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Quitzow - Juice Water

jeudi 1er juillet 2010, par Laurent

Esthétique de flipper


Ça vous est peut-être déjà arrivé : en déambulant chez un disquaire, vous tombez sur une pochette qui vous parle. Son esthétique est si révélatrice d’un genre familier que vous êtes persuadé(e) que vous adorerez le contenu du disque qu’elle orne. Vous demandez alors à l’écouter, avec un tel forcing dans l’a priori que vous vous mettez la pression pour être convaincu(e) dès les trente premières secondes et justifier votre impérieux désir de rentrer au bercail avec votre découverte sous le bras. Seulement, une bonne fois sur deux, vous finissez par regretter votre confusion entre la barbe et le philosophe, et la jolie pochette de s’en aller garnir quelque bac de soldeur.

Rassurez-vous : aucune pression de ce genre avec le nouveau Quitzow, dont l’artwork infâme marque de précieux points pour le concours de l’emballage le plus laid de l’année, enfonçant sec la concurrence pourtant redoutable des Goldfrapp, CocoRosie et autres Javelin. Voilà pour le contenant, qui en outre décontenance d’emblée pour sa proximité gênante avec l’univers visuel d’une Peaches – décontenance, dès lors qu’on a découvert Quitzow avec le précédent "Art College" et sa pop boiteuse tout sauf putassière.

L’intelligence avec laquelle Erica Quitzow (mal)traite les canons du genre est d’ailleurs toujours aussi incontestable. Passablement douée pour asséner des refrains radiophoniques sans la moindre once de calcul ni de gratuité, l’Américaine a cependant pris un virage electro house pour le moins déroutant. Au final pas si éloignée que ça de la fameuse Peaches, Quitzow dispose des beats au minimalisme sensuel et y susurre des complaintes robotiques, le côté salace en moins. L’ambiance est chaleureuse mais jamais torride, plutôt terrasse ensoleillée que sauna moite. Un disque estival donc, mais sans la superficialité généralement associée à la saison. Difficile en effet d ’imaginer un Club Med danser sur The Cut ou Cherry Blossom, malgré les voix trafiquées à l’ancienne, cette touche rétro-futuriste charmante – entre autres parce qu’elle n’invente rien.

Non, Quitzow ne fait pas partie de ces sorciers du son qui réinventent la pop. Elle incarne cependant une intéressante alternative au perfectionnisme d’une Robyn. Par ses accents désuets, voire enfantins (Talk to Me), la modeste diva ramène les enjeux à l’échelle humaine, du côté même de l’artisanat. Son utilisation toujours particulière des violoncelles, exploitée ici sur More Keith Richards, montre qu’elle n’a pas encore vraiment choisi son camp. Si, de temps en temps, sa musique se montre vaguement sexuée (Whatever), l’esthétique de flipper qui préside à l’ensemble (Magic, