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Séance de rattrapage n°1 - Rock

dimanche 1er mai 2011, par Laurent


Pour s’enfiler quelque chose d’un peu plus digeste le week-end, revenons sur quelques disques dont on n’a pas trouvé l’occasion de parler en long et en large. Du coup, autant en parler vite et bien, comme ça vous ne pourrez pas dire qu’on ne vous aura pas prévenus... Pour inaugurer cette séquence à suivre, une première salve de 10 albums rock avec ou sans supplément d’âme : à boire et à manger pour petits et grands, de 7 à 77 ans.


Bell X1 – Bloodless Coup


Déjà cinq albums au compteur pour les Irlandais ? Diantre que le temps passe vite... Le groupe dublinois fête ça en recrutant un cinquième membre et en synthétisant ses acquis : les bonnes idées (un songwriting ultrasensible et une interprétation habitée) comme les mauvaises (ces vaines touches électro qui ont gâté la seconde moitié de leur discographie). L’association marche parfois à merveille (Hey Ana Lena, Haloumi) mais, régulièrement, manque sa cible (Velcro sonne comme les Killers, Sugar High et Safer Than Love comme d’aberrants pastiches des Talking Heads). Si bien que, sans surprise, ce sont les moments où Bell X1 retrouve ses racines dépouillées qui distillent l’émotion la plus authentique, comme sur la ravissante Built to Last. Conçu pour durer, mais plus éternellement...


Blackfield – Welcome to My DNA


On prend si peu le temps d’en parler, tant le temps est une denrée précieuse ; et puis, aussi, parce qu’on préfère défendre une œuvre qui n’a pas encore rencontré son public que se complaire dans la critique négative, facile à lire, amusante à écrire, mais souvent vexante pour des fans prompts à vous traîner à leur tour dans la boue. Pourtant, on ne manque pas d’en écouter, des artistes qui nous donnent la nausée. Ainsi de Blackfield, nous conviant à croiser son ADN hérité en grande partie des caractères récessifs de James Blunt ; un groupe formé autour du leader de Porcupine Tree mais qui sonne, bien trop souvent, comme un mièvre troubadour maladroitement attifé de haillons indie-rock. Les fans, évidemment, nous diront qu’on n’y a strictement rien compris.


Cage the Elephant – Thank You, Happy Birthday


Une bande de délurés du Kentucky délivrent leur vision bariolée du rock alternatif : ça passe dans le désordre par Shellac (Sabertooth Tiger), Guided By Voices (Around My Head), les Melvins (Indy Kidz), Daniel Johnston (2024), Electric 6 (Always Something), Art Brut (Sell Yourself) et forcément beaucoup par les Pixies (Aberdeen et Shake Me Down, les deux tubes du disque). Occasionnellement capables de calmer le jeu avec le titre power-pop derrière lequel Yo La Tengo semble avoir couru toute sa vie (Right Before My Eyes) voire en faisant preuve d’une sensibilité à fleur de peau (Rubber Ball), ces pachydermes se montrent impossibles à encager et dévoilent à chaque titre l’étendue de leur talent. Purement jouissif.


Intergalactic Lovers – Greetings & Salutations


Ce qui surprend le plus à l’écoute du premier album d’Intergalactic Lovers, c’est d’apprendre après coup qu’il s’agit d’une formation belge. Rien en effet, dans le son de leur pop-rock biberonné aux héros anglo-saxons, ne semble trahir cette origine habituellement identifiable, y compris chez nos plus grandes gloires à l’export. Il en faudrait donc peu pour que le combo mené par la chanteuse Lara Chedraoui ne rejoigne incessamment ce club privilégié en faisant succomber son monde au-delà des frontières. Non pas qu’il propose des compositions plus renversantes que la moyenne, mais parce qu’il possède un flagrant potentiel de séduction de masse à la hauteur des Neko Case et autres Jenny Lewis. Bientôt dans ta TV, et même à la radio.


Le Prince Miiaou – Fill the Blank With Your Own Emptiness


Déjà trois albums que la multi-instrumentiste Maud-Elisa Mandeau joue les funambules entre talk-over symboliste et folle émancipation rock. Autoproduction oblige, la formule reste efficace mais ne semble pas près de s’enrichir. Mêmes guitares saignantes, mêmes fioritures discrètes, même prise de son décharnée pour une voix parfois éreintante. On y entend un peu de la sensualité d’Alison Mosshart, un peu de l’intransigeance de Scout Niblett, et une sincérité absolue dans la démarche pour un résultat exigeant – vis-à-vis de l’auditeur s’entend. Secoué par l’intensité quasi permanente de l’interprétation, on sait malgré tout que les écoutes répétées se verront récompensées par une fièvre authentique. La fièvre, ça fatigue mais c’est sain.


