vendredi 19 février 2010, par
Dans le sens du sang
Parlez à qui que ce soit du film "Philadelphia" et il y a fort à parier que la conversation bifurquera tôt ou tard vers Bruce Springsteen. Il est moins probable en revanche que votre interlocuteur évoque l’autre chanson-titre du long-métrage, pourtant un redoutable tire-larmes : le Philadelphia de Neil Young. Facile pour ce dernier, il est vrai, d’émouvoir en posant son chant le plus castré sur des images de veillée funèbre ou d’enfance volée ; mais ce qui m’a personnellement toujours bouleversé dans cette chanson, c’est l’oxymore sur lequel elle repose : le déjà plus-si-Young-que-ça la psalmodiait avec une sorte de détachement concerné, d’implication distante, qui caresse le cœur dans le sens du sang. En la reprenant sur son dernier album, Peter Gabriel joue bien plus ouvertement sur la fibre affective : instrumentation hollywoodienne, envolée gémissante, il commet là la seule faute de goût de ce qui constitue, du reste, un disque magistral.
Osons le dire tout haut, Peter Gabriel est peut-être, avec David Bowie, le seul artiste majeur (entendez : plébiscité par le grand public) à avoir parcouru quatre décennies de musique populaire en étant resté sinon cohérent, du moins résolument moderne et exigeant. Le voir s’attaquer aujourd’hui à l’exercice a priori passéiste de l’album de reprises ne surprendra qu’un temps. Le temps de l’écouter, à vrai dire. D’abord, si les arrangements sont globalement pompiers – le concept casse-gueule de l’album rock avec orchestre philharmonique, pitié – il serait vain de les traiter de prétentieux. Car ils confèrent d’une part au disque son homogénéité (le parti pris oulipien d’abolir toute guitare ou batterie, souvent au profit du piano) et rappellent d’autre part la qualité première de l’artiste. L’archange Gabriel (facile !) est en effet un des derniers spécimens de cette race moribonde : les purs esthètes. Je ne pense qu’à Christophe Bevilacqua pour oser, à ce point, creuser le sillon de la beauté décomplexée en vue d’atteindre, parfois, le sublime.
L’ex-Genesis y parvient d’entrée de jeu avec une relecture grandiloquente, mais habitée jusqu’aux tripes, du Heroes de son camarade intemporel. On sent que le tracklisting vise haut, d’autant que l’interprète a la carrure et la carrière pour s’y frotter ; Lou Reed, Paul Simon ou les Talking Heads passent ainsi à la moulinette symphonique et Gabriel transcende chaque version par la justesse systématique de ses angles d’approche. On y est : ce paradoxe de la distanciation imprégnée, de l’emphase dans la sobriété, il parvient lui aussi à l’imprimer à toutes ses interprétations, et la beauté naît assurément de ces rencontres improbables. Jamais autant, cependant, que lorsqu’il rend visite à la jeune génération. Preuve que Scratch My Back n’a rien d’un disque passéiste, la moitié des morceaux repris datent en effet de notre siècle.
Seul emprunt à la gent féminine, Après Moi transforme la composition de Regina Spektor en litanie apocalyptique, tandis que les somptueux arrangements de Mirrorball rendent le plus bel hommage aux sous-estimés Elbow. Plus étonnants, le remake down-tempo et hyper décalé (faux ?) de Radiohead sur Street Spirit ou la présence d’un titre de Magnetic Fields (The Book of Love)... qui présente de troublantes similitudes avec le So Cruel de U2. Mais les sommets sont sans doute atteints avec l’introduction dépouillée, déchirante, d’un Flume que Bon Iver ne chantait pas avec plus de grâce, et puis cette transcription hallucinée de My Body Is A Cage, morceau qui clôturait de façon féerique le deuxième album d’Arcade Fire. L’arrangeur néo-zélandais John Metcalfe l’a envisagé ici sous un angle incroyable, la chanson donnant plusieurs fois l’impression de s’éteindre avant de renaître encore plus flamboyante, sous l’impulsion d’un Gabriel très en voix et de violons presque en sang.
Beaucoup resteront sans doute hermétiques à cet album, se sentant moins pris à la gorge que par la gorge à force d’effractions violentes dans l’âme et la chair, de provocation tapageuse des émotions les plus pudiques. Pourtant, rarement un album de reprises n’a poussé le concept à ce degré d’exigence et d’implication, lui conférant une noblesse qu’on aurait été peu enclin à lui accorder auparavant. Pour Gabriel, l’idée de départ était de joindre un second disque où les artistes réappropriés lui rendraient la pareille, mais la diversité des agendas en fera une partie remise. On bout déjà d’impatience à l’idée d’entendre Neil Young reprendre Lovetown, autre extrait de "Philadelphia", et d’en faire ce que bon lui semble.
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