samedi 15 octobre 2011, par
Ben oui, les vacances sont les vacances : ça donne beaucoup de temps pour piquer un plongeon dans la musique, mais pas trop l’envie d’en parler. Du coup, autant revenir sur quelques disques écoutés à l’ombre des cocotiers et dont, qui sait, vous me direz des nouvelles... À l’honneur cette semaine, dix singers-songwriters : une catégorie à part entière d’artistes qui ont choisi d’explorer leurs talents en totale autarcie, sur un mode généralement intimiste mais « pas que ».
Tout comme Alexi Murdoch pouvait difficilement éviter les comparaisons avec Nick Drake, le jeunot en présence fait, dès l’entame de son album éponyme, un appel du pied plus qu’appuyé à Jeff Buckley. Fausse piste cependant : très vite, on quitte le terrain de la seule contemplation pour goûter au sel de la terre, avec des compositions acoustiques particulièrement habitées. On pense davantage au trop méconnu Jimmy Gnecco, autre champion du spleen, bien que Sam Brookes possède assez de ressources et de subtilité pour contourner le pathos cher à ses aînés. Sous ses airs de redneck sensible, ce garçon sait comment ériger de petites cathédrales en paille (Like a Butterfly, Platform) et les empêcher de partir en fumée (Doors, Glass House). Un véritable orfèvre en santiags.
Année faste pour les ciseleurs norvégiens, qui n’en finissent plus de nous émerveiller avec leurs univers de contes de fées glacés. Si Ane Brun fait partie de ces talents scandinaves dont on chuchote si souvent le nom dans les oreilles alertes, aucun de ses trois précédents albums studio ne m’avait jusqu’à présent été fatal. Changement d’état avec “It All Starts With One”, puisqu’en effet il faut bien commencer quelque part. D’une sensualité évanescente, sophistiqué juste comme il faut, le disque nous balade entre fragilité spectrale (These Days, The Light from One) et volupté de satin (Words, What’s Happening With You and Him). Au détour d’un roulement de tambour, on se retrouve immergé sans prévenir dans de frêles torrents baroques qui évoquent le meilleur de Kate Bush (One, Undertow). Et un fan gagné, un.
Piers Faccini, c’est un peu le parcours sans faute dont tout le monde se contrefiche. Pourtant le bonhomme donne une idée plutôt intéressante de ce qu’aurait pu être la discographie de Ben Harper s’il n’avait jamais connu l’électricité – et avec une voix de blanc. Encore que “My Wilderness” permet d’entrevoir quelques facettes neuves de l’artiste. Ainsi, bon nombre de titres baignent dans un léger nuage d’exotisme, cependant que la dernière minute de That Cry mêle instrumentations typiquement country et rythmique afro-pop. Ailleurs, la sensibilité du chanteur anglo-italien s’exprime de touchante manière, toujours soulignée par des cordes pertinentes. Enrichi d’influences qu’il incorpore à sa musique sans le moindre artifice, Piers Faccini confirme son statut de bon élève pas assez félicité.
Au fil d’un parcours qui l’a progressivement vu abandonner les fioritures synthétiques au profit d’une épure susceptible de mettre en avant sa voix d’ange blessé, l’auteur-compositeur allemand Patrick Zimmer s’est mis en tête de chanter les chansons des autres. En résulte cet album de reprises presque totalement acoustique où Finn, fidèle à ce sens mesuré du tragique qu’il partage avec son compatriote Maximilian Hecker, n’hésite jamais à faire vibrer la corde sensible. Lorsqu’il s’applique à ralentir quelques standards pop (I Shot the Sheriff ou Love Is in the Air, par exemple), la sauce prend ; à d’autres moments, son traitement vaguement bossa (Kiss, Dancing With Tears in My Eyes) ressemble à un Nouvelle Vague du pauvre. L’ensemble reste plaisant mais, loi du genre, plutôt anecdotique.
Un autre Finn, sans lien avec le précédent mais intimement lié en revanche à Neil Finn, puisqu’il n’est autre que le fils du chanteur des Crowded House – dont le Don’t Dream It’s Over est repris sur l’album du Finn précédent, vous suivez ? – le jeune Liam sort d’une collaboration avec Connan Mockasin – le side-project Barb, dont on a eu la bonne idée d’inclure ici l’album en bonus – et publie donc son second album solo. Vous suivez toujours ? Parfait, dans ce cas vous pouvez tout doucement vous diriger vers la sortie puisqu’il n’y a pas grand-chose à voir ici. Disque décevant, “FOMO” ne possède pas l’énergie de son prédécesseur et se laisse enfoncer dans une relative fadeur, gâtée par une production régulièrement à côté de la plaque. Peut mieux faire.
