Accueil > Critiques > 2011

Hoquets - Belgotronics

mardi 31 mai 2011, par Laurent

La Belgique est un plaisir et doit le rester


Imaginez un groupe de folk chinois dont les plus grands succès s’appelleraient Chop-suey, La Grande Muraille et Lychee ; un combo rock espagnol qui chanterait Paella, Real Madrid et La Corrida ; ou encore des électroniciens italiens qui, le plus sérieusement du monde, réaliseraient un album avec des titres tels que Tour de Pise, Silvio Berlusconi ou Spaghetti al Pesto. L’aspect grotesque de ces clichés de cartes postales n’a manifestement pas décontenancé le moins du monde les Hoquets, car c’est exactement ce qu’ils font sur “Belgotronics”, hymne (forcément) surréaliste à la Belgique et à ses spécificités culturelles, politiques et gastronomiques. Le disque d’un beau trio d’allumés qui fabriquent leurs propres instruments et en jouent avec une bonne humeur ultra-communicative.

Les instruments en question, ils les ont justement baptisés les « hoquets » : vieilles cordes tendues sur des morceaux de bois, des coquilles de noix ou des canettes, casserole claire ou encore iaen iaen, sorte de ukulélé fait main à partir d’une vieille boîte à biscuits. Des engins en évolution constante qui rendent chacune de leurs prestations scéniques particulière, et dont le son percussif hors normes leur a valu d’être comparés aux expérimentations des tradi-mods de Kinshasa. Si bien qu’ils se sont retrouvés signés sur le label belge Crammed Discs, responsable des séries “Congotronics” qui ont inspiré le nom de l’album. Ajoutons encore que si les trois membres des Hoquets habitent le pays, leur chanteur débarque des États-Unis, accent ricain faisant foi.

Inutile de chercher donc d’autres points de comparaison pour décrire la musique des Hoquets, puisqu’elle ne ressemble à aucune autre. Les chansons sont équitablement partagées entre le française et l’anglais, et sont pratiquement toutes les tubes en puissance d’un univers parallèle où le moindre artifice de production serait considéré comme un tue-l’amour. C’est un son de fuzz au potentiel démultiplié qui confère leur incroyable énergie à des titres tels que Cha-Cha-Charleroi, OTANATO ou le démentiel Couque de Dinant, single avant-coureur qui les avait révélés à un grand public constitué de deux pelés et trois tondus. La question est évidemment de savoir si les qualités musicales intrinsèques de “Belgotronics” sont susceptibles de séduire au-delà des frontières – y compris communautaires.

Il y a au moins une vraie chanson avec un véritable instrument (Bruges et son orgue charmant) mais aussi un interlude a cappella (L’Abbaye d’Orval) et surtout, une danse de l’été drolatique expliquée pas à pas (Chaud Boulet). À l’évidence, cependant, l’atout premier des Hoquets réside dans leur conceptualisme bon enfant, cette façon d’incarner la belgitude dans son humilité débraillée, en comblant ses lacunes à coups d’idées absurdes (le faux scratch de Béni B, la marelle cinglée de Dans van Baarle) mais aussi, avant tout, en moquant ses propres aberrations (3 Régions 3 Communautés). Si l’on y ajoute le côté irrésistiblement dansant d’un Maitrank ou d’un Nationalestraat, on aura compris que “Belgotronics” est un disque dont il est tout bonnement impossible de dire du mal.

Les Belges sont-ils chauvins ? On sait bien que la richesse de notre patrimoine n’a d’égal que son pauvre retentissement à l’étranger. Comme le chantent les Hoquets : « Les moules, les frites, le chocolat, la bière... mais la Belgique c’est bien plus compliqué que ça ! » Et c’est à ce tourisme de série B qu’ils invitent les curieux qui auront la bonne idée de jeter une oreille à leur disque, collection de spécialités du terroir dont il y a peu de fierté à tirer mais qui remettent au goût du jour le concept nauséabond d’ « identité nationale ». En l’occurrence, une forme toute particulière d’autocongratulation/auto-flagellation qui nous pousse à rire d’une même voix de nos ridicules, comme au temps béni des Snuls. Si c’est en outre exécuté avec un talent musical certain, on ne peut que s’enflammer comme un débat sur BHV.

Tiens, ça va leur donner une idée de chanson…


Répondre à cet article

7 Messages

  • Hoquets - Belgotronics 31 mai 2011 13:39, par Mmarsupilami

    Va te moquer !

    Chacun son fantasme pour façonner une oeuvre sur son pays !

    J’ai connu un Américain qui voulait réaliser cinquante albums sur les Etats-Unis. Un par Etat.

    Parait qu’aujourd’hui, il se prend pour l’Archange Gabriel.

    Et le reste du temps, il est déguisé en boule de discothèque...

    C’est pourquoi les Hoquets, on pourra dire : "lls avaient tout compris au premier coup !"

    (Y a des fois, je suis tellement con, que je suis juste fier de moi ! Pauvre Sufjan, ma tête de Turc (chuuuuuut, ça y est, il nous prépare une symphonie sur l’Ataturk, suffit de le lancer ; j’aurais parlé de l’Egypte qu’il faisait appel à Asterix pour construire les pyramides - aleeeeez Sufjan, arrête, pas des...)...

    (Ceci, juste pour dire que je vais repasser)

    repondre message

  • Hoquets - Belgotronics 1er juin 2011 11:02, par Benjamin F

    Il y a dans ce disque un côté humour "artistico-potache" à la Katerine qui m’empêche de base d’adhérer. Certes le travail sur les rythmiques est assez intéressant mais j’ai vraiment du mal à y voir autre chose qu’un joli tour entre potes.

    repondre message

  • Hoquets - Belgotronics 1er juin 2011 12:06, par Laurent

    Ne le prends pas mal Benjamin (et j’en appelle à Mmarsup’ ou à d’autres pour me venir en aide) mais dans le fond je crois que cet album ne peut pas être "compris" en dehors de nos frontières. Il y a sans doute un côté très malsain à tenir ce genre de discours mais, rien à faire, c’est tellement belgo-belge (et bien plus dans l’esprit que dans le contenu) que je ne peux que comprendre et soutenir ta perception. Comme tu le dis, c’est une question d’adhésion "de base" et la base est, à mon avis, indéniablement culturelle. Qu’en pensez-vous, vous zôt ?

    repondre message

  • Hoquets - Belgotronics 1er juin 2011 12:07, par Laurent

    Sinon, si Sufjan se met à écrire un album sur Atatürk ce sera tellement génial qu’il deviendra obligatoire dans toutes les écoles du pays. Vivement son disque sur l’unification italienne... ^^

    repondre message

    • Hoquets - Belgotronics 3 juin 2011 00:18, par Mmarsupilami

      C’est belge, c’est potache !
      On est comme ça, nous autres...
      Ceci dt, j’ai été impressionné de les voir assurer avec Congotronics, montrant que, derrière le potache, il y a un fameux fond (de pantalon).
      Je dirais donc que ce que j’espère pour Hoquets, c’est qu’ils arriveront à conjugueur un fond quelconque (de tarte au riz, par exemple ; ou de l’air, mais qu’il soit bien frais alors ; ou un fond Font font où ils engageraient des marionetttes) à leur exercice qui pour l’instant n’apparait que potacherie, une bonne rigolade entre potes de café !

      MMarsupilami (FLB - Fond de Libération des Belches).

      Bon, il ne me reste plus qu’à raccrocher mes machoires après ce sketck binchou des Snuls qui était un peu sorti de ma mémoire et qui m’a entraîné dans une excursion Youtube de la potacherie belge. Ca vaut tous les discours !!!

      repondre message

  • The Cry – The Cry

    On le répète souvent parce qu’on est chaque fois surpris de l’omniprésence de la musicienne française Christine Ott. Et sa productivité est aussi surprenante. Ainsi, six mois après le second album de Snowdrops et l’ayant croisé récemment en solo ou avec Theodore Wild Ride, la voici dans un nouveau projet. Ce n’est jamais pareil, seule l’exigence et la qualité sont constantes. Aussi ce mélange de tortueux (...)

  • Charlotte Greve - Sediments We Move

    La technique ne vaut que par ce qu’on en fait. Ce lieu commun prend tout son sens avec l’Allemande installée à New-York Charlotte Greve. Sa formation jazz est évidemment immédiatement identifiable mais la matière proposée ici en dévie sensiblement, ou plus précisément la pervertit avec une mine gourmande.
    Il faut dire que la matière première de cet album, ce sont les voix du chœur berlinois Cantus (...)

  • Ola Kvernberg - Steamdome II : The Hypogean

    S’il est plaisant de découvrir un artistes à ses débuts, de tracer son évolution, il peut aussi se révéler valorisant de le prendre en cours de route, avec une belle progression. On ne décèle pas tout de suite le potentiel de la chose mais il apparait bien vite que le potentiel du compositeur norvégien est indéniable.
    Arpy commence de façon un peu douce, mélodique, simple. Mais imperceptiblement, (...)

  • Rouge - Derrière Les Paupières

    On a été en contact avec plusieurs albums piano solo récemment, ceci est purement fortuit, et complètement indépendant du concours Reine Elisabeth. Ce qui étonne en fait, c’est la grande variété des moyens et des résultats. Avec ce trio articulé autour de la pianiste Madeleine Cazenave flanquée de la basse de Sylvain Didou et de la batterie de Boris Louvet, on se rappelle que le piano est un instrument à (...)