dimanche 25 avril 2010, par
Couvre-chef d’orchestre
Si vous avez vu le récent lifting infligé à "Alice in Wonderland" par Tim Burton, il est fort possible que vous partiez déjà en courant comme le lapin blanc. Revenez ! Louis Warynski avait choisi son pseudonyme bien avant la prestation bouffonne de Johnny Paradis, et c’est bien le fruit d’une coïncidence si ce "613" est sorti peu ou prou en même temps que le grand-guignol burtonien. Car le truc de ce Chapelier Fou n’est pas tant le haut-de-forme que les formes hautes : celles de la musique classique, qu’il a assimilée et dont il use comme de la plus noble matière première, et d’une électro qui lui sert de biseau pour y sculpter d’étranges comptines. Au lieu de nous visser des feutres sur la tête, Chapelier Fou s’immisce donc dedans et y écrit à l’encre indélébile, car ses compositions obsédantes ont l’art de rendre, effectivement, un peu marteau.
L’idée de mêler ainsi classique et électronique n’a rien de neuf, et depuis Pierre Henry elle a déjà donné lieu à quelques réussites plus récentes, de Jóhann Jóhannsson à Craig Armstrong. Sauf que Louis Warynski est un jeune homme modeste et qu’il n’est pas du genre à faire appel à un orchestre symphonique – ou n’en a pas encore les moyens. Jouant pratiquement seul de tous les instruments, il arrive à distiller de la beauté pure avec parfois trois fois rien, grâce à une synthèse brillante de ses acquis. C’est qu’il a déjà parcouru du chemin depuis son premier EP éponyme sorti il y a deux ans ; il y hésitait encore trop franchement entre le dépouillement et la surcharge, s’en sortant souvent mieux dans le premier cas (Horses, 1’27’’ d’absolu bonheur). Aujourd’hui, Chapelier Fou domine son art et ce premier véritable album se pose en coup de maître.
Le minimalisme engourdi de G Tintinnabulum rappelle d’abord le récent chef-d’œuvre de Four Tet : cette chaleur sourde, ce machinisme vivant, c’est sublime... et puis voilà qu’un riff de guitare nous sort de notre léthargie, avant qu’une batterie n’emmène le morceau dans un territoire presque rock. L’expérience chamboule : on se croirait à mi-chemin entre la rêverie éternelle et des bouffées de réel qui cherchent à nous rappeler à la violence, comme des électrochocs qui nous arracheraient par intermittence à une mort clinique soupirée. Sans aller jusqu’à le comparer à Arvo Pärt – à qui ce titre fait probablement référence – force est de reconnaître à Chapelier Fou la même incroyable science de l’émotion moléculaire. Et encore, ce n’était là qu’un apéritif.
Les Métamorphoses du Vide voient l’invisibilité des infra-basses se parer de pourtours eurythmiques et cette transformation nous emmène dans une valse tourbillonnante. Cadencée par un tintement aliénant, Luggage prolonge un temps le ballet, avant qu’Hémisphère Ouest ne nous rappelle que hors les murs de la chambre, il y a aussi des rues. Plus immédiatement urbain, le titre immerge les gros bras de Bonobo dans le jardin en plastique de DJ Sayem. Plus loin, Warynksi optera encore pour ce type d’électro moins timide, quitte à la déglinguer : malgré ses ressorts qui crépitent de partout, Inside of You se tient ainsi miraculeusement en équilibre, grâce à un violon toujours présent et un sample vocal puisé dans un antique document éducatif parental.
Inutile de dire que parmi son catalogue d’échantillons, Chapelier Fou puise aussi au pays des merveilles – une vieille habitude qui lui aurait d’ailleurs valu son surnom. Ainsi, dans Les Prières à Complies, peut-on entendre Alice s’exclamer que « tout est bizarre », ce que l’on ne pourra démentir eu égard à cet univers sonore aussi déjanté que le Lièvre de Mars. Plus contrôlé mais d’autant moins rassurant, le motif de Grahamophone fait d’abord peser sur l’atmosphère un parfum d’angoisse comme sait les expirer Amon Tobin ; mais, construit sur un schéma plus proche du post-rock, le morceau fait exploser cette tension à mi-parcours et l’électrolyse en allegro.
Conscient de ses propres limites – le chant – Louis Warynski le troque contre un quasi talk-over, par ailleurs trituré comme le reste sur Elle Est l’Eau Qui Fait le Torrent. Témoin supplémentaire de son exceptionnelle musicalité, il faut sans doute voir là une conception de la voix comme un matériau parmi d’autres. Il y a cela dit une vraie chanson sur "613". Quand on voit le nom de Matt Elliott au générique, on se dit pourtant d’abord que l’ex-Third Eye Foundation a voulu revenir un temps à ses fondamentaux électroniques. Nenni : le songwriter de Bristol vient poser, sur Half of the Time, son inimitable chant de naufragé ; trois albums que personne ne le secourt, et c’est toujours aussi captivant de le regarder sombrer. Warynski tente bien de lui offrir son chœur mais au final, pas moyen de rester en surface. Il y a trop de profondeur sur ce disque de Chapelier Fou. Et rien n’est bateau.
Le seul lieu commun, c’est cette comparaison à Yann Tiersen qu’on peut lire un peu partout, et que rien ne justifie ici sinon Secret Handshake. Non, Chapelier Fou est décidément à part. Et lorsque les derniers échos d’ondes Martenot ont fini de hanter Entendre la Forêt Qui Pousse, le silence se vit comme une récompense. Parce que c’est idiot à dire, mais après un voyage aussi remuant, on n’a plus tout à fait la même vision du monde. Pour un peu, on se désolerait même de sa normalité, voire de la nôtre. Ne pas devoir emprunter, aussitôt après "613", les autoroutes formatées du son, permet de prolonger quelque peu la divagation, de pouvoir aussi, peut-être, entendre la forêt qui pousse. Comme tous les albums qui se méritent, celui-ci est affamé de temps. Si vous estimez que le vôtre est précieux, tant pis : « Si tu connaissais le Temps comme je le connais, dit le Chapelier, tu ne parlerais pas ainsi. »
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