jeudi 10 février 2011, par
Le charme du contre-emploi
« On appelle une musique expérimentale quand l’expérimentation a raté ». Cette phrase magnifique m’a souvent aidé à appréhender certains groupes qui soumettent à l’écoute des brouillons inaboutis qui n’ont aucun intérêt intrinsèque mais qui peuvent avoir servi de rampe de lancement à des choses plus matures. Mais ici, l’aspect jusqu’au-boutiste est indispensable. Parce que la crainte maladive de prendre l’auditeur à rebrousse-poil peut amener à faire des compromis qui rendent la démarche moins passionnante.
Commençons donc par situer cet album, étrange objet à la base puisqu’il est la bande-son d’un spectacle (pas vu malheureusement), donc qui court le risque d’être un peu vide une fois que l’aspect visuel est éludé. Eh bien non, l’album a le bon goût d’être d’une cohérence remarquable.
La porte d’entrée, qui donne son nom à l’album, est une reprise d’un antique morceau (1957, à l’échelle du rock…) de Bo Diddley qui a déjà fait les belles heures d’artistes aussi expérimentaux que les Everly Brothers, Sonny and Cher ou les Wings. Quand comme moi on ignore ce détail, le morceau en question entre tout à fait dans la tonalité générale de l’album, à la fois proche et un peu froide, et qui connaît bien des déclinaisons ici. Des chœurs un peu désincarnés, une rythmique tout en allusions, et une mélodie intemporelle remplissent l’espace sonore. On retrouve ce charme vénéneux sur le final Beyond The Roof Of The Jungle, avec en sus un côté Tv On The Radio en plus inquiétant.
Dans les mélanges de feu et de glace, difficile de ne pas penser au Kills sur The Night Of No Revenge. Mais au lieu des boites à rythmes et des guitares garage du duo Anglo-américain, on retrouve une ambiance moins poisseuse mais plus industrielle, plus froide. La voix masculine peut d’ailleurs évoquer certains Bauhaus récents par son occasionnelle affectation. Parlons-en d’ailleurs de cette voix, qui est une des bonnes surprises de l’album. Un peu distanciée (j’ai parfois pensé à Alan Vega), maitrisée, c’est pourtant la première fois que Yannick Franck s’en sert puisque renseignements pris, il pratique plutôt avec son groupe Y.E.R.M.O et son label Idiosyncratics un drone (instrumental donc) assez sombre. On en retrouve d’ailleurs des traces au détour de Miracles
Mais ses talents ne s’arrêtent visiblement pas là puisqu’il y a des correspondances entre la musique et la photo, Pristina (Fading Faces) étant inspiré de son travail fait à Pristina. Autre surprise (décidément), son comparse musical est François Gustin est aussi membre des Tellers et Hallo Kosmo, sympathiques formations peu connues pour leurs audaces formelles.
Un musicien en contre-emploi et un chanteur occasionnel ont donc ensemble livré une bande-son attachante, à préconiser à tout esprit curieux qui dans les années ’80 préfèrent aux synthés kitsch l’intensité industrielle de Front 242 (Pressure) ou Einsturzende Neubauten. Si cette musique n’est que le pan auditif d’un projet plus global, il peut aisément s’isoler de son contexte pour constituer la bonne surprise belge de ce début d’année.
Ca s’écoute et se commande ici
http://www.spankmemore.com/
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