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Papa Dada - Brick After Brick

mercredi 6 avril 2011, par Laurent

Robinsons


Une brique après l’autre, on bâtit sa propre église, comme on pave des meilleures intentions le chemin qu’on voudrait voir mener à l’amour des autres. En architecte rêveur, on élève l’édifice qui accueillera les fidèles et on le fait sans plan, juste avec des envies. Or plus la bâtisse caresse les nuages, et plus on se prend à l’imaginer autre, à revoir la disposition des arcades, à mesurer ses ambitions à sa technique. Pourtant les fondations sont là, comme des racines impossibles à renier. C’est sur des ruines romanes que s’élèvent tant de cathédrales gothiques, portant ce lourd passé autant qu’elles sont portées par lui.

De même, le premier album de Papa Dada ne pouvait faire l’impasse sur ses lointaines origines, oublier ses pétillants débuts de machine à bulles, caution de concerts vécus d’abord comme des farandoles foutraques. Cette nostalgie fait à la fois sa grande faiblesse et le plus sûr gage de son honnêteté. Car entre le trio jovial qui a remporté le Concours Circuit en 2008 et cet empilage de briques russes, le trajet parcouru se mesure, de toute évidence, à la maturité des compositions plus amères auxquelles le groupe a ouvert son répertoire. On se retrouve dès lors en présence d’un de ces typiques premiers albums autant chargés de défauts que de promesses, de ceux auxquels on sera ravi d’avoir réservé une place douillette dans sa discothèque quand la suite des événements nous présentera un groupe sûr de son fait.

En attendant, on le sent, Papa Dada intègre, à son premier effort sur la durée, des titres présents sur ses précédents EP’s autoproduits sans parvenir à les faire sonner comme des versions définitives. Sans doute parce qu’une bagatelle comme le rigolo Heb Jij Mijn Kat Gezien ? est avant tout destinée à rester un porte-étendard scénique, ou que les succulents Silverscreen et Art Gallery frôlent l’infraction pour excès de vitesse. Jouées une petite dizaine de BPM trop haut, elles enchanteront ceux qui consomment leur pop-rock à toute berzingue mais joueront les parties immergées de l’iceberg pour les autres, ceux qui auront compris que le premier argument de Papa Dada réside, à n’en pas douter, dans ses collusions jazzy.

Basé sur un schéma musical inhabituel de ce côté de la frontière radiophonique – piano, basse, batterie, pas de six-cordes – le trio bruxellois a presque trop logiquement été comparé aux Ben Folds Five... qui, rappelons-le à toute fin utile, étaient également trois. Si, dans l’utilisation judicieuse qu’il fait de sa section rythmique – régulièrement mise en avant pour claquer simple et funky – Papa Dada ne vole pas toujours l’amalgame, il se distingue plus nettement par ses incursions sur le terrain balisé mais décomplexé du jazz de piano-bar. Ainsi Blind Date introduit-il le disque en chatouillant l’ivoire avant de dérouler un subtil solo cuivré ; plus loin, l’excellent That’s My Understanding creuse le sillon en payant son tribut à Chet Baker. Entre les deux, il y a Do I Do et ses accents de Lady Madonna version adulescente, mais surtout The Dead of the Night, chanson tout en affût où le groupe se tapit dans l’ombre pour mieux fondre gueule ouverte dans la lumière.

La musicalité du groupe, riche et d’une rare acuité, est assurément d’un cru supérieur. Une affaire de gourmet. Cette précision dans l’exécution sert de contrepoint à la voix particulièrement typée de John Janssens, qu’on rangera pour faire vite dans la catégorie parfois mal-aimée des organes nasillards. Associé à un doigté pianistique classieux, ce timbre haut perché donne pourtant à Papa Dada sa couleur et son identité, avec beaucoup d’élégance quand un Saturday conclut superbement l’album, mais aussi de façon moins heureuse sur We Are Drifting Apart, qui flirte avec l’horripilant malgré le jeu percussif contagieux d’Hubert Vandermeersch.

On préfère clairement la bande dans ses moments plus aventureux, comme quand Santa Maria balance un tango de club pirate et que, au toucher d’une guitare espagnole, Papa Dada se la joue latine. Julien Richez troque ensuite sa fuzz contre une contrebasse, et un discret mélodica vient pallier l’absence de bandonéon. Le côté fauché de la production, s’il peut être parfois confondu avec de l’amateurisme, révèle d’abord un groupe inventif, prêt à sortir de sa zone de confort avec les moyens du bord comme un combo de robinsons constructeurs. Ça donne alors un titre comme Dignitas, morceau-clé de l’album où Papa Dada explore sa part d’ombre sur une mélodie d’outre-tombe, toute pleine de... gravitas.

Réussissant ici ou là à sonner épique sans se croire Muse, faisant grand usage des chœurs sans se prendre pour les Beach Boys, sachant faire preuve d’exigence musicale sans nullement se prétendre expérimental, Papa Dada a tout du band-next-door plus doué que le peloton, et signe un coup d’essai passablement inégal de par sa volonté d’assumer d’où il vient. C’est en tout cas dans les indices qu’il livre sur la direction où il va que le groupe suscite une franche adhésion. Si l’on ne met guère plus les pieds dans les églises que pour en admirer les prouesses architecturales, on se verrait pourtant bien prier Papa Dada d’enregistrer au plus vite un second album sombre et audacieux, et que la messe soit dite. Une façon comme une autre d’apporter sa brique à l’édifice.


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