Wouter De Backer pourrait bien être le mieux exporté des chanteurs belges puisqu’il est... australien. Superstar down under, Gotye n’est jamais aussi bon que lorsqu’il s’adonne à ses douceurs étranges, truffées de samples, pas si éloignées en somme des codes trip-hop. Smoke and Mirrors ou State of the Art incarnent bien cette manière, que l’artiste pousse parfois jusqu’à de bienvenus retranchements (Don’t Worry We’ll Be Watching You). As de la berceuse plaintive (Bronte ou le joli single Somebody That I Used to Know), Gotye peut aussi, hélas ! sombrer dans une soupe pop-rock assez indigeste. I Feel Better et In Your Light sont ainsi des tentatives soul foireuses qui rappelleraient plutôt les Fine Young Cannibals, alors que Save Me sonne comme du A-Ha vintage. Très inégal, pour le coup.
Là, c’est carrément la révélation. Une demi-heure de frottis acoustiques, d’hypocondrie hantée, parfois relevés par un décor sonore qui ne fait que surligner l’infinie délicatesse des textures en présence. « Be careful what you wish for when you’re young », prévient une des dix perles qui composent l’esquif. L’âge du capitaine : 21 ans. Autant dire que le garçon a de l’avenir et risque de faire fondre plus d’un fan d’Elliott Smith, même si son raffinement est encore loin d’atteindre les mêmes sphères d’immatérialité. En revanche, Benjamin Francis Leftwich constitue une alternative de choix pour tous ceux que José González laisse relativement indifférents. Déclinant une même palette d’émotions scandée d’un souffle continu, “Last Smoke Before the Snowstorm” sera le disque des âtres qui crépitent cet hiver.
Auteur peu prolifique, Josh T. Pearson ne s’exprime qu’à des intervalles très distants ; mais lorsqu’il le fait, il semble avoir cumulé tant de choses à dire que son discours prend facilement les atours d’une logorrhée. Dix ans après l’album très apprécié de son groupe Lift to Experience, Pearson revient en solo avec seulement sept titres, mais la plupart d’entre eux durent plus de dix minutes. Comme s’il était incapable de conclure, tant ses états d’âme lui pèsent, le Texan psalmodie sa peine à rester fidèle (Honeymoon’s Great : Wish You Were Her) ou ses remords d’alcoolique (Sorry With a Song), et la sincérité de ses confessions prend plus d’une fois à la gorge. Torturé par ses limites d’homme (Sweetheart I Ain’t Your Christ), Josh T. Pearson a décidément tout du grand poète maudit.
Nième bon plan dégoté chez l’ami Mmarsupilami, le folk-rock intense de Samantha Savage Smith possède un cachet certain. Comme une Alela Diane qui se serait passionnée pour le blues lourd au lieu de se laisser tenter par les blouses de velours, la poétesse canadienne promène son organe voltigeur sur des compositions racées et n’hésite pas, en diverses occasions, à monter en puissance (Keep It in a Box, Good of Goodbyes). Cependant, qu’elle se laisse entraîner dans un déluge d’électricité (Nobody Loves Me But My Own Kind) ou s’ouvre à des incursions plus pop (The Score), son chant impliqué mais plus sage que ‘savage’ reste la constante identitaire d’une musique un rien redondante, à laquelle on peut néanmoins promettre un avenir étincelant.
Pas facile de comprendre, sur un marché saturé de songwriters plus ou moins doués, quels critères nous poussent à élire les uns au détriment des autres. La voix, déjà : l’organe de Kate Stables rappelle parfois les altitudes de Sharon Van Etten, et elle n’en fait pas d’usage plus démonstratif. Les arrangements aussi, qui sont ici d’une remarquable sobriété, entre le folk illuminé de Laura Marling et l’ancienne manière, plutôt rêche, de Shannon Wright. Chez This Is the Kit, jamais un mot plus haut que l’autre. Juste un discret souffle cuivré pour faire avancer le navire sur une mer sereine, mais à l’écume piquante. Et puis l’écho d’une sirène qui murmure ses tourments sans chercher à nous y noyer. Le charme opère là où d’autres n’ont pas l’émotion contagieuse. Pas facile à comprendre, mais c’est ainsi.
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