Noah & the Whale – Last Night on Earth


De son propre aveu, Charlie Fink espérait en secret que les auditeurs découvrant “Last Night on Earth” penseraient s’être trompés de disque. De fait, il n’y a pratiquement aucun rapport entre les orchestrations mirifiques de “First Days of Spring”, beau disque de rupture aux tons sépia, et l’électro-pop amère de ce déroutant recueil. Si l’album constitue sans peine le virage à 180 degrés de l’année, ses compositions aux allures de country-rock ricain noyé dans le fog londonien n’ont franchement pas grand-chose de bouleversant. Quelques refrains accrocheurs (L.I.F.E.G.O.E.S.O.N.) ne font pas toujours un grand disque, aussi on souhaite au groupe de trouver assez d’inconditionnels pour les suivre dans l’aventure. Vous aurez compris qu’ici, on aurait plutôt tendance à quitter le navire.


Peter, Björn & John – Gimme Some


Mine de rien, le trio suédois s’est bâti une solide réputation dans le microcosme indie-rock, et son quatrième album est amplement à même de la justifier. Court et percutant, “Gimme Some” enchaîne les mini-hits, guitares en avant toutes et grââl pop en ligne de mire. Esprit sixties de rigueur, même à l’occasion de rafraîchissantes escapades garage bouclées en moins d’une minute trente (Breaker Breaker, Black Book), chœurs propices à la plus communicative des bonnes humeurs (Dig a Little Deeper, May Seem Macabre), rythmes gentiment chaloupés pour danser à l’envers (Eyes, Down Like Me), tout concourt à faire de “Gimme Some” une réussite qui s’affirme comme le meilleur album du groupe, haut la main (à trois pouces).


R.E.M. – Collapse Into Now


Accueilli dans une relative indifférence, ce quinzième opus des Géorgiens entérine pourtant le retour en forme constaté depuis “Accelerate”, même si en l’occurrence le tempo ne tarde pas à ralentir. On n’attend cependant pas, d’un groupe en activité depuis trente ans, qu’il conserve un sens aiguisé de l’urgence : l’essentiel est ailleurs. Aussi, que R.E.M. soit encore capable d’enrichir son répertoire de nouveaux classiques (Discoverer), d’offrir une des ballades de l’année (Oh My Heart) ou de rappeler, en compagnie de Peaches, l’époque où la voix de Michael Stipe épousait à merveille celle de Kate Pierson, force en soi le respect. Si en plus Patti Smith rempile pour un saisissant morceau de clôture (Blue), la cause est entendue : ce groupe est increvable.


The Vaccines – What Did You Expect ?


Difficile de passer sous silence le disque le plus hype de l’année rock. Comme on le sait, ce genre de caution cache neuf fois sur dix un produit surfait, phénomène plus communément appelé « syndrome des Drums ». Les Vaccines, censés être les nouveaux sauveurs du rock à guitares, ne font pas partie des rares exceptions à la règle (frappées du « syndrome des XX » donc) même s’il faut leur reconnaître un certain savoir-faire. Leur disque est court, mûri sans être exempt de fougue juvénile, et quelques titres sont en effet irrésistibles (Wreckin’ Bar et Norgaard, moins de trois minutes totalisées à eux deux). On dansera sans doute encore tout l’été sur Post Break Up Sex ou If You Wanna, et après... ben après, on verra. C’est ce qu’on appelle le « syndrome du difficile deuxième album ».


The View – Bread & Circuses


Dans la grande famille des rockeurs britons peu exportables pour cause d’ancrage trop prononcé dans la culture locale, The View fait fort : accent écossais impossible, refrains parfumés au haggis, impossible de faire plus typique. Les lads ont pourtant fait encore plus fort avec un deuxième album impressionnant, l’excellent “Which Bitch ?” dont ils peinent à retrouver ici la richesse et la solidité mélodiques, pour leur préférer une orientation hymnique parfois rédhibitoire. Ceux qui fréquentent les stades apprécieront particulièrement Grace et Sunday. Sinon, il y a assez de morceaux bien ficelés, de l’imparable Tragic Magic aux réjouissants Girl ou Walls, pour résister à l’usure du temps et inscrire ce groupe, sur lequel on n’aurait pas misé grand-chose à ses débuts, dans la durée et la cohérence.


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