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The Streets - Computers and Blues

samedi 26 février 2011, par Laurent

Pot de départ


C’est presque un devoir de conscience : refuser de passer sous silence cet album sous prétexte que tout le monde croit l’avoir déjà entendu. Annoncé depuis le déluge comme le testament de The Streets, “Computers & Blues” a chatouillé les disques durs il y a près d’un an dans une version embryonnaire. En fait des morceaux lâchés au compte-goutte via Twitter, rassemblés de façon plus ou moins douteuse par les fans et dont ne subsistent ici que deux ou trois titres hors du lot. Du coup, à présent que le véritable album pare les têtes de gondole londoniennes, personne ou presque sur le continent n’a l’air de vouloir mesurer l’événement à sa première chemise.

Il faut dire que ce désintérêt généralisé pour les vignettes de Mike Skinner ne date pas d’hier. Le nom même de The Streets semblait galvaudé depuis “The Hardest Way to Make an Easy Living”, album cynique mais lucide, bien éloigné en tout cas des immeubles sociaux qui ornaient la pochette d’“Original Pirate Material”. Celle de ce cinquième et dernier chapitre boucle la boucle façon épanadiplose, même si on se doute que l’appart éclairé de rouge n’est vraisemblablement plus meublé pareil. Skinner n’a pas changé les règles de son storytelling, toujours aussi vivant et imagé, mais s’est trouvé entre-temps de nouvelles préoccupations.

Alors qu’est-ce qui a changé, en dix ans, dans le quotidien de la jeunesse britonne ? Pas grand-chose, sinon que les geezers en quête de sensations qui glandaient hier entre la PS2 et le fish ’n’ chips dépriment aujourd’hui sur les réseaux sociaux. Désemparée par le trop-plein technologique, la génération Facebook n’a manifestement enfanté que des handicapés de la communication (OMG). L’accent cockney toujours appuyé, Skinner raisonne en adulescent sur la complexité des relations (Puzzled by People) et l’immense solitude qu’elle induit : « Loving isn’t easy, you can’t google the solution to people’s feelings. »

Faisant écho au titre du disque, la musique s’est elle-même muée en hip-hop pixellisé (Outside Inside). Autant “Everything Is Borrowed” se voulait totalement bio, l’escapade organique d’un gavroche embourgeoisé, autant “Computers & Blues” s’attache à remettre la société urbaine au centre des débats, avec en ligne de mire l’informatisation du monde et ses dérives (Roof of Your Car) mais aussi l’esprit de quartier dans ce qu’il a de plus intemporel (Soldiers). Au fond, les sujets traités l’étant peu ou prou chaque fois avec un léger excès de pathos, on s’empressera de remarquer que le grand absent du disque, c’est avant tout l’humour.

Bon, d’accord, certaines réflexions font parfois sourire et la légèreté n’est pas absente de titres comme Going Through Hell – en compagnie du leader de feu The Music – ou l’efficace deux-temps de Trying to Kill M.E. qui voit Skinner assumer son immaturité chronique. Mais quand il tente de retrouver le génie d’une grande chanson de rupture comme Dry Your Eyes, ses virages pop-rock font vite retomber le soufflé (We Can Never Be Friends). On le préférera alors en futur père inquiet, constatant qu’une série de pixels peut aussi ébaucher à l’occasion quelques esquisses de vie, et rendre bien concrets les fantasmes qu’elle projette (Blip on a Screen).

En dépit d’un éclat très relatif, “Computers & Blues” ne manque pas de moments stimulants. ABC est une de ces parenthèses dub garage d’une minute comme Skinner les affectionnait à l’époque de Sharp Darts, un exercice de style speedé qui joue habilement avec l’alphabet ; Those That Don’t Know déroule un funk roublard mais attachant de maladresse ; quant à Without Thinking, son beat festif devrait fournir quelques joyeuses envolées lors des concerts d’adieu. Le pompon revient sans doute à Trust Me, connu depuis la version 1.0 mais raboté ici d’un bon tiers, soit deux minutes où un Earth Wind & Fire pitché croise le fer avec les ambassadeurs du slang.

Et Mike Skinner de clôturer une décennie d’aventure comme on envisage une reconversion professionnelle, rangeant ses cartons avant le pot de départ : « I’m packing up my desk, I’ve put it into boxes. Knock out the lights, lock the locks and leave. » Décidé à ne pas répéter le même taf toute sa vie, l’Anglais s’arrête à temps et tire sa révérence sur un disque pas plus crucial que déshonorant, bien meilleur en tout cas que les deux qui l’ont précédé. S’il a sacrifié sa jeunesse dans les rues (« I’ve gambled on too many bets, I lost it all too this life. »), il sait sans doute déjà quelle nouvelle vie l’attend (« Fall down five times, rise six ! »). On ira certainement l’y visiter. Thank you for the good times, mate !

Certains préféreront peut-être la mixtape complémentaire “Cyberspace & Reds” en écoute un peu partout comme ici.


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