Accueil > Critiques > 2010

Robyn - Body Talk parts 1 & 2

dimanche 19 septembre 2010, par Laurent

Hypoglycémie


L’été touche à sa fin et, tout au long de cette torride saison favorable à l’explosion des sens, à l’ivresse et à la sueur épicée, on a trop souvent erré dans les méandres de quelques disques dépressifs – la liste est trop longue – alors que tout aurait dû nous inciter à célébrer une certaine pop hédoniste, taillée pour les rougeurs solaires. C’est que, comme évoqué çà et , on a longtemps cherché une bande-son digne à la fois de la torpeur des canicules et du goût sucré de la pastèque. Le sucre n’a pas manqué mais soit trop écœurant, soit trop dilué, il ne nous a pas irrigué les veines comme notre organisme le réclame chaque année à la même époque.

Souffrant d’hypoglycémie musicale, on allait donc accueillir le retour de l’automne en étouffant nos carences sous les feuilles mortes, inapte à réaliser que l’album pop de 2010 était là depuis un moment et n’attendait que d’être complété. Distincts mais rassemblés sous un même titre, tel un cycle romanesque qui chercherait à dire toutes les nuances de la relation au corps, les deux “Body Talk” apparaissent à présent comme une évidence. Deux disques courts de huit titres pour lesquels on refuse de convoquer le terme galvaudé de « mini-albums », et qui promeuvent Robyn au rang qui lui revient : celui de vraie diva pop de notre génération, moins concernée par sa propre mystique visuelle (prends ça, Lady Gaga) que par le souci de briser toute résistance de la part des corps adverses.

On se pique souvent d’évoquer, comme un authentique critère de talent, la propension de certains artistes à proposer continuellement le même morceau sans parvenir à lasser. Ce qui vaut pour le rock mancunien ou le folk texan s’applique aussi à la synth-pop stockholmoise : chaque plage du diptyque, ou à peu près, semble proposer une variation du tube dansant absolu, même si de temps à autre, une réussite plus éclatante émerge (Dancing On My Own et Hang With Me, respectivement les singles monstrueux de chaque volet). Car quand la Suédoise monte au charbon, tous les coups sont permis pour forcer le pas de danse.

Inutile de lutter, la tactique est constante et les armes redoutables : un Pygmalion bien rodé (Klas Åhlund, déjà fournisseur de classiques chez la Britney), une voix invulnérable, et cet humour discret mais grinçant qui fait défaut à ses congénères américaines, plus enclines au surlignage et aux poses potaches. En version no bullshit, des morceaux tels que Don’t Fuckin’ Tell Me What to Do ou U Should Know Better – où le featuring de Snoop Dogg sonne nettement moins grotesque que chez Katy Perry – tapent dans le mille avec une ironie futée. « Konichiwa bitches ! » comme elle le chantait à l’époque – et le parodie ici en ouverture du rouleau-compresseur In My Eyes.

Entre quelques frivolités toujours délectables (Fembot, Love Kills, Dancehall Queen), Robyn et ses producteurs – ne parlons pas d’armada, on n’est pas chez Madonna – peuvent parfois aussi mettre leur savoir-faire au service d’une électro plus radicale. We Dance to the Beat sonne comme la rencontre de Simian Mobile Disco et The Knife et, au corps-à-corps avec Röyksopp, None of Dem plonge dans une deep house claire-obscure propice aux sueurs froides. C’est dans ce sens du contraste que Robyn maintient l’équilibre, capable de captiver y compris sur la longueur d’une écoute consécutive des deux volets.

En témoigne la partie sensible mise à l’honneur sur deux plages dépouillées. Ainsi, tout comme la version acoustique de Hang With Me sur le volume 1 annonçait le tube électro-pop du numéro 2, la version acoustique d’Indestructible fait office de bande-annonce haletante pour la suite de ce qui, dès le début, a été décrit comme une trilogie. Nouveau single monstrueux en vue, donc, pour une artiste qui ajoute, à sa science de la chanson parfaite, l’art de maîtriser ses effets. Il n’y aura finalement pas un meilleur disque pop de 2010, mais trois, et on risque bien de les consommer sans modération. C’est l’hyperglycémie qui guette.


Répondre à cet article

  • Florent Brack - Faces

    On l’avoue, on reçoit beaucoup de musique et vu la relative étroitesse des styles défendus ici, le tri est souvent vite fait. Et puis quand on écoute certains artistes à la marge de nos goûts, il se peut qu’on soit intrigués et que le contact se fasse. C’est ce qui s’est fait avec Florent Brack et le son d’Unstoppable qui claque. Une relative déconnexion de la vraie vie m’a tenu à l’écart des (…)

  • Part-Time Friends - Weddings and Funerals

    Non, ce n’est jamais la qualité moyenne d’un album pop qui frappe (sauf si elle est exceptionnellement élevée), on revient toujours sur un album pour les morceaux qui nous ont marqués, surtout en matière de musique pop. Même Si fait partie de ces morceaux immédiatement sympathiques, catchy en diable et confirme aussi une tendance très actuelle de mêler titres en français et en anglais, comme (…)

  • Isaac Delusion - Uplifters

    C’est la basse qui tient l’avant-scène de Fancy, qui lance cet album et cette pop tristoune comme on l’aime fonctionne en plein. Elle a aussi le mérite d’énoncer clairement les intentions de l’album puisqu’on dénote un virage plus synthétique pour la formation française, plus solaire aussi sans doute.
    Ce qui nous vaut un album moins éclectique que par le passé mais pas uniforme pour autant. (…)

  • Say Lou Lou - Immortelle

    On avait déjà été séduits par la pop sucrée mais pas trop du duo. Les jumelles Miranda et Elektra Kilbey sont les filles de Steve Kilbey (de The Church) et de la musicienne suédoise Karin Jansson. The Church, d’ailleurs, est surtout connu pour Under The Milky Way, composé par les deux parents. On retrouve sur ce court album une version trop enrobée qui n’a pas la beauté de l’original. On (…)

  • Ladytron - Time’s Arrow

    Il ne faudra pas beaucoup de temps pour renouer avec Ladytron, quelques secondes ont suffi pour que cette voix et son écho qui maintient un peu de mystère reviennent avec leur charriot de souvenirs (c’est comme un charriot de desserts mais plus nostalgique).
    C’est leur ADN, leur marque de fabrique depuis qu’ils ont émergé avec l’electroclash. On ne s’étonnera donc pas de retrouver des sons (…)

  • Marie Davidson - Working Class Woman

    Vous avez peut-être déjà entendu parler de Marie Davidson en tant que moitié du duo darkwave Essaie Pas qui nous plait beaucoup ici. Ceci est son premier album sur Ninja Tune, son quatrième en tout et s’il pourra plaire sans souci aux amateurs de la formation de base, il a suffisamment de spécificité pour s’imposer de lui-même.
    Comme pour Essaie Pas, on est un peu dans la queue de comète (…)

  • DJ Shadow - The Less You Know, the Better

    Au plus que, au mieux que
    « Here we are now at the middle. More and more, I have the feeling that we are getting nowhere. Slowly, we are getting nowhere... and that is a pleasure. » Voilà par quel soliloque DJ Shadow scinde les deux faces de son nouvel album, entre une première moitié relativement déroutante et une seconde nettement plus familière. Décidément insaisissable, Josh Davis n’a (…)

  • Rafale - Obsessions

    Melting-pot daté
    C’est rarement le cas, mais le producteur de ce premier album des Français de Rafale m’est mieux connu que les deux autres protagonistes Julien Henry et Marc Aumont. Arnaud Rebotini est en effet connu aussi bien pour son travail avec Black Strobe que pour ses œuvres solo ; j’avoue être plus familier du groupe, pas toujours d’une subtilité folle, mais qui reste amusant sur (…)