vendredi 9 mars 2007, par
Les Canadiens reprennent la main
Le principe même de critique objective est un oxymoron. Mais dans certains cas, le subjectif prend le commandement, sur accord tacite de l’esprit critique qui trouve aussi son compte. Ne comptez donc pas sur moi pour une description clinique du second album d’Arcade Fire. A l’instar de beaucoup d’autres en effet, je suis de ceux qui ont été renversés par le groupe canadien.
Funeral m’avait accroché l’oreille, dès la première écoute suggérée par le NME. La folie avait déjà balayé le nouveau monde et s’apprêtait à faire de même avec la vieille Europe. Je dois avouer que j’avais un peu flairé le coup mais pas complètement.Ma critique de l’époque me semble aujourd’hui bien indigente. C’est que j’avais essayé vainement de trouver des points de comparaison auxquels me raccrocher. Maintenant, on peut faire l’économie des références externes. Une bonne critique ne sera possible que dans quelques mois, munis d’encore plus d’écoutes et moins désorientés. Considérez ceci comme une première – trop longue - mouture.
La confirmation m’est venue en concert. Alors que leurs dégaines de famille Adams pouvaient laisser craindre un moment glauque, The Arcade Fire donne sa pleine mesure sur scène. Ces chœurs qui ne se conçoivent qu’hurlés, ces instrumentations multiples, la folie des musiciens pour qui un casque est un instrument de percussion tout à fait acceptable quand il est porté par un claviériste, l’émotion pure de la chanteuse qui fait de The Back Seat un moment tellement intime qu’il confine à la douleur, tout est fait pour les rendre inoubliables. Leur première prestation belge, au cirque royal, était de ces instants trop rares d’où on sort en maintenant le silence longtemps encore, soucieux qu’on est de garder fraîche la trace de ce qu’on a reçu. Au vu des concerts récents captés par des passionnés, leur forme a l’air intacte. Assez pour nous faire compter les jours qui nous séparent de leur passage aux Halles de Schaerbeek.
Funeral, on l’a dit, a remporté un succès critique rarement atteint, faisant des Montréalais les acteurs essentiels de la musique indie. Il faudra d’ailleurs qu’on se penche un jour sur cette notion. Je me bornerai à parler de la musique populaire à destination de ceux qui font attention à ce qu’ils écoutent. Des plus snobs aux plus ouverts. C’est que The Arcade Fire arrivait à un bon moment pour combler un vide. Si une certaine forme de rock brut reprenait du poil de la bête (The Libertines, The White Stripes), il manquait cette musique qui s’adressait directement à l’émotion. Funeral, à parler franchement, comporte des défauts, comme un enregistrement perfectible, quelques titres un peu plus dispensables, mais il a des moments de grâce tels que le plus ronchon doit s’y rallier. La sincérité y est cultivée comme une vertu cardinale qui a été perçue par tous.
Cette introduction inhabituellement longue veut montrer à quelle pression a dû être soumis le groupe au moment de lui donner un successeur. Ils ont assuré ça à leur façon, en se mettant au ‘vert’ dans une église transformée en studio et en donnant peu de signes de vie pendant la gestation. La sphère des blogs est des sites musicaux, qui avaient largement contribué à la diffusion de leur musique, a encore grossi dans l’intervalle, ce qui contribue à rendre l’attente encore plus fébrile.
Le temps d’apprécier la pochette de la version plus élaborée, très réussie avec son hologramme, et on est parti pour une première écoute. On avait beau avoir une idée de la direction prise grâce aux titres disponibles, on est quand même un peu surpris. Par le son d’abord, plus gros et dense, par la diminution des violons, par la noirceur des thèmes. Mais la cohérence, l’enchaînement sans faille des morceaux séduisent d’emblée. On sait tout de suite qu’on va passer un long moment en compagnie de cet album.
Car si le son est gonflé, il ne l’est pas dans des visées de stade, comme beaucoup de groupes qui ne sont passés par la case indie que pour sélectionner le public des stades (Placebo ou Muse qui prennent un coup de vieux), mais pour donner plus de force au message. Certes des morceaux comme Wake up ne faisaient déjà pas dans l’humilité, au point d’être choisi par ce petit groupe d’Irlandais qui montent, U2, pour entamer leurs petites sessions intimes devant un petit parterre de privilégiés, mais l’inclusion d’orgue relève encore le tout. On n’ose même pas imaginer à quoi ressemblerait Neighborhood #3 avec un traitement pareil. Ce sont donc les titres qui prennent le plus aux tripes qui séduisent le plus vite, Intervention ou Black Waves/Bad Vibrations en plus des deux derniers dont on reparlera. Mais au fil des écoutes, on se rend compte qu’il n’y a pas de moment de faiblesse sur cet album. Que le moindre morceau plus anodin d’aspect cache des trésors de créativité. (Antechrist Television Blues) ressemble à un boogie standard ? Les chœurs finaux, qui ont le bon goût de ne pas se mettre en avant, sont originaux. Si le violon d’Owen Pallett (de Final Fantasy, mon album de l’année 2006) me manque un peu, les arrangements qu’il a commis sur Black Mirror, Keep The Car Running ou No Cars Go sont très bons. Les cordes ou autre accordéon sont alors suppléés par des cuivres, des chœurs ou carrément grandes orgues.
