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Cee Lo Green - The Lady Killer

lundi 22 novembre 2010, par Laurent

Crac-boum-hue


Ne soyons pas bégueules : Fuck You, le gros carton de la rentrée, est un des meilleurs singles de l’année. Beaucoup moins niais que le tube du même nom chanté par Lily Allen, nettement plus chaleureux que l’invective lancée auparavant par Archive, le majeur tendu de Cee Lo Green possède l’élégance des grands classiques Stax et chercher à y résister relèverait de la pire mauvaise foi. Ce qui, en revanche, ne manquera pas d’alimenter le moulin des esprits chagrins, c’est que la version édulcorée qui martèle encore et toujours les ondes s’intitule Forget You et qu’elle a été préférée en plage 3 de l’album, quand l’originale se voit reléguée en bonus track. Bon, les listes d’écoutes sont faites pour pallier ce genre d’ineptie, mais ça gâche tout de même le plaisir du format physique. Quitte à placer un joli sticker pour avertir du contenu explicite, autant se montrer explicite en plage 3.

Mais commençons par le commencement. « Hello there. My name is... not important. » Ainsi se présente, sur fond de thème jamesbondien enfumé et jazzy, celui qui a déjà sorti deux efforts solo restés presque anonymes mais que la terre entière reconnaît comme la voix de Gnarls Barkley depuis l’adoubement Crazy. Profil bas ou, a contrario, revendication implicite d’un statut de superstar dont il sera difficile d’abdiquer au vu des perles qu’enfile “The Lady Killer” comme si c’était tous les jours dimanche ?

D’emblée, les cordes somptueuses qui satinent le très synthétique Bright Lights Bigger City – énième variation sur le mythique You Only Live Twice de John Barry – montrent en tout cas que le Géorgien a mis les petits plats dans les grands. Volontairement ou non, Cee Lo Green se donne du mal pour prouver que son compère Danger Mouse n’a jamais été la seule tête pensante de Gnarls Barkley. Entouré par une jolie brochette de producteurs, il offre un disque d’une appréciable variété, parfois un rien impersonnel mais toujours relevé par sa voix d’or et ouvertement tourné vers son côté piège à filles : vous savez, ce piège tabou, ce joujou extra qui fait crac-boum-hue.

En Barry White gonflé à l’hélium, il faut bien dire que l’homme vert a aussi de quoi faire craquer les garçons. Une jolie dose de doo-wop fier à bras (Satisfied, Cry Baby), des indices de soul rétro-futuriste (Wildflower) et un duo particulièrement savoureux de blues malsain avec la Duffy des Flandres, j’ai nommé : Selah Sue (Please). C’est clairement dans son côté obscur qu’on préfère le soulman poupin ; Bodies est le titre qui incarne le mieux ici, et avec une immense classe, le penchant connu de Cee Lo Green pour les couplets pessimistes et les histoires sordides : la confession d’un assassin sur fond de basses sensuelles et de soupirs tendus, une bande-son de film noir joué par des noirs.

Tout cela sonne à la fois vintage et moderne, comme ce Old Fashioned qui porte trop bien son nom de par le tribut évident qu’il paie au r’n’b guimauve des années 50, et qui se révèle évidemment comme une jolie prouesse de producteur, moins artificielle pourtant que les travaux d’un Mark Ronson. Si tous les morceaux ne sont pas de l’acabit du tube qui le porte à bouts de bras, “The Lady Killer” reste donc un album fort réussi dans un genre qui a connu d’autres francs succès en 2010. Ni le plus authentique, ni le plus novateur, il confirme à tout le moins l’excellente santé d’une musique séculaire mais toujours excitante ; l’âme, après tout, est censée être éternelle.


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