Accueil > Critiques > 2011

Ben Harper - Give Till It’s Gone

jeudi 19 mai 2011, par Laurent

Lâcher les chiens


Qu’on doive se pincer ou non pour le croire, Ben Harper frôle les vingt ans de carrière et ceci est son dixième album. Mais comme son titre le laisse croire, l’Américain est prêt à continuer de donner, jusqu’à ce qu’il n’ait plus rien à offrir. C’est là que le bât blesse : pour beaucoup, voilà bien longtemps que sa besace est vide. Sans désamour, on a presque tous considéré tôt ou tard que notre relation avec l’auteur de Burn One Down battait de l’aile. Parce qu’on sait qu’une belle histoire mérite qu’on se batte pour elle, on s’est tout de même accroché, vaille que vaille. Mais sans avoir consommé la rupture, on n’ignorait pas moins que quelque chose s’était brisé.

Certains ont pris leurs distances dès “Burn to Shine”, quand Ben Harper a mis ses Innocent Criminals en avant et s’est pris de délaisser le blues aux racines partiellement rastafaris qui l’avait jadis érigé en nouveau chantre de la douleur intime et collective. Cela au profit d’un AOR encore occasionnellement bouleversant mais qui n’allait cesser, par la suite, de perdre en rugosité. Nombre de voix se sont élevées du temps de “Diamond on the Inside” et cependant, la nouvelle manière d’Harper dispensait encore son lot de perles. Après le disque gospel en compagnie des Blind Boys of Alabama, il y avait toujours des choses à sauver sur “Both Sides of the Gun”, d’autant que les prestations scéniques du groupe atteignaient à l’époque de nouveaux sommets.

Au-delà, bien entendu, il fallait avoir le cœur bien accroché à Ben Harper pour sentir les battements s’accélérer au son de ses albums ultérieurs. L’idée même de changer de groupe, a priori salutaire, s’est soldée par un résultat calamiteux, et la participation d’Harper au disque de Fistful of Mercy s’est réduite à une récréation peu impliquée. Alors quand le riff de Don’t Give Up on Me Now retentit pour la première fois, on se dit que la situation est désespérée, qu’on devra bientôt le ranger aux côtés d’Eric Clapton et de Joe Cocker, sur l’étagère poussiéreuse de ces bluesmen avachis qui accompagnent les road-trips monotones entre deux titres de Chris Rea.

Cela étant, on pense aussi à ces vieux de la vieille qui parviennent à caresser l’immortalité en donnant du corps à leurs lignes claires, les JJ Cale, les Tom Petty... Et on se sent vieillir d’un coup parce qu’au détour d’un note, d’un solo, sans prévenir, on entrevoir brièvement ce que les rockeurs en santiags ou à rouflaquettes, voire les deux, viennent chercher sur les ondes de Classic 21. Pour un instant seulement, on a le sentiment de comprendre cette génération, on veut redonner sa chance au dernier Pearl Jam et, qui sait, réécouter “White Lies for Dark Times”. Don’t Give Up on Me Now est une chanson bien ficelée et honnête ; à sa suite, I Will Not Be Broken propose une montée de sève racée. On recommence à y croire.

Las ! Rock n’Roll Is Free laisse trop peu de libertés à son rock muselé, et si on sent bien qu’il se passe un petit quelque chose sur Feel Love, on sait pertinemment qu’un Ben Harper plus jeune de dix années aurait emmené cette chanson vers des territoires autrement brûlants. Il reste bien deux titres où il ose lâcher les chiens en fin de parcours mais la production, vraiment trop docile, les ramène bien vite à l’ordre (Dirty Little Lover, Do It for You Do It for Us). Seul Clearly Severly, grâce à son tempo haletant, atteint le niveau de sauvagerie qui donne toujours envie de balancer la tête sur Faded ou Ground on Down. À côté de ça, certains morceaux mous du genou comme Waiting on a Sign font pâle figure.

Preuve de son institutionnalisation dans le registre classic-rock, Ben Harper enregistre un bœuf avec Ringo Starr, dans la lignée il est vrai du très beatlesien Spilling Faith. Les six minutes instrumentales de ce Get There From Here résument sans doute à elles seules les qualités et défauts de l’album : un regain d’énergie capable de faire vibrer l’électrocardiogramme mais impropre à le faire basculer dans le rouge. Est-ce la faute de ce mixage trop propret, d’un chant dont l’amertume sonne parfois conventionnelle, ou plus simplement du niveau des compositions ? Finalement, on cherche peut-être en vain le problème à l’extérieur de soi. Une solution de facilité pour masquer sa propre peur de vieillir...


Répondre à cet article

2 Messages

  • Ben Harper - Give Till It’s Gone 19 mai 2011 16:19, par Le Sto

    Je ne m’attendais plus à grand chose je dois dire... et c’est ce que j’ai eu ! Le single d’intro est peut-être le meilleur titre d’un Ben qui se cherche entre chansons douces mais pas franchement accrocheuses et gros riffs qui tâchent et qui manquent cruellement de subtilité. On peut certes discuter sur la jolie voix mais là ça ne suffit pas. J’avais trouvé un regain d’intérêt pour White Times machin truc, mais là je ne transférerai même pas les mp3 sur mon iPod 120Gb, ce qui, convenons-le, est le comble du sommet pour exprimer mon mécontentement !!

    repondre message

    • Ben Harper - Give Till It’s Gone 19 mai 2011 20:58, par Laurent

      Ouh la, mais si tu as éprouvé une once d’intérêt pour "White Times Truc", tu devrais persévérer : on est carrément trois cran au dessus (de ce qui reste à mes oreilles une petite daube) !

      repondre message

  • Brandon Flowers - Flamingo

    Killers au carré divisé par Killers = Killers
    Certaines gens crédules, à cause d’un a priori tenace, pensent encore que Pink Floyd veut dire « flamant rose ». On les renverra ici. Non, on sait bien que « flamant » se traduit internationalement par « flamingo », en particulier lorsqu’on leur rend régulièrement visite dans les zoos… flamands. Ainsi, chaque fois que j’emmène la famille au parc (…)

  • Lauren Hoffman : Choreography

    Une fois encore, c’est à une chanteuse qui m’était inconnue que je me frotte. Et la voix m’a tout de suite séduit. Broken et As the stars sont fort jolis. La production en est soignée sans être exagérément légère. La mélancolie qui en sourd est moins intense que celle d’une Kelly DeMartino par exemple. Plus spleenesque que désespéré donc. On ne retrouvera malheureusement pas au cours de (…)

  • The Rasmus : Hide from the sun

    Nous sommes en 2006 et il est temps d’en finir avec les albums de 2005. Nous sommes en 2006 et certains semblent-ils ne l’ont pas encore réalisé.
    Voilà ce qu’on pense en écoutant l’album des Rasmus. En effet, cette soupe à un sacré goût de nineties, un mauvais goût de début des nineties. On a l’impression d’assister à une collaboration entre un Jon Bon Jovi au chant et au texte, Metallica à (…)

  • Eskobar : A thousand last chances

    Si je vous dit Eskobar, vous penserez de suite à ce duo avec Heather Nova. Et à part ça ? et bien pour moi c’est pareil et j’ai donc profité de la sortie du nouvel album pour palier à ça.
    Mais avant de vous donner mon avis, je vais cracher mon venin un bonne fois pour toute afin que le reste ne soit pas biaisé : les maisons de disque se sont probablement toujours foutu de la gueule du public (…)