Accueil > Critiques > 2011

The Black Keys - El Camino

lundi 12 décembre 2011, par Laurent

Autoradio


Au fond, peut-être que Dan Auerbach et Patrick Carney ont lu notre critique de “Brothers” et qu’ils ont tenté de suivre à la lettre le conseil qu’on leur glissait à demi-mots : faire plus court et plus pop. On reprochait à leur précédente galette de contenir un tube énorme qui, comme par hasard, était le seul morceau produit par Danger Mouse ; ce coup-ci, Brian Burton est crédité à la composition de tous les titres, officiellement promu au rang de troisième membre du duo. On déplorait le fait que “Brothers” dilue l’intérêt le long d’un tracklisting interminable et ce septième album boucle l’affaire en 38 minutes. Bref, on aurait voulu savoir à quoi aurait ressemblé le disque de nos fantasmes et c’est celui que les Black Keys nous servent aujourd’hui.

Pour autant, ne pas s’imaginer qu’“El Camino” est le chef-d’œuvre des garagistes de l’Ohio. Loin s’en faut. On voulait un disque de blues passé à la moulinette pop, ça c’est fait. Le problème, tel qu’on le découvre en l’occurrence, c’est que tout cri primal plongé dans un bain de paillettes en ressort franchement émoussé. Et on en vient à se demander, en boule d’ingratitude, ce qu’aurait donné le même album en moins léché. D’autant que ces nouveaux penchants FM, tout efficaces et galvanisants qu’ils soient, tentent un peu vainement de se cacher derrière un simulacre de crasse qui tient pour le coup de la posture, voire de l’imposture.

On sait que les Black Keys viennent d’une cave mais ça fait longtemps qu’ils en sont sortis et leur manie de se barbouiller au cambouis pour faire plus rock ressemble à la démarche inverse, quoique parfaitement similaire, des aficionados du banc solaire. Comme le van de sa pochette, d’une laideur un peu trop étudiée pour paraître honnête, “El Camino” se donne du mal pour sonner authentique. Pourtant, si la carrosserie a l’air d’un vieux tas de tôle froissée, le moteur continue quant à lui de ronronner. C’est de la bonne vieille mécanique ricaine, qui a piqué pour le coup la plupart de ses pièces détachées à l’usine à hits anglaise.

Little Black Submarines joue sur le schéma classique de la ballade à la Led Zep, se rêvant d’abord en douce berceuse avant l’explosion des cordes hurlantes ; Hell of a Season ou Money Maker n’auraient déparé aucun album des Arctic Monkeys, quand le refrain de Nova Baby convoque même carrément la britpop des années nonante. Et puis surtout, il y a le grand plongeon glam de Gold on the Ceiling, avec son ancestral riff en mi entendu 666 fois, de Jean Genie à la La Fille du Père Noël. Pour sûr, les Black Keys savent comment faire tourner la machine à 8000 tours/minute, et pour qui n’est pas trop regardant à la peinture, ça fume juste comme il faut sous le capot. « Play loud », nous assène le sticker promo.

Le van roule à fond, bébé : le nouveau Black Keys n’a pas choisi son titre par hasard. « Le chemin », comme celui parcouru depuis leurs débuts négligés jusqu’à cet aboutissement nettement plus lisse... ça en fait des miles au compteur. C’est aussi la route qu’on est prêt à tailler en écoutant ce recueil forgé pour l’autoradio. Ouvre la capote, on fonce sur la 66 : quand le poil leur aura poussé ailleurs que dans la main, ces Keys de contact pourraient bien devenir les nouveaux ZZ Top. Avec des titres comme Dead and Gone ou Stop Stop, il n’y a plus qu’à taper des mains sur la portière et se laisser avaler par les bandes blanches. Vous avez dit White Stripes ? Non, plus rien à voir désormais avec les obsessions vintage. Cheveux au vent, mais surtout dans le vent.

Et qu’est-ce que tout ça fonctionne bien ! Comment écouter Lonely Boy sans parvenir à lever le petit orteil ? N’importe qui se mettrait à danser le funky chicken au son de ce refrain démesuré. Comment rester insensible à Sister et à son charme incestueux ? Comment, enfin, ne pas entendre dans Run Right Back le tube monstrueux du disque, celui que les Black Keys pondent dorénavant une fois par album ? Pour sûr, on rangera “El Camino” dans l’étagère sitôt la carriole garée dans l’allée et, s’il ne marquera pas l’année d’une empreinte indélébile, cet album donne à tout le moins un aperçu des fulgurances pop dont le groupe est capable quand il se laisse tenter par l’exercice. Dommage, évidemment, que l’âme semble passée pour sa part aux abonnés absents.


Répondre à cet article

4 Messages

  • Tinariwen - Tassili

    On avance
    Avancer dans le désert avant que le désert n’avance sur toi. À ce stade d’un parcours où sa vision du blues ne semble pas avoir dévié d’un grain de sable, Tinariwen continue pourtant d’aller de l’avant. Et jamais le groupe touareg n’a été plus fascinant, jamais sa musique n’a atteint d’aussi hautes dunes de beauté hypnotique. Reconnus aujourd’hui comme citoyens maliens par un (…)

  • Charles Bradley - No Time for Dreaming

    Fièvre et langueur
    Les Dap-Kings sont vraisemblablement à la musique soul ce que Jon Spencer est au rock’n’roll : d’irréductibles résistants qui ont toujours su entretenir la flamme sacrée du genre bien avant qu’il ne revienne en odeur de sainteté, quitte à s’inscrire en porte-à-faux des goûts du jour, jouer les essuyeurs de plâtre pour ne récolter, au final, qu’un maigre salaire pour leur (…)

  • Cee Lo Green - The Lady Killer

    Crac-boum-hue
    Ne soyons pas bégueules : Fuck You, le gros carton de la rentrée, est un des meilleurs singles de l’année. Beaucoup moins niais que le tube du même nom chanté par Lily Allen, nettement plus chaleureux que l’invective lancée auparavant par Archive, le majeur tendu de Cee Lo Green possède l’élégance des grands classiques Stax et chercher à y résister relèverait de la pire (…)

  • Plan B - The Defamation of Strickland Banks

    Bon plan
    Il est toujours intéressant de constater que ce qui fait la pluie et (rarement) le beau temps outre-Manche n’aura pas si souvent les faveurs du continent. Vu d’ici, cela semble parfaitement logique mais musicalement parlant, cela tend à prouver que les cultures locales ne cessent de s’émanciper par rapport à l’antique modèle anglo-saxon. Disons en tout cas que contrairement à (…)