Alors que beaucoup de morceaux de Funeral se terminaient en passages instrumentaux entraînants mais un peu vains (restes de leur manière plus folk), les finaux sont ici plus denses et cohérents avec les chansons qui les contiennent. On peut ainsi profiter de cuivres presque mariachi sur Ocean Of Noise (une des grandes réussites). Comme beaucoup de leurs coreligionnaires de l’excellente scène musicale canadienne (Godspeed You Back Emperor, Broken Social Scene, Do Make Say Think), ils sont à l’aise dans les changements de rythme. Comme ils n’abusent pas du procédé, la dualité de Black Waves/Bad Vibrations ou la complexification d’Intervention fonctionnent.
On peut dire aussi que les voix ont beaucoup progressé. Celle de Win Butler s’est affirmée, peut très bien se cantonner à la sobriété quand le morceau l’exige (Neon Bible). Celle de Régine (sa femme, rappelons-le), se cantonne plus souvent aux chœurs, venant renforcer les arrangements.
On sait que Funeral devait son nom à la série de deuils qui avaient touché Win et Régine, qui avaient quand même décidé de convoler. Neon Bible est le titre d’un livre de Peter Kennedy O’Toole. Les thèmes restent sombres, très voire trop sombres. Evidemment, la sincérité d’Arcade Fire n’est pas à mettre en doute, mais personnellement je trouve parfois un peu exagérées certaines saillies comme Mirror, mirror on the wall/Show me where the bombs will fall (Black Mirror), Not much chance for survival/If the neon bible is right (Neon Bible), Every spark of friendship or love/Will die without a home (Intervention). On a même droit à I don’t want to work on a building downtown/No I don’t wanna see when the planes hit the ground (Antichrist Television Blues). Joie et farandole à tous les étages quoi
En voyant No Cars Go figurer sur la track-list, je dois bien avouer que j’ai eu un petit stress. C’est que ce morceau, présent sur leur premier EP constituait un de leurs meilleurs moments. Il était en outre un moment de pure intensité en concert. J’ai dû écouter un nombre incroyable de fois la version des Black Sessions de France Inter. La remontée sur quelques notes de violon est imparable même à la cinquantième fois. La volonté ici est de proposer une version définitive, un peu pompeuse, certes, mais carrément soufflante. Les dernières minutes sont simplement imparables. J’ai une pensée émue pour ceux qui ne connaissaient pas ce titre avant cette version. Il doit avoir eu de fameuses surprises. Le groupe qui a réussi ça peut splitter, aller en retraite dans un monastère tibétain l’âme en paix. L’album pourrait s’arrêter là, avec une note d’espoir qui vient du fait que les thèmes abordés il y a quatre ans étaient plus aérés.
Après ça, My Body Is A Cage fait un peu gueule de bois. Mais repart bravement. Avec une fausse accélération, juste pour tromper l’attention. Et puis la rupture, l’explosion d’orgue (celui de l’Eglise Saint-Jean Baptiste de Montréal) vient nous porter le coup de grâce. Comme les meilleurs sprinters cyclistes qui arrivent encore à accélérer alors qu’ils sont au paroxysme de l’effort.
Le talent est une condition nécessaire mais pas suffisante pour produire de la bonne musique. On peut penser que The Arcade Fire nous dit : Soyez émus, je le veux. Et le pire, c’est que ça marche. Il faut dire qu’ils sont parfois roublards et qu’ils exploitent au mieux leur petit supplément d’âme pour créer l’évènement, comme quand ils reprennent Guns Of Brixton (des Clash) a capella, au beau milieu du public de l’église Saint-John’s. Frisson garanti sinon remboursé.
Si à ce moment de la lecture de cette critique ridiculement longue vous n’avez pas encore compris qu’on est face à un album vraiment important, c’est à désespérer. Mais je suis certain de revenir souvent sur cet album, laissant au temps le soin de faire percoler toutes les richesses ce cet album. J’espère juste avoir évité les pièges de la critique ‘fan de’ en me laissant emporter de la sorte. Quoiqu’il en soit, je vous souhaite bien du plaisir. Un nouvel album qui, tout en capitalisant sur les acquis du passé, continue à être touchant ? Je ne vois que Radiohead pour l’avoir réussi à cette échelle. L’attente est tellement vive que simplement ne pas décevoir rend ce Neon Bible exceptionnel.
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