Accueil > Critiques > 2011

Alela Diane - Wild Divine

jeudi 14 avril 2011, par Laurent

Aveu de mortalité


Ah lala, Alela, qu’est-ce qui t’a pris de vouloir habiller tes chansons de velours et de satin, quand la nudité seyait si bien à leur galbe fauve ? Telle une sauvageonne fascinée par les manières de la ville, tu as civilisé ton art pour gagner ta place dans le grand monde. Mais de la haute, tu l’étais bien davantage quand tu laissais ton chant s’ébattre au gré des cascades ensoleillées de Nevada City. Aujourd’hui, entre les ombres de Portland, tu t’oublies pour de rire dans les penchants d’une zazou félidée.

Aller là, Alela, était peut-être la seule façon pour toi de ne pas tourner en rond comme une chatte aculée. Mais lorsque tu susurrais ces airs sans heurts, tu étais sans âge, aussi nébuleuse que les anges sont asexués. Désormais tes mélodies se sont vues nubiles, et elles ont choisi d’épouser cette batterie qui les retient sur la terre ferme, cet orgue qui leur maquille la peau, et toute cette électricité qui nous a volé tant d’idoles. Personne ne se sent trahi, tu sais, mais c’est que soudain tu nous apparais mortelle, laissant loin derrière toi l’image de ce mirage sublime à la jeunesse éternelle.

Alors là, Alela, il ne nous reste que ta voix pour croire encore à l’irréel. Et quand elle ne s’embarrasse presque pas d’oripeaux, quand tu oses la promener à l’air libre (Elijah, Rising Greatness), tu caresses à nouveau cette part d’innocence qui nous a fait croire si longtemps à ton immatérialité. Corps céleste, spectral, évanescent, tu évolues encore à dix coudées par-dessus monts et vaux. « I’m on the wind and I can’t go back, I am a dream on the wind. » Cette chanson fantôme, c’est toi, toi qui martèles des accords venus de nulle part.

Aliène-la, Alela, ton envie de mûrir : elle te rapproche de plus en plus sensiblement de la tradition des poétesses qui, de cités en campagnes, ouvrent leurs cœurs à plus vieux qu’elles. Tu aimes ton papa et partages tant avec lui : les jeux de cordes, l’écriture, l’ambiance des tournées… mais les goûts de sa génération ne seront jamais de ton âge. Car tu es une prêtresse, une voix de la nature, et ton existence ne peut tendre vers la consomption : elle se doit d’être cyclique, renaissance perpétuelle. Aléas, Alela, du feu magique qui dort en toi.

“At the end of the day
The song that I sing is the same
And then a year has been sung
A year is gone and I am older
But then I’ve never been so young anyway
O, I’ve never been so young anyway”


Répondre à cet article

8 Messages

  • Alela Diane - Wild Divine 14 avril 2011 15:39, par Joris

    Beau texte, et je suis d’accord sur le fond. Alela Diane reste charmante, rien que par sa voix, mais elle ne sonne plus aussi divine et intemporelle...

    repondre message

    • Alela Diane - Wild Divine 14 avril 2011 16:09, par Laurent

      Oui, la transformation, sans parler d’aseptisation, me fait un peu penser à ce qu’on a connu avec An Pierlé. Je m’entoure d’un groupe et hop, muselés mes instincts ! Divine je sais pas, mais sauvage certainement plus...

      repondre message

      • Alela Diane - Wild Divine 14 avril 2011 19:24, par le cousin de la reine de trêfle

        allez,à mon tour, j’en rajoute un peu : d’accord avec tous...cette batterie !
        petite mise au point, Laurent : une chatte acculée ne tourne JAMAIS en rond (un chat non plus) ;je le sais, j’en ai plusieurs ... bonsoir, tous

        repondre message

        • Alela Diane - Wild Divine 14 avril 2011 20:04, par Laurent

          Ah, zut... j’aurais dû réviser "30 Millions d’Amis" et tourner 7 fois sur un toit brûlant avant d’écrire... ;D

          Merci pour cette précision zoologique, je ne suis pas près d’oublier !

          repondre message

  • Alela Diane - Wild Divine 13 mai 2011 13:52, par Joelle

    Je suis complètement d’accord avec cette magnifique critique de Laurent : Avec ce 3me CD, en ajoutant cette maudite batterie qui nous scande le réel et toute cette électricité qui nous fait revenir à la modernité, Alela est en train de perdre son intemporalité et sa grâce. Mais bon, ce disque est quand même super car il y a quelques pépites : The wind, The rising greatness et peut être Adélaïde, chanson bonus qui n’est pas sur le CD mais qui parait il est superbe. Espèrons qu’elle revienne à l’épure de ces premières chansons dans ces prochains CD !

    repondre message

    • Alela Diane - Wild Divine 13 mai 2011 19:37, par Laurent

      Jamais entendu parler de cette Adelaide... merci pour l’info, j’investigue (et croise les doigts pour qu’il n’y ait pas de batterie ^^) !

      repondre message

  • Alela Diane - Wild Divine 15 mars 2012 17:42

    Cela a été un révélation, j’adore !
    Film porno

    repondre message

  • Bright Eyes - Five Dices All Threes

    Conor Oberst a aquis très tôt un statut culte, le genre dont il est compliqué de se dépêtrer. Lui qui se surprend ici à avoir vécu jusque 45 ans (il y est presque...) nous gratifie avec ses compagnons de route Mike Mogis et Nate Walcott d’un album qui suinte l’envie.
    Cette envie se retrouve notamment dans la mélodie très dylanienne d’El Capitan. On peut retrouver quelques préoccupations du (…)

  • Fink – Beauty In Your Wake

    Un écueil fréquent auquel se frottent les artistes à forte personnalité est la répétition. Quand on a un son bien défini, un univers particulier, les variations sont parfois trop subtiles pour être remarquées ou remarquables. Si vous avez écouté deux albums de Stereolab vous savez de quoi on veut parler. Si on identifie un morceau de Fink assez vite, il y a malgré tout suffisamment d’amplitude (…)

  • My Name Is Nobody - Merci Cheval

    La veille musicale est un engagement à temps plein. Une fois qu’on a aimé un.e artiste, il semble logique de suivre sa carrière. Pourtant il y a trop souvent des discontinuités. Mais il y a aussi des possibilités de se rattraper. La présence de Vincent Dupas au sein de Binidu dont l’intrigant album nous avait enchantés en était une. On apprend donc qu’il y avait eu un album en mars et (…)

  • The Decemberists – As It Ever Was So It Will Be Again

    Il y a quelque chose de frappant à voir des formations planter de très bons albums des décennies après leur pic de popularité. Six ans après I’ll Be Your Girl, celui-ci n’élude aucune des composantes de The Decemberists alors que par le passé ils semblaient privilégier une de leurs inclinations par album.
    On commence par un côté pop immédiat au très haut contenu mélodique. On a ça sur le (…)