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En vacances, j’ai écouté... (5) des nerds

samedi 8 octobre 2011, par Laurent


Ben oui, les vacances sont les vacances : ça donne beaucoup de temps pour piquer un plongeon dans la musique, mais pas trop l’envie d’en parler. Du coup, autant revenir sur quelques disques écoutés à l’ombre des cocotiers et dont, qui sait, vous me direz des nouvelles... Cette semaine, on revient sur dix albums pop-rock qui dosent l’expérimentation avec plus ou moins de savoir-faire, pour obtenir les résultats les plus touchants ou les plus décalés, selon l’intention.


The Berg Sans Nipple – Build With Erosion

Construire en érodant, c’est bien là le propre des musiciens qui élaguent leurs créations jusqu’à les rendre râpeuses, pleines d’aspérités qui vont effrayer l’auditeur lambda et ne laisser passer que les moins frileux. Chez The Berg Sans Nipple, la musique sonne aussi étrange que le nom du groupe, et la francophilie n’est qu’une façade (Le Cadavre Exquis, où seuls les cuivres parlent la langue de Molière, l’instrumental Terroir qui flirte avec l’IDM). Empruntant à Animal Collective son secret pour respirer sous l’eau et à Gang Gang Dance son goût de la transe nébuleuse, le duo met la percussion au centre des débats et le corps au cœur des ébats. À la fois fauve et cartésien, “Build With Erosion” démontre qu’on peut très bien péter les plombs en gardant les pieds sur terre.


Dakotafish – Many Moons

J’avais découvert Mike Fish par hasard il y a quelques années avec un premier EP formidable, où sa science des arrangements tordus mais limpides épousait une voix pas si éloignée des inflexions d’un Thom Yorke. Enfin passé au long format, Dakotafish dévoile un songwriting rarement pris en défaut, toujours ingénieusement produit, nocturne et aérien (Strange Symmetry, Great Ones), volontiers pop (l’obsédant Midnight Lemonade). Faisant un usage parcimonieux et d’autant plus judicieux de ses influences eighties (Never Enough, Conditions), l’Américain réussit le pari de rester pertinent tout au long de ces dix titres étrangement funky, très denses malgré leur évident côté bricolé (We Were Like Gods, d’une solidité à toute épreuve). Le genre d’album artisanal qui récompense les écoutes répétées.


Esmerine – La Lechuza

Splendide, cet album en majeure partie instrumental où des membres de Thee Silver Mt. Zion laissent libre cours à leur idée de la pureté, soit du post-rock sans guitares. Tantôt un violoncelle vient se lamenter sur un vert tapis de mélancolie (Walking Through Mist), tantôt le marimba joue gracieusement au Trampolin, quand on n’est pas emmené au cœur même d’une transe percussive africaine (Sprouts). Little Streams Make Big Rivers emprunte la corde sensible d’Explosions in the Sky, mais ce qui rend cet album singulièrement émouvant, c’est qu’il est hanté par l’esprit de Lhasa de Sela (Snow Day for Lhasa, chanté par Patrick Watson). La regrettée chanteuse américano-mexicaine laisse ici un déchirant testament discographique (Fish on Land) qui nous fait quitter le disque la gorge nouée.


Fruit Bats – Tripper

Il faut imaginer ces chansons dans un film indé ricain mettant en scène un voire plusieurs jeunes losers qui, à force de persévérance, connaissent un véritable trip initiatique. Leurs relations humaines, qu’elles soient familiales, professionnelles ou amoureuses, rencontreront bien des obstacles, mais les protagonistes les verront évoluer tout comme ils gagneront en maturité, faisant le deuil d’une insouciance qui ne colle décidément pas à une vie d’adulte semée d’embûches. Douce-amère, leur existence laissera filtrer un peu de sa beauté tout comme elle les confrontera à des réalités qu’ils se sentiront finalement capables d’accepter dans leur complexité. Ce genre de scénario vous paraît cliché, standardisé ? Oui, tout comme la musique des Fruit Bats, adorablement poétique mais totalement interchangeable.


John Maus – We Must Become the Pitiless Censors of Ourselves

Ce monsieur prône l’autocensure décomplexée mais lui ne se gêne nullement. Pour mélanger, dans son brouet cradingue, le rock gothique de Bauhaus et les délires en chambre de Dan Deacon. Pour signer des mélodies évidentes et les jouer sur des vieux synthés tout en chantant du fin fond de sa Batcave, à dix lieues de son micro si possible. Pour faire figure de roi déchu de la rave, préférant sa tenue de clochard stellaire aux paillettes des Pet Shop Boys. S’il avait été beau, John Maus aurait pu être un de ces garçons coiffeurs des années 80, rouler des patins à Poison Ivy ou partir en virée avec Alan Vega. Mais John Maus est né il y a trente ans et préfère sortir des disques anachroniques, aussi fascinés par la pop que parfaitement intransigeants. Alors nous, on préfère encenser que censurer.


