jeudi 5 mai 2011, par
Corps et rythme
Stef Kamil Carlens a toujours été un type à part, personnage affable et félin qui a déjà connu neuf vies musicales au moins, un garçon à la voix unique et à la mélancolie d’incompris. Les malentendus jonchent d’ailleurs son parcours, à commencer par son turbin de bassiste hurleur au sein de la première mouture de dEUS, celle des deux premiers albums inégalables où son organe de chat crevé a transporté dans une autre dimension, faite de cris et de larmes, les morceaux les plus marquants du groupe. SKC a quitté dEUS « parce qu’ils jouaient trop fort ». Parce qu’il n’en voulait pas, de ce son énorme, victorieux, lui qui n’aspirait qu’à l’intimité des petites salles où il pourrait décliner ses obsessions pour l’idole Tom Waits en défendant les compositions d’A Beatband puis Moondog Jr. Alors Stef dévoilait là son petit monde à lui, épris de la liberté des géométries variables, noyé dans le chagrin éthylique de ses chansons bouleversantes, celles qu’il ne pouvait chanter jusqu’au bout parce qu’il était interrompu par ses propres sanglots.
Après quoi les mutations se sont opérées, les projets multipliés. Rebaptisé à l’état civil, Zita Swoon mettait en musique L’Aurore de Murnau, sortait simultanément un album de pop déglinguée truffé de tubes extraterrestres et un recueil de bricolages sonores (“The Sound Hobbyist”, premier du nom), montait un ballet tordu où SKC explorait sa féminité. Puis il y a eu la consécration, le disque rentre-dedans avant le ressourcement, et enfin cette fin de parcours où SKC semblait s’être trouvé. Avec son nouveau groupe et en particulier la présence d’un percussionniste et de choristes de plus en plus chanteuses, les concerts de son « band in a box » et son ouverture au français – bel exemple œcuménique pour cet artiste flamand loin des querelles de bacs à sable des élus de sa ville natale – Stef Kamil Carlens était plus rayonnant que jamais. On l’a cru, de toute évidence, heureux, capable de signer des disques qui creusaient désormais la même veine solaire. C’était mal connaître ses désirs inassouvis de changement ; aussi voilà que Zita Swoon devient aujourd’hui le Zita Swoon Group et revient à l’expérimentation collective.
Le prétexte à ce projet n’est pas neuf : il y a un an au moins que Zita Swoon a commencé à se produire avec le danseur et chorégraphe Simon Mayer pour un spectacle où la matière musicale sert d’alternateur au mouvement du corps. Un mouvement qui a gagné en spontanéité au fil des représentations, faisant de “Dancing with the Sound Hobbyist” une expérience non préméditée, indéfinie, en somme l’expression d’une liberté artistique absolue. Sur “Plage Tattoo”, précédente incursion dans le domaine de la danse, le groupe misait davantage sur un genre de spectacle total où la narration jouait un rôle central et que le texte n’avait pas encore déserté. Ici, il serait plus juste de parler de fusion, où corps et rythme vibrent des mêmes battements symbiotiques. Mais bien sûr, ce dont il est question en l’occurrence est un disque, un pur voyage musical avec lequel le corps seul de l’auditeur peut interagir. Stef Kamil Carlens y partage l’écriture, moins ligne claire qu’esquisse impressionniste, avec nombreux de ses compagnons de cordée.
Et le résultat, en serait-on le premier surpris, est étonnamment cohérent et prenant. Si les sonorités ont conservé un peu de la chaleur du Zita Swoon de ces dernières années, on y retrouve surtout la fraîcheur bancale de “Music Inspired by Sunrise”, avec ces instruments bizarres en guise de percussions. Jungle Swing s’ouvre de la même façon que A Song of Two Humans le faisait il y a quinze ans, les guitares de FM 56B sonnent comme sur Couldn’t She Get Drowned ?, mais sans tomber dans la redite Zita Swoon ne fait qu’explorer des territoires inédits à l’aveuglette, avec les vieux moyens du bord et ceux que son parcours hors normes lui a permis d’accumuler depuis. Les orgues, en particulier, occupent une grande part de l’espace sonore, côtoyant de plus discrets cuivres et cordes. Quant au tourbillon tapageur qui emporte avec lui la fin de Maridadi, pièce centrale de l’album où les sœurs Gysen s’autorisent sa seule performance vocale, difficile de ne pas entendre – dans le jeu de basse notamment – une lointaine réminiscence du Theme from Turnpike de dEUS.
Imprévisible mais vaguement familier, pointu mais limpide, “Dancing with the Sound Hobbyist” répète l’exploit réalisé par les précédents disques instrumentaux de Zita Swoon : faire figure d’exception qui confirme la règle en tant que bande-son d’un spectacle fonctionnant presque aussi bien les yeux fermés. Les thèmes et les rythmiques réussissent systématiquement à trouver une accroche efficace pour s’adresser droit au corps et au cœur, quand bien même on ne saurait trop conseiller à ceux qui n’ont jamais écouté Zita Swoon d’entamer ailleurs leur pèlerinage. À ceux qui ont pu déplorer la triste impression que Stef Kamil Carlens tournait dernièrement en rond, en tout cas, ce disque vient rappeler que l’artiste n’a pas fini de regarder plus loin. Le prochain projet du groupe le verra collaborer avec des musiciens burkinabés pour un mélange de blues et de folklore mandingue. Éternel
exilé, insatisfait par les conforts surfaits, Stef Kamil Carlens ne s’était donc posé que pour mieux scruter l’horizon, et repartir de plus belle vers des contrées en devenir.
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