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Séance de rattrapage n°10 - Hip-Hop

dimanche 4 décembre 2011, par Laurent


Bon ben on y est presque : l’année 2011 touche tout doucement à sa fin et ça va prochainement être l’heure des bilans, presque une fin en soi quand on a envie de se nettoyer la tête et de ne retenir, en vue d’un plus lointain avenir, que ce qui aura été digne des plus vives attentions. On revient donc en vitesse sur dix albums de hip-hop poids lourd, avec quelques révélations mais aussi pas mal de déceptions, des fois qu’il y en aurait dans l’assistance pour kiffer la vibe.


J. Cole – Cole World : The Sideline Story



Annoncé comme une future valeur sûre depuis trois mixtapes, le premier rappeur signé sur le label de Jay-Z ne faillit pas à sa réputation. Armé d’un flow solide mais cool qui n’est pas sans rappeler Lupe Fiasco, le nouveau venu alterne les beats martiaux (Rise and Shine, ou Mr Nice Watch en compagnie de son patron) et de plus nombreux mid-tempo nostalgiques souvent très réussis (Dollar and a Dream III, le jazzy Sideline Story ou la salsa Can’t Get Enough, un des meilleurs titres malgré l’infâme Trey Songz). Occupé par une série de ballades, le cœur de l’album offre un rap lent qui évite systématiquement l’ennui. Du coup, en dépit de son incontestable productivité, “Cole World” fait la différence grâce à une intelligence et une honnêteté plutôt rares dans le gros hip-hop ricain.


Drake – Take Care



On savait que le rappeur canadien avait du flair et savait s’entourer. Qui d’autre donc, pour réformer son r’n’b déviant, que le génial The Weeknd ? Les morceaux co-écrits avec ce dernier se démarquent sans peine, tout en ayant de quoi faire flipper les programmateurs habitués à des rythmes moins frondeurs (Crew Love) et une suavité moins crue (The Ride). Drake arrive par ailleurs à tirer son épingle du jeu malgré des collaborations plus consensuelles (l’infect Rick Ross sur le pourtant classieux Lord Knows, Rihanna sur une plage titulaire qui pille la récente collaboration entre Jamie xx et feu Gil Scott-Heron) même si la sauce ne prend pas à tous les coups (Nicki Minaj est franchement gonflante sur Make Me Proud). Abstraction faite de ses velléités commerciales, “Take Care” est un disque habité et fichtrement sexy.


Evidence – Cats & Dogs



Représentant chevronné d’un hip-hop sombre, futé et artisanal qu’il a largement honoré au sein des Dilated Peoples, l’insoumis Michael Perretta revient pour une deuxième aventure solo dominée par les samples cinématographiques obscurs, un groove puisé dans le funk blaxploitation et des scratches à l’ancienne. Proche d’un Mos Def dans l’esprit et la lettre old school, mais plus volontiers dans le camp d’un El-P lorsque son flow adopte des inflexions moins décontractées, Evidence est tour à tour épique (Strangers, Falling Down) et morose (I Don’t Need Love, The Epilogue). Toutefois il ne baisse jamais la garde et, à défaut de se départir de son ton vindicatif, laisse à d’autres le soin d’assurer au rayon coolitude (Aloe Blacc ou Raekwon pour citer les plus fameux). Académique mais irréprochable.


Joeystarr – Egomaniac



Pour signer son retour après un passage par la case prison, l’ex-NTM a fait appel au beatmaker Kimfu, qui pose son pénible label sur chaque titre exception faite du single Jour de Sortie... le meilleur morceau du disque. Choix artistique maladroit, acte manqué ? Quoi qu’il en soit, cette deuxième plaque solo souffre cruellement de la comparaison avec l’excellent et varié “Gare au Jaguar”. Les morceaux de hip-hop « classiques » manquent ici de peps et d’ironie, plusieurs textes sont écrits avec le pied gauche et l’inspiration carcérale est quasiment évacuée. On pourra se rabattre cependant sur une seconde moitié d’album où l’on retrouve une énergie (Champagne, Affamé), une sensibilité (Mamy..., Mon Rôle) et un humour (désopilant Faut S’Lever) qu’on aurait aimé entendre sur la longueur.


Nneka – Soul Is Heavy



Sur son précédent “No Longer At Ease”, la Nigériane installée outre-Rhin infusait un rap funky dans un bain d’authenticité qui la ramenait à ses racines. Ayant, à l’évidence, pris ses distances avec l’inspiration urbaine qui transparaissait hier encore ici ou là, Nneka a définitivement marqué son territoire. Son chaud, instrumentations live imprégnées de soul et de reggae, et une voix clairement plus tentée par le chant : tout cela n’a plus grand-chose à voir avec le hip-hop, si bien que l’artiste confie parfois à l’un ou l’autre camarade la mission d’envoyer le bois (Ms. Dynamite sur Sleep, Black Thought sur God Knows Why). Indépendamment du genre pratiqué, en tout cas, les chansons de Nneka restent d’emballants bouillons de culture au sens du groove aussi inclassable qu’impeccable.


Professor Green – At Your Inconvenience



Le premier album de Stephen Manderson avait charmé avec ses samples pop commerciaux et son franc-parler amusant. Ce coup-ci, pourtant, on est proprement consterné par le côté putassier des refrains : la nouvelle chanteuse casse-bonbons Emeli Sandé fait sa Rihanna sur un Read All About It variétoche, Remedy ressemble à de la dance lituanienne et, entendant Fink reprendre Where Is My Mind ? sur l’abject Spinning Out, on se demande vraiment ce qu’un si brave garçon vient faire dans cette galère. Cela dit, outre le son aseptisé qui contraste tant avec la sécheresse de ton, l’aspect vraiment insupportable de Professor Green réside d’abord dans sa scansion : une mauvaise imitation d’Eminem qu’il amplifie en permanence et jusqu’au moindre tic, faisant de l’écoute de ce disque un véritable supplice.


Roots Manuva – 4everevolution



Après un “Slime & Reason” globalement décrié pour les libertés excessives qu’il prenait avec la dogma dub, le nouveau Roots Manuva ne pourra décemment pas décevoir les aficionados. L’artiste anglo-jamaïcain y rappe autant qu’il croone sur des rythmiques insolites (Watch Me Dance, First Growth), parfois orientées vers la chaleur latine (Beyond This World) ou caribéenne (Wha’ Mek). Les titres sont souvent courts et d’autant plus percutants, mais les sept minutes d’In the Throe of It et la gourmandise du disque (17 plages en comptant les bonus) auront raison de toutes les patiences. Dommage, car le style daté ne manque pas de charme, encore renforcé par la présence anachronique de Skin – ex (?) chanteuse de Skunk Anansie – sur le très bon Skid Valley. Jolie réussite, sans mention ni félicitations du jury.


Scroobius Pip – Distraction Pieces



Le rappeur à la barbe de prophète est apparu comme un ovni dans le paysage musical en compagnie de son acolyte bidouilleur Dan Le Sac et un coup de maître en guise de coup d’essai (“Angles”). Incapable de renouveler l’exploit sur le lourdingue “Logic of Chance”, Scroobius Pip continue de ramer en solo. Bien que futé sur le plan des lyrics, il pose son flow lucide sur des instrus électro-rock redondants, bâtis la plupart du temps sur des riffs patauds. La présence de Sage Francis sur Let Em Come ne conjure en rien le naufrage, pas plus que la progression à la Canned Heat de The Struggle. Quand Scroobius Pip ralentit le tempo (Broken Promise) ou tente vaguement d’imiter Tricky (Feel It), on trouve bien de quoi se sustenter, mais on en vient à se demander si le bonhomme avait plus d’un bon album en stock.


Spank Rock – Everything Is Boring & Everyone Is a Fucking Liar



Cinq ans se sont écoulés depuis “YoYoYoYoYo”, album au titre aussi repoussant que celui du dernier en date. Dans l’intervalle, le rap révolutionnaire du MC américain, parmi les pionniers dans l’art du crossover électro-rock, est devenu monnaie courante, et ses digressions dancehall n’amusent plus que lui. On ne sait quelle espèce de seconde degré préside à un titre comme #1 Hit, mais on y reste clairement imperméable. Certes, on admet le talent du bonhomme pour proposer quelque chose de radicalement différent et force est de reconnaître qu’il explore son côté déjanté jusqu’à la dernière extrémité (Baby et Hot Potato sont vraiment dingos, Birfday donne même le tournis) ; malheureusement, il faut bien se rendre à l’évidence : sur “Everything Is Boring...”, on s’ennuie presque à tous les coups.


Wale – Ambition



Ici aussi, le titre du disque en dit assez. Parti d’un premier album déjà peu porté sur l’économie de moyens, le rappeur de Washington revoit à la hausse sa folie des grandeurs. Mais l’ambition manque de charme et, aux samples de Yann Tiersen qui avaient surpris sur l’excellent “Attention Deficit”, Wale a cette fois préféré un gros son aguicheur, à la mesure de l’egotrip géant auquel il se livre le long de ces 16 titres. En l’espace de trois plages, il faut se farcir les featurings consécutifs de Ne-Yo, Big Sean et Rick Ross, soit tout ce que le hip-hop américain compte de balourds analphabètes. Aussi, malgré une poignée de bonnes choses alimentées aux racines soul (Don’t Hold Your Applause, Lotus Flower Bomb, Sabotage) et un vrai morceau de rap hypnotique (Legendary), trop d’ambition tue l’ambition.


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