Micachu & the Shapes – Chopped & Screwed

Le premier album de Micachu & the Shapes avait fait retentir les sirènes de la hype, davantage légitimée par les plans que “Jewelry” tirait sur la comète plutôt que d’authentiques promesses tenues. Mais à l’heure de confirmer pour survivre, Micachu prend le contre-pied des attentes et enfonce le clou de l’audace. En compagnie du London Sinfonietta, la jeune Anglaise – Mica Levi pour l’état civil – signe un ensemble oppressant au son très live – ça a été enregistré d’une traite et en public – mais aussi... très sale ; neuf plages enchaînées dont aucune ne ressemble à une chanson. Pourtant l’impression globale révèle l’incontestable pouvoir de fascination exercé par cette association entre noise-rock et symphonies inquiétantes, ainsi que l’extrême liberté d’une artiste décidément insaisissable.


Sister Crayon – Bellow

Partisan d’une indie-pop intelligente, autrement dit d’une musique qui sait se faire immédiate sans oublier d’être aventureuse, ce quatuor californien a la chance de pouvoir s’appuyer sur la personnalité charismatique et la voix envoûtante de sa chanteuse Terra Lopez. Pas très loin d’un Bat for Lashes qu’aurait produit David Sitek, ça donne dès lors un disque inventif capable d’explorer des rythmes et des ambiances issus d’un vaste champ musical, sans toujours se départir d’une certaine froideur dans l’exécution ; un excès de maîtrise, serait-on tenté de constater, qui empêche “Bellow” de captiver sur la longueur malgré d’indéniables qualités et quelques titres étincelants (I’m Still the Same Person, In Reverse, ou encore l’épique Ixchel the Lady Rainbow). Groupe à suivre, mais on prend son temps.


13 & God – Own Your Ghost

L’association des rappeurs de Themselves et du combo prog teuton The Notwist, qui a signé cette année son second fait d’armes, n’avait a priori pas grand-chose d’emballant sur papier. Raté : on ne peut que concéder, au fil des écoutes, l’audace artistique qui sous-tend ce pari tordu. Le climat est insolite, inquiétant parfois, et l’ensemble est dominé par un son minimaliste en fin de compte très... allemand ; krautrock, quoi. D’ailleurs plusieurs titres évoluent en totale autarcie, loin du moindre relent hip-hop (Old Age, Its Own Sun). Mais quand Doseone appose son flow de farfadet dissolu, l’alchimie est proprement bluffante. La musique du collectif peut alors plonger dans un monde désolé et oppressant (Et Tu, Sure As Debt) ou culminer vers des sommets de beauté viciée, comme sur la superbe Armored Scarves.


tUnE-yArDs – W H O K I L L

Il y a des mélanges qu’on dit savants. Mais le cocktail auquel se livre Merril Garbus, mixant allègrement ses influences funk, indie-rock, free-jazz, hip-hop, sans oublier l’apport flagrant des musiques traditionnelles africaines, est tout sauf intellectualisé. À l’évidence, l’Américaine suit plus que jamais ses instincts sur ce deuxième album où son chant asexué (notamment à l’œuvre sur les plus calmes Powa ou Wooly Wolly Gong) est volontairement malmené, traité comme un instrument parmi d’autres à la façon de Matias Aguayo (Bizness, My Country), quand il ne se laisse pas littéralement entraîner par les dérapages cuivrés qui ponctuent le disque dans l’esprit de TV On the Radio (Gangsta, pure illustration du cliché de la transe tribale). C’est absolument épatant mais, ici blesse le bât, foncièrement épuisant.


Wild Beasts – Smother

Sur chaque album des Wild Beasts, il y a au moins un morceau à tomber de sa chaise. Devil’s Crayon sur “Limbo, Panto”, Hooting & Howling sur “Two Dancers”, chaque fois on se dit que ce groupe en a dans la carcasse, et chaque fois quelque chose nous empêche d’aller plus loin. Serait-ce le falsetto envahissant de Hayden Thorpe, difficile à soutenir sur la longueur, encore qu’on pense davantage à Guy Garvey d’Elbow quand le chanteur s’aventure dans les graves (Deeper) ? Ou bien cette propension à injecter des doses d’expérimentation si diluées qu’elles finissent par apparaître bien sages (Lion’s Share) ? Toujours est-il que le troisième opus ne déroge pas à la règle : on reste un peu froid devant ce savoir-faire indéniable, et on respecte poliment ce combo qu’on aimerait pouvoir adorer. Mais pas là.


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