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Orelsan - Le Chant des Sirènes

mardi 4 octobre 2011, par Laurent

Sport de combat


D’aussi loin qu’a existé le langage, le monde s’est toujours divisé en deux catégories : ceux qui s’en servent comme d’un imparfait outil de communication, et ceux qui en font leur arme première de domination. Comme Claude Lévi-Strauss le disait bien dans Tristes Tropiques, il faut d’ailleurs « admettre que la fonction primaire de la communication écrite est de faciliter l’asservissement ». Une fois entendue cette sinistre vérité, et en marge des nouveaux critères de hiérarchisation – la « noblesse », puis l’argent – le recours au langage pour asseoir sa supériorité est rapidement devenu un sport de combat. Sophistes, rhétoriqueurs, artistes de salons, courtisans et bien sûr politiques, tous se sont adonnés à la joute verbale, aujourd’hui réduite, par ce monde stressé, à sa plus simple expression : la punchline.

Autant lié à l’esprit de compétition hip-hop qu’aux nouvelles formes de comédie nées au cœur de la jungle néolibérale, cet art du cassage n’est pas un phénomène récent ; mais après Brice de Nice – hum... – la France s’est trouvé un champion poids lourd en la personne d’Orelsan. Celui que d’aucuns n’ont pas peur de surnommer l’Eminem français est donc de retour avec sa sous-culture... « sauf que c’est nous le futur ! » Après un premier album jouissif d’attitude punk et une polémique d’ignares avec laquelle il règle ses comptes (« merci quand même pour le coup de pub, merci les chiennes de garde pour le coup de pute »), le rappeur caennais a le mérite d’éviter la suite logique.

Lucide de sa position fragile (Le Chant des Sirènes), conscient de ressasser parfois les mêmes thèmes (l’intro de Changement reprise au début de Plus Rien Ne M’étonne), Orelsan ne dévie pas réellement de sa ligne de conduite, mais ne sombre pratiquement plus dans la vulgarité gratuite – quelques rares exceptions – de même qu’il a encore, ici ou là, quelques trouvailles sous le coude (Mauvaise Idée : bonne idée). Toutes ne sont malheureusement pas exécutées avec le souci du détail qui leur est dû (La Petite Marchande de Porte-Clefs), en particulier quand le rappeur s’essaie peu judicieusement au chant sur des refrains r’n’b dispensables (Si Seul, La Terre Est Ronde).

Visiblement assagi, Orelsan conserve une plume alerte mais elle trempe parfois dans une encre un peu trop suave. Pour le coup, la comparaison avec Eminem s’impose. Double Vie et Finir Mal se présentent comme une mini-série où la transition est futée mais dont les paroles laissent ainsi un peu indifférent. En revanche, l’autre diptyque enchaînant 1990 et 2010 s’offre un exercice de style percutant, clin d’œil à Benny B inclus. On s’en rend bien compte : avec ou sans provocation, c’est en mode musclé que le Caennais est définitivement à son avantage. Des Trous dans la Tête est exactement le genre de compte rendu du quotidien dont on le sait génialement capable.

Basée sur un instru futuriste, Raelsan est pour sa part une bombe sonore qui prouve à elle seule qu’Orelsan est là pour occuper une place de choix dans un hip-hop français bouffé par ses propres clichés. Et encore, le vrai morceau de résistance a été gardé pour la fin : Suicide Social, possible futur classique et parfaite illustration de nihilisme où Orelsan tire à boulets rouges sur tout et sur tout le monde. C’est simple, il mitraille dans tellement de directions que vous ne pourrez que vous sentir visé(es) à un moment ou à un autre.

Ceux qui attendaient un nouveau “Perdu d’Avance” en seront cependant pour leurs frais : le garçon est passé par trop d’expériences inédites – succès, cabale médiatique, tout sauf la maturité – pour se rappeler qui il est. « Mes ex-fans déçus cherchent le Orelsan du début, mais même moi je crois que je l’ai perdu. » Disque maladroit, “Le Chant des Sirènes” n’est pas totalement autobiographique mais respire tout de même la sincérité. Une forme assez personnelle d’autofiction qui ne se laisse jamais autant écouter que lorsque la forme empiète sur le fond et que le rap game pousse Orelsan à vouloir écraser la concurrence. Il le néglige un peu trop souvent ici mais, quand il s’y met, il reste actuellement imbattable.


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4 Messages

  • Orelsan - Le Chant des Sirènes 4 octobre 2011 19:02, par Joris

    D’accord avec toi du début à la fin, si ce n’est qu’Orelsan me séduit même dans sa maladresse. J’apprécie beaucoup le personnage, et je lui trouve une fraîcheur et une sincérité trop rare. Agréablement surpris par cet album, je regrette simplement quelques choix musicaux sur les refrains (la comparaison entre "Changement" et "Plus rien ne m’étonne" tourne à l’avantage du premier...)

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  • Orelsan - Le Chant des Sirènes 5 octobre 2011 08:58, par Blah Blah Café

    Je présume que la pochette est un clin d’oeil à Terminator 2 ? En tous les cas ça ne donne pas envie. On mange d’abord avec les yeux c’est ca ?

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    • Orelsan - Le Chant des Sirènes 5 octobre 2011 15:37, par Laurent

      Mmmmh... je ne crois pas qu’il y ait de réelle intention cybernétique là derrière... C’est plutôt le concept : "Je me tiens debout au milieu du carnage et des explosions". Versant agence tous risques. Si ce clip ne te donne pas envie d’entrer dans l’album, alors à mon avis rien ne le pourra.

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