Accueil > Critiques > 2013

The Knife - Shaking The Habitual

vendredi 19 avril 2013, par Marc

Panique sur le dancefloor


Une absence aussi longue, c’est l’obligation de se remettre en question. Parce qu’on n’a plus eu de véritable album de The Knife depuis Silent Shout en 2006. Ce slow burner est un de ces albums qui manifestent une volonté de ne pas exploser, et prenait un malin plaisir à nous montrer après coup qu’il y a eu extase. Depuis, on les avait suivis de loin sur l’assez aride Tomorrow, In A Year qui montrait qu’ils ne nous feraient pas un virage pop putassier. Le public est visiblement encore là, comme en témoigne la vitesse de vente des places de concert.

La période ne permettrait pas les longs feulements d’I Feel Love. A la place, on a un très long et paradoxalement défoulatoire coïtus interruptus de plus de 9 minutes sur l’estomaquant Full Of Fire. C’est une attaque frontale, mais avec un peu de mousse sur le bélier. On défonce la porte, certes, mais dans un bruit sourd. Et puis il y a ces ajouts délirants. Mais on n’est pas dans le long délire d’un Yeah (Crass Version), mais dans quelque chose de bien plus inquiétant. On retrouve cette euphorie un peu flippante de train qui s’emballe sans qu’on sache vraiment si les rails sont correctement placés. Ils arrivent en tous cas à impeccablement en gérer la complexité. Ce n’est jamais ennuyeux parce que jamais vraiment répétitif. Cet album peut d’ailleurs se réveiller à tout moment, le temps d’un Networking et son beat maladif. On épinglera aussi le dense et sombre Wrap Your Arms Around Me ou le lancinant Raging Lung.

Les morceaux démesurés, c’est sans doute pour faire un tri. Car, au-delà de la pose, il va falloir venir chercher cet album, et on n’acceptera pas les avis péremptoires sur un single éventuel. C’est que les morceaux sont longs. Voire très longs (une pointe à plus de 19 minutes), ce qui est plus l’habitude dans un post-rock orthodoxe que dans ce qui est encore considéré comme de l’electro. Fans de Soldout, vous risquez de ne pas être à la fête. N’attendez cependant pas à ce que ces longues plages soient passionnantes. Ce n’est étrangement pas ce qu’on attend d’elles. Parfois, j’aime comprendre ce qui m’attire ou me repousse. Parfois aussi, j’aime me laisser guider par ma fascination. Parce que je me rends compte que quand il est question de ressenti, ma faible palette d’expression est un peu obsolète. Étrangement, plus c’est cérébral plus le ressenti a d’importance. Old Dream Waiting To Be Realized est certes moins exigeant, mais on ne voit pas trop l’intérêt de mettre cette longue plage (19 minutes donc) de dark ambient sans réel enjeu.

Mais ils arrivent à garder une forme compacte à certains exigeants interludes. Crake ne vous brisera les oreilles que 54 secondes qui sembleront plus longues. Une escapade arty à bon marché ? Que nenni, il y a de l’effort à prévoir. Si je ne suis jamais arrivé à bout des récents Björk, Sufjan Stevens, Scott Walker ou Joanna Newsome, j’ai pris du plaisir à écouter (du moins en partie) cette double livraison de la famille suédoise.

Ils auraient pu sans doute grouper les morceaux plus courts et accessibles sur un album dense et passionnant et le reste sur un second que personne n’aurait écouté. Mais l’ensemble et sa perception en auraient été radicalement différents. Ceci dit, à l’heure des playlists, il vous sera encore loisible de faire votre sélection pour que vos petits nerfs tiennent le coup. Les miens en ont vu d’autres (Einsturzende Neubauten et toute la clique) mais Fracking Fluid Injection m’évoque plus la rééducation par la torture auditive que le plaisir d’écoute. Une dose moins importante de bruit m’aurait donc bien mieux convenu. Si vous trouvez que Xiu Xiu, c’est trop commercial, vous aurez une tolérance supérieure à ceux qui ne connaissent du duo qu’une poignée de remixes.

A la fin de l’écoute, on ne serait pas tout à fait surpris de recevoir un diplôme ou une trace quelconque de preuve. Un peu comme pour distinguer ceux qui parlent des Bienveillantes et ceux qui l’ont effectivement lu. Il y a de tout sur cet album, des raisons de s’irriter comme d’être impressionnés. Débarrassé de ses interminables intermèdes, cet album pourrait être bien plus convaincant, surtout que sur plusieurs titres, The Knife domine son sujet de façon vraiment époustouflante. C’est le prix d’une certaine intransigeance, à vous de voir si vous êtes d’attaque. Sur 50 minutes, on tenait un des albums de l’année. Sur 98, c’est plutôt une épreuve qui réserve ses gratifications.

    Article Ecrit par Marc

Répondre à cet article

  • Fabrizio Modonese Palumbo - ELP

    Peu d’artistes se sont révélés aussi vite omniprésents que l’impeccable Fabrizio Modonese Palumbo. On a plongé dans sa collaboration avec Enrico Degani, découvert qu’on l’avait croisé chez Almagest ! puis réécoutés avec Larsen, en [collaboration avec Xiu Xiu, en tant que ( r ) ou maintenant sous son nom propre. Le tout en moins de deux ans.
    L’album dont il est question aujourd’hui est une collection de (...)

  • Muet – Electrochoc (EP)

    On avait déjà confessé un goût prononcé pour ceux qui abordent la chanson française avec des envies résolument indé. Dans ce contingent, Volin nous avait beaucoup plu et on retrouve son leader Colin Vincent avec plaisir sur ce nouveau projet. Si on retrouve la même propension à garder des textes en français sur des musiques plus aventureuses, le style a un peu changé.
    Accompagné de Maxime Rouayroux, (...)

  • you.Guru - UNtouchable

    Si on ne reçoit qu’avec parcimonie des nouvelles musicales de Pologne, force est de constater que celles qui nous parviennent sont toujours au minimum dignes d’intérêt (The Bullseyes, Izzy and the Black Trees) et on ajoute You.Guru a la liste.
    Ce que propose le trio n’est vraiment du post-rock, mais un rock instrumental enlevé, pulsé. Un genre de math-rock qui serait allé se promener ou du Holy Fuck (...)

  • Sandor - La Médaille

    Il y a belle lurette qu’on célèbre des artistes provenant de la confédération helvétique. De Bitter Moon à Ventura en passant par Gina Eté, Odd Beholder ou Fai Baba, il y a clairement de quoi faire. La liste est longue et compte maintenant un nouveau non à retenir.
    Quand on pratique un style électronique, il faut soit être fort subtil ou s’arranger pour que ça claque. C’est clairement la seconde option (...)

  • Josefin Runsteen - HANA Three bodies (Original Soundtrack)

    Même si on n’est pas exactement un service public, un peu de gai savoir s’impose parfois. Le Butoh est une danse de performance minimaliste créée au Japon en 1959. La danseuse suédoise Frauke a donc demandé à sa compatriote Josefin Runsteen de créer une bande-son pour une performance et c’est ce qui constitue l’objet musical du jour.
    La lisière entre les musiques électronique et classique est (...)

  • Annika and the Forest - Même la Nuit

    On l’avoue, un talent féminin éclectique et un peu électronique, c’est quelque chose qui nous plait. On peut penser à Bat For Lashes, Harrys Gym, Jeanne Added, Odd Beholder ou autres et on ajoutera donc la Suédoise Annika Grill et son troisième album.
    On est d’emblée mis à l’aise par un petit air de Metric dans leurs moments les plus gorgés de beats et de guitares combinées (Thinking Crazy). On (...)

  • Frida Hyvönen - Dream of Independance

    Ce n’est pas parce qu’une artiste nous a marqués fortement qu’elle ne peut pas échapper momentanément à notre radar. Ils faut dire que si certaines de ses productions plus récentes que son album d’il y a 9 ans ne se sont pas signalées, c’est aussi parce qu’elles étaient chantées en Suédois. Et puis la toute dernière fois qu’on l’avait aperçue, c’était aux côtés de First Aid Kit pour une soirée hommage à (...)

  • First Aid Kit - Ruins

    Elles en ont fait du chemin, les Suédoises de First Aid Kit. Il y a un peu plus de 8 ans, on les découvrait dans une petite Rotonde en ouverture de Megafaun et Port O’Brien et maintenant elles jouent à guichets fermés après une expatriation réussie aux Etats-Unis. La recette marche donc et les sœurs Klara et Johanna Söderberg n’ont visiblement pas l’intention de la changer. Deux voix à l’unisson, des (...)