vendredi 13 mai 2016, par
Les tentatives de jeter des ponts entre la musique classique et la musique pop sont légion, et les résultats souvent mitigés. Notamment parce qu’on ne joint pas ces deux extrémités en n’en prenant que les côtés symphoniques. Dans un passé récent cependant, des artistes comme Clogs ou My Brightest Diamond ont tenté l’hybridation avec succès. Mais l’ambition de Rufus Wainwright va encore plus loin.
C’est le metteur en scène Robert Wilson qui a le premier demandé des musiques pour un spectacle basé sur des sonnets de Shakespeare en 2009. Puis il a répondu à la demande de l’orchestre symphonique de San Francisco de mettre en musique cinq de ces sonnets. On en entendait déjà trois sur l’album All Days Are Nights : Songs for Lulu de 2010 et bien franchement, leurs versions plus dépouillées ne ressortaient pas plus que ça de cet album plus mélancolique et un rien plus terne. Il a donc décidé de célébrer à sa façon les 400 ans du décès de Shakespeare et a préféré l’apposition à la fusion. On conviendra d’emblée qu’il s’agit d’une bonne idée.
On alterne donc les morceaux musicaux et les déclamations, proposant les mêmes sonnets sous plusieurs moutures, mettant clairement le texte au centre du débat. Les lecteurs sont assez panachés puisqu’on y entend aussi bien des acteurs de théâtre que de cinéma comme Helena Bonham Carter, Carrie Fisher ou William Shatner. Voilà qui devrait lui accorder une certaine crédibilité geek.
Et les morceaux lyriques sont abordés au premier degré, sans tentative d’hybridation ou de modernisation forcenée. Alors on se croit parfois sur Musiq3, c’est certain, mais force est de constater qu’on ne voit jamais les coutures. De plus, pour vraiment confirmer tout ça, cet album est sorti sur Deutsche Grammofon. Ce qui lui permet sans doute de compter sur des interprètes de premier choix. Bien que n’étant pas spécialiste, on ne peut qu’être emporté par les prestations de la soprano Anna Prohaska qui donne un souffle inespéré à quelques-uns de ses morceaux (cette fin de Farewell). Mais il fallait des morceaux à la hauteur, pour ne pas laisser ces voix exceptionnelles en rade.
Parmi ceux-ci, on épinglera A Woman’s Face, qu’elle porte de bien belle façon. On retrouve ici une mélodie proprement renversante qu’il défend aussi lui-même. Certes, on ne l’avait pas trop repérée sur All Days Are Nights : Songs for Lulu mais elle attendait sans doute son heure, tout simplement. C’est sans doute un morceau qui fonctionnera très bien sans le contexte de l’album. Tout comme When In Disgrace With Fortune and Men’s Eyes (Sonnet 29) qui rappelle une vérité qu’on avait oubliée. Avant d’être un gadget pour DJ bas du front (Calvin Harris, ce genre) et de donner dans la démonstration, Florence Welsh est tout simplement une grande chanteuse. Rarement autant que sur ce morceau elle n’a eu l’occasion de briller et de montrer une élasticité vocale qu’on n’a plus guère entendue depuis Mélanie.
Si vous pensez que Benjamin Biolay, Konstantin Gropper ou Owen Pallett (on en est proche sur Take All My Loves (Sonnet 40)), c’est le plus fin en matière d’arrangements, sachez qu’il y a encore un étage au-dessus vers le classique. Ou vers autre chose avec l’hénaurme Unperfect Actor qui part sur une déclamation d’Helena Bonham Carter avant que les guitares ne déboulent pour Rufus et sa sœur Martha. Il le laisse retomber pour mieux finir ce morceau ébouriffant.
All Dessen Müd est même chanté en Allemand, ce qui en l’occurrence nous fait tout de suite penser à Berthold Brecht. Il y reçoit le renfort de Christopher Nell et Jürgen Holtz. Notons aussi qu’en sus du classique et de la pop, une autre inclination de Rufus (et pas la nôtre) est la comédie musicale. Ce qui fait que le final Farewell et For Shame sont assez chargés.
Cette mise en musique de sonnets de Shakespeare montre clairement que la compétence permet l’ambition sans devoir subir la prétention. En s’attaquant à un patrimoine indiscutable, il a trouvé facilement des textes vibrants et brillants qu’il fallait encore enrober de belle façon pour ne pas sombrer dans l’opportunisme. Cet album vraiment inhabituel pourra peiner à trouver son public puisqu’il propose un grand écart frontal avec les pieds sur des chaises. Prises individuellement, il distille nombre de pépites et prouve s’il était besoin à quel point Rufus est doué.
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