vendredi 10 juin 2022, par
En général, quand plusieurs années passent entre deux albums, on se demande à quoi les artistes ont consacré leur temps, tout simplement parce que leur emploi du temps nous est inconnu. Nécessité faisant loi, Jonathan Meiburg s’est lancé sur Patreon, ce qui a pour effet secondaire de nous connecter avec son actualité. En plus de donner accès à des reprises minimalistes qui, filmées et enregistrées au téléphone, touchent souvent au sublime.
Si plus de six années se sont déroulées depuis le dernier album studio Jetplane and Oxbow, qui avait lancé l’idée de reprises de Bowie, d’une relecture de Lodger puis de la trilogie berlinoise en entier. C’était sur cette piste-là qu’on avait laissé le groupe. Mais on sait depuis longtemps que cette volonté de grandeur n’était pas l’aspiration unique de Jonathan Meiburg.
Il existe en effet quelques albums ambient de très bon aloi qui mine de rien façonnent le son de cet album. Meiburg s’est aussi mué en auteur avec A Most Remarkable Creature dont je recommande la lecture même si le monde des oiseaux n’est pas exactement un centre d’intérêt à la base (c’est mon cas). Les références zoologiques pullulent ici aussi, c’est un trait de toujours de la formation. Et surtout il y a Loma dont le rayonnement dépasse celui de Shearwater. Donc, si c’est par ce biais qu’on a fait connaissance avec l’immense talent et la personnalité complexe de Jonathan Meiburg, ce n’est plus nécessairement l’occupation principale de l’intéressé.
Comme l’album a été financé par une campagne Indiegogo, ça fait donc six mois qu’on fréquente cet album, temps inhabituel pour une critique. On a déjà dit à quel point le concept de critique objective est illusoire et c’est encore plus vrai ici avec tout ce qui précède. Il faut s’investir un peu pour tirer tout le suc de cet album mais vu l’imposant historique qui nous lie, on a tout de suite adhéré à cet album qui regorge de beauté, pas vraiment cachée.
Tous les projets mentionnés ci-dessus ont forcément un impact sur la gestation de cet album qui pouvait faire du Shearwater sans empiéter sur toutes les expériences récentes. Et de fait, c’est un franc retour aux fondamentaux auquel on a droit. Mais ce n’est pas non plus identique à ce qu’on connait d’eux (de lui ?) vu que par exemple on retrouve à une moindre mesure la dimension héroïque. Ou différemment, Highgate est tout de même plus engagé que du Loma. Notons d’ailleurs que Dan Duszynski est à la production et Emily Cross réalise les clips, cette bande-là (à laquelle on ajoute Emily Lee et Josh Halpern) assure une transition en douceur avec Loma. On avoue rêver d’une tournée commune...
On avait décelé sur les deux albums sortis après l’insurpassable trilogie que l’intimité n’était plus la priorité mais elle fait un retour marqué ici. L’héritage plutôt folk est moins perceptible mais toujours présent, dans les cordes d’Everyone You Touch par exemple. Detrivore est lui aussi un pur morceau de Shearwater jusque dans ses suites d’accords. Quant à Xenarthan, il se place dans sa longue lignée de morceaux au bord du précipice mais n’explosent jamais. Wind Is Love prend est de ceux qui osent carrément prendre la tangente.
Cette musique ne s’écoute pas prioritairement en sourdine donc, il y a de l’espace ici, des subtilités qui pourraient se perdre. Il y a des vagues de sons qui prennent toute leur saveur, comme les cordes sur bien des morceaux comme No Reason. Mais il y a surtout cette voix de Meiburg, cette sensation que ses possibilités de modulation sont infinies. Lui peut assumer ces lignes de chant parfois tortueuses, chemins de lumière dans une musique plus inquiète (très beau Laguna Seca). Un morceau comme Aqaba tient beaucoup là-dessus et la première note de l’album est d’ailleurs sa voix.
Un album de Loma avec la voix de Jonathan alors ? Ce n’est pas inexact, mais ce n’est pas vraiment ça non plus. Si ce sont les ambiances qui sont importantes, Shearwater, ce sont des ruptures, abruptes, telluriques, viscérales. Si le lyrisme parfois incroyable de Shearwater n’est plus vraiment le plan de base, on décèle tout de même quelques moments de bravoure comme Empty Orchestra, le genre de morceau qui nous mène au bord de nous-mêmes et qui ont rendu ce groupe tellement indispensable et confirme la nature érectile du poil. Nouvelle phase dans l’existence du groupe qui a commencé sous l’égide de deux membres d’Okkervil River (Meiburg et Will Sheff), The Great Awakening marque un virage sonore qui profite de beaucoup des pistes tracées par des morceaux ambient et des projets parallèles et surtout renoue avec une émotion pure qui nous avait un peu manqué sur les derniers albums de Shearwater. C’est donc un grand album, tout simplement.
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