Laurent

Appel à témoins


Sur ce coup-là, j’aurais bien besoin de votre participation. Vous vous dites peut-être que ça tombe mal étant donné que vous vous apprêtez à lire la critique d’un album hip-hop et que justement, c’est pas tous les jours sur Esprits Critiques. Mais n’y voyez aucune causalité. Plus généralement, j’ai constaté ces derniers temps la récurrence d’un phénomène qui chatouille ma perplexité. Vous commencez à me connaître. Ou pas. Bref, il y a entre loi des séries et « tendance » un pas que je m’empresse parfois trop tôt de franchir.

La tendance en question – ou la troublante coïncidence, c’est selon – consiste à sortir des disques à moitié bons – c’est mon côté « verre mi plein » – et ne rien faire pour s’en cacher. J’en veux pour preuve pléthore de récentes sorties qui démarrent sur les chapeaux de roue, chargées de belles promesses qui s’estompent au mitan de l’album. Quand, comme moi, on achète parfois sa came sur foi d’une semi-écoute enthousiasmante au casque du disquaire, il y a de quoi bouder.

N’avez-vous pas remarqué, vous aussi, combien certains albums tels les derniers Autolux, Klaxons, Sleepy Sun, ou encore les nouveaux venus Everything Everything, pouvaient être divisés en deux parts égales – la première tournant à plein régime, la seconde à vide ? Pour m’en donner le cœur net, prière de bien vouloir remplir le formulaire ci-dessous. L’enquête est anonyme et sans obligation d’achat.

1) Avez-vous noté une tendance, chez certains artistes d’aujourd’hui, à griller leurs cartouches en première partie d’album pour distiller du remplissage dans la seconde ?

a) C’est flagrant, vous n’inventez pas l’eau chaude dites donc !

b) Ah... maintenant que vous le dites... je me disais aussi...

c) Absolument pas. Venez en au fait, mon vieux !

Si votre réponse est ‘c’, passez tout de suite à la chronique. Sinon, répondez à la question 2.

2) Avez-vous des exemples frais à nous faire partager ?

a) Mais pas de problème : (complétez)

b) Non, pas le temps là.

En vous remerciant, bonsoir.

Et Big Boi dans tout ça ? Eh bien vous aurez compris que cette escapade solo de la... moitié d’Outkast – ceci explique peut-être cela – fait partie de ces disques qui s’annoncent comme des tueries, tiennent le cap un bon moment – jusqu’au 8e ou 9e titre, l’album en compte 15 – puis s’essoufflent faute d’idées. Et pourtant, l’homme qui a chapeauté les fulgurants débuts de Janelle Monáe n’en manque pas. Il faut déjà lui savoir gré d’adopter un format pop (la plupart des morceaux font moins de 4 minutes, en éliminant les inévitables et inutiles skits) et de sortir des sentiers battus du genre, ce qu’il a toujours fait d’ailleurs.

Ainsi, l’intro vocodée Feel Me aurait servi de fer de lance à bien des rappeurs sans imagination mais se réduit ici à un court prélude avant une avalanche de bombes sonores. Armé d’un flow élégant, épaulé par le scratching tonitruant de DJ Cutmaster Swift, Big Boi déboule en force sur Daddy Fat Sax et met les points sur quelques ‘i’. Pas pour autant en reste quand il s’agit de chiller, il se pose avec classe sur le jazzy Turns Me On, le génial Tangerine et sa guitare ivre morte, ou le r’n’b très potable de Hustle Blood. Dernier single en date, Follow Us ne bénéficie pas du carnet d’adresses blanc d’un Jay-Z ou d’un Kanye West : tout le monde n’a pas la chance de manger du civet de chevreuil chez Chris Martin le dimanche. Toutefois, Vonnegutt – qui ça ? – s’acquitte de sa tâche sur un refrain qui tache et ça passe comme une lettre à la poste.

Mais rien ne prépare à l’enchaînement énorme de Shutterbug, monstrueuse déflagration discoïde, puis de General Patton, un rap martial comme Eminem n’arrive plus à en faire. Ça ne réinvente pas le hip-hop, mais Big Boi n’est pas loin de s’y coller sur You Ain’t No DJ, la faute à le production chirurgicale de son yang André 3000. Preuve supplémentaire que Big Boi reste le parent pauvre d’Outkast ? Disons que jusque-là, il avait toutes les cartes en main pour s’affranchir définitivement de ce pesant a priori. Mais comme j’ai noyé d’emblée tout suspense, vous savez déjà qu’un glissement de terrain va faire déraper “Sir Luscious Left Foot” vers des sphères moins enviables.

Ça commence avec le longuet Be Still, relevé par le chant envoûtant de la protégée Janelle Monáe mais pas à la hauteur de son – pour rappel – formidable album. À la limite, plus les invités sont prestigieux (George Clinton, le très à la mode B.o.B.), moins les formes y sont – et la forme non plus. Il reste bien Shine Blockas et un morceau de clôture (Back Up Plan) tout à fait classieux, mais le mal est fait : à force de briller, Big Boi rend le moindre écart impardonnable et “Sir Luscious Left Foot” ne parvient pas à masquer ses faiblesses du fait de son tracklisting mal achalandé.

Dommage, car on n’est pas passé loin de l’album hip-hop de l’année. Ah, si plus de rappeurs pouvaient retenir la leçon des derniers Kanye West et sortir des albums courts, on n’en serait pas là, à se désoler qu’une œuvre remarquable soit... à moitié ratée – c’est mon côté « verre mi vide ».


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