Accueil > Critiques > 2010

Deerhunter - Halcyon Digest

mercredi 6 octobre 2010, par marc

Plaisir de tête


On peut tout remettre en question, et rien n’est plus dangereux que l’unanimité, mais Deerhunter est sans conteste un des groupes les plus passionnants de notre époque. Pourtant après Cryptograms, rien ne laissait présager la formidable trajectoire de Deerhunter. Si l’hypnose était là, elle renvoyait plus volontiers à Joy Division, au krautrock et à Jesus And The Mary Chain. On a apprécié d’autant mieux qu’ils élargissent leur univers sur le brillant Microcastle et l’impatience était grande au moment de découvrir ce dernier album.

La pop rêveuse et éthérée, en général, ça consiste à empiler des mélodies naïves et rudimentaires avec un son qui remplit le reste. Ce mélange de facilité pop et de son complexe n’est pas neuf, et compte de fameux pionniers comme le Velvet Underground et Jesus & Mary Chain, voire Sonic Youth. Malheureusement, ces deux exemples brillants ont donné naissance à une myriade de suiveurs qui ne sont pas tous à la hauteur. Ils sont des milliers à tenter des morceaux évidents comme Don’t Cry. Parce que les sorciers du son, qu’on voit partout parce qu’on est peu de public pour plein de groupes, regorgent d’idées de production mais ne sont pas tous des songwriters hors pair (de Julian Lynch à Woods en passant par Women). Cette remarque pourrait paraître mesquine, mais c’est aussi en voyant que cette fluidité de Deerhunter est absente de bien d’autres formations qu’on apprécie leur facilité.

On l’apprécie d’ailleurs plus d’un point de vue intellectuel que physique. Par exemple, quand j’écoute Shearwater, ce que je ressens ne me laisse pas le temps de me dire que c’est bien fait. Ici, je trouve un plaisir évident à constater que ce décalage volontaire entre des morceaux facile d’accès et une structure sonore complexe en fait un mélange réussi. A ce propos, j’ai déjà eu l’occasion de le dire mais je le répète, je préfère de loin Deerhunter aux exercices solo de Bradford Cox en tant qu’Atlas Sounds.

Dans ce contexte mid-tempo, la relative flamboyance de Memory Boy vient à point. Fermez les yeux et imaginez à quel point ce morceau aurait pu être composé pour des groupes aussi éloignés que Belle And Sebastian ou Essex Green. On pourrait aussi tourner au morceau brillant mais soporifique à la Engineers (je pense à Desire lines s’il était ralenti un minimum). He Would Have Laughed lorgnerait plutôt du côté de Caribou qui se serait rangé des baguettes. Faire monter une ambiance en neige, profiter de ce son vaporeux pour que le brouillard se transforme en averse, c’est un des sortilèges utilisés sur Earthquake. Au passage, cet album est comme chaque fois chez eux impeccablement agencé.

C’est indéniable quand on les a vus sur scène, Deerhunter c’est Bradford Cox et des musiciens plus ou moins concernés. Sur scène d’ailleurs apparaît aussi leur aspect brut de décoffrage, qu’on ne peut souvent que deviner sur album. Surtout que ces stries électriques sont bien moins présentes sur cet Alcyon Digest. Quoiqu’on sente tout le potentiel de dérive sonore de Desire Lines.

Plaisir plus intellectuel que véritablement charnel, Deerhunter vient de réussir ce que n’arrivent à faire que les grands artistes, à savoir rester intéressants en évoluant. L’évolution va vers un son plus fluide, vers une fusion toujours plus complète entre l’écriture et ce son et place cet album dans les hauts faits de l’année, même si je dois avouer qu’il suscite pour moi plus d’admiration que de frissons.

L’avis de Mmarsupilami

    Article Ecrit par marc

Répondre à cet article

3 Messages

  • Deerhunter - Halcyon Digest 6 octobre 2010 10:54, par mmarsupilami

    Après maintes écoutes, je dirais que ce que tu décris là s’inscrit parfaitement dans un tiroir fraîchement créé par mes soins, celui de la "Pop intransigeante". Je veux dire par là qu’il y a d’une part ceux pour lesquels "pop" et "pute" sont synonymes et d’autre part ceux qui ont une forme de grâce (essentiellement due à leur talent de composition, je crois) qui leur permet d’être addictifs en deux écoutes sans nécessairement passer par la case "Concessions".

    Avis tout-à-fait personnel, il manque quelque chose pour en faire un moment réellement très marquant. Autrement dit, pour moi, c’est quatre étoiles, pas quatre et demi. Et toi, qu’en penses-tu ?

    Merci pour le lien, pour ce qui n’était qu’un micro-avis. J’ai moi-même linké...

    repondre message

  • Deerhunter - Halcyon Digest 7 octobre 2010 12:02, par Benjamin F

    Je n’ai pas encore compris Deerhunter. Je ne dis "pas encore" car en lisant tes articles et ceux des autres, je sais qu’il y a quelque chose à y comprendre. Un jour peut-être.

    (C’est chouette votre nouveau système de commentaire avec la possibilité de mettre le lien vers son site ; il manquerait plus que l’on puisse s’abonner aux commentaires^^)

    Voir en ligne : http://www.playlistsociety.fr/

    repondre message

    • Deerhunter - Halcyon Digest 7 octobre 2010 12:42, par Marc

      @Mmarsupilami

      Pop ne veut pas nécessairement dire neu-neu, mais rarement un mot n’a caché autant de sens différents voire carrément contradictoires. Chez la bande à Bradford Cax, la performance consiste à être sympathique dès la première écoute, à ne pas se sentir contraint à faire un effort d’écoute.
      Ensuite, c’est vrai, il manque peut-être un morceau vraiment supérieur, vraiment addictif (comme l’étaient Cryptograms ou Nothing Ever Happened). On est exigeants quand même...

      @Benjamin F

      Bah, il n’y a peut-être pas tant à comprendre. Deerhunter n’est pas une société secrète non plus. Mais comme les amateurs ont tendance à s’étendre dans la glose, l’effet est peut-être de penser qu’il y a quelque chose à chercher.

      Un fil de commentaires ? je pense qu’on a eu ça à un moment... A vérifier avec Fred qui sait ce genre de choses...

      repondre message

  • HEALTH - RAT WARS

    Même après des années passées à autre chose (des musiques de film, des versions disco), la puissance de feu d’HEALTH a laissé une trace manifeste. Mais il a fallu un rabatteur de qualité pour qu’on ne passe pas à côté de cet album. Le souvenir bien qu’ancien était toujours cuisant et on retrouve le trio avec un plaisir certain.
    Ils ont collaboré avec Nine Inch Nails ou Xiu Xiu et ces cousinages semblent (...)

  • Beirut – Hadsel

    Bien honnêtement, quand on a découvert Beirut en 2006, on ne se doutait pas qu’on allait suivre le jeune Zach Condon pendant plus de 17 ans. Cette musique fortement influencée par les fanfares balkaniques a suscité d’emblée l’intérêt mais le procédé semblait trop étriqué pour s’inscrire dans la longueur. On avait tort, forcément, et ceci en est un nouveau rappel.
    En première écoute, ce Hadsel est plutôt en (...)

  • Animal Collective – Isn’t It Now ?

    A une époque où la modernité n’est plus une vertu cardinale, il peut être étonnant de retrouver cette conjonction de talents (Avey Tare, Panda Bear, Deakin et Geologist) aussi en forme après près d’un quart de siècle d’existence. Avec Time Skiffs, on pouvait clairement parler d’une nouvelle période pour le groupe, un revirement vers plus de musique ‘figurative’ par opposition aux brillants collages (...)

  • Caleb Nichols - Let’s Look Back

    L’artiste qui aura fait le plus parler de lui en 16 mois est un prix qui ne rapporte rien sinon des critiques multiples et sans doute un peu de confusion de la part d’un lectorat débordé. Bref, après avoir pris congé de Soft People, l’actif Caleb nous a donné un album un opéra rock Beatles queer puis deux EP qui mélangeaient chansons et poèmes autour du personnage semi-autobiographique de Chantal. Sa (...)