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Fursaxa - Mycorrhizae Realm

jeudi 20 mai 2010, par Laurent

Ambient organique


Pour tout dire, je sais peu de choses de Fursaxa, artiste de Philadelphie à la discographie déjà bien formée mais dont je n’ajoute que pour la troisième fois une galette dans ma collection personnelle. “Lepidoptera” et “Alone in the Dark Wood”, ses précédents efforts, suffisaient cependant – et à mon humble avis – à dessiner les contours d’un univers musical assez explicite. Essentiellement instrumentale – la voix étant alors traitée comme telle – cette belle ouvrage ouvrait de larges horizons kaléidoscopiques que je m’attendais à voir encore s’étendre sur “Mycorrhizae Realm” : une ambient organique, sorte de version ancestrale, nue et mystique, de ce que Boards of Canada construit ailleurs par maints artifices.

Sauf que, surprise, la jeune femme n’y crée plus de ces plages enfumées, entre liturgique et lysergique, mais a écrit cette fois de vraies chansons, lentes et étirées, sans doute privées de structures classiques mais indéniablement plus immédiates que les rares essais qui les ont précédées. La pochette de ce nouvel album constitue d’ailleurs un programme in se, rappelant de trop près les visuels de nombreux folkeux sous acides (Le Loup, ce genre), la musique de Fursaxa évoluant quant à elle dans la cour des multi-instrumentistes aux instincts de grandes prêtresses. Et à ce niveau, c’est la claque. Même en continuant de mettre en avant les ambiances, la voix ensorcelante de Tara Burke psalmodie régulièrement des semblants de textes et décoche des flèches en plein cœur.

En totale communion avec la nature, elle donne vie aux éléments, rend intelligibles les messages de la faune, dans un jargon païen où se mêlent traditions amérindienne, celtique ou krishna. Cette évolution patente est le fait, sinon d’une volonté démocratique, à tout le moins d’un regain d’altruisme de la part d’une figure démiurgique qui a souhaité laisser plus d’espace à sa musique pour y accueillir de nouvelles forces motrices. Une harpe et un violoncelle ont ainsi été conviés, sur le mode de la tournante, et ce sont eux qui impriment à ce virage mélodique sa trajectoire lumineuse comme sa grâce apaisée. Les compositions, moins farouches, ne cherchent plus à fuir l’évidence mais s’y fondent au contraire avec volupté.

Possible responsable de cette valeur ajoutée, le concitoyen – et Espers en chef – Greg Weeks a assisté Fursaxa à la production, après avoir appelé à la rescousse sa camarade de chambrée Helena Espvall – violoncelliste des mêmes Espers – pour un résultat vraiment captivant. Des titres tels que Poplar Moon ou Sunhead Bowed rappellent la façon dont une Mariee Sioux pénètre les racines du monde à la faveur de son chant spiritiste, alors que les lamentations fiévreuses de Celosia et Well of Tuhala vibrent du même écho que les prières adressées aux étoiles par Luzmila Carpio. Achronique, immatérielle, insaisissable, cette musique-là dit la nature sauvage, dans ce qu’elle peut avoir de plus beau et de plus inquiétant.

Plus loin, Charlote entrecroise les excursions médiévales de Joanna Newsom et les récits mythologiques de Loreena McKennitt, avant que les bouleversantes polyphonies d’Ode to Goliards ne referment l’album dans un gémissement sublime. La gorge serrée, on écoute Tara Burke déployer la sienne : une fois, puis deux, puis mille, et cet entrelacs est une des plus jolies choses qu’on ait entendu depuis bien longtemps. Une claque, vous disais-je. En sept plages éthérées, tellement impénétrables qu’elles en deviendraient presque absentes, Fursaxa réalise un absolu sans-faute et signe un pur joyau de beauté atmosphérique. Au cours de ce voyage bref mais d’une constante intensité, rien n’est sujet au regret, tout est promesse d’éternité.


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6 Messages

  • Fursaxa - Mycorrhizae Realm 25 mai 2010 13:20, par Benjamin F

    Oui un grand disque qui prend au coeur via des procédés inattendus. Encore une superbe critique btw.

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    • Fursaxa - Mycorrhizae Realm 4 juin 2010 07:43, par Laurent

      Merci dis ! Je découvre seulement à l’instant ton commentaire. Un grand disque en effet - et je tenais d’autant plus à le crier sur les toits que je ne m’y attendais vraiment pas - mais qui risque malheureusement de passer plus inaperçu que la plus inaperçue de tes copines (les fans d’NTM m’auront compris). Possible acte manqué de l’année.

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  • Fursaxa - Mycorrhizae Realm 21 juin 2010 22:44

    je dirais même que par moment ca ressemble a du dead can dance. assez organique avec une vois de lisa gerrard. frissons garantis.

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  • Fursaxa - Mycorrhizae Realm 25 septembre 2010 07:33, par hervius

    Album sympathique, sans grand interêt...
    Je vous invite cher auditeur sur les chemins du grandiose avec Dead Can Dance (The Host of seraphim, Rakim, Severance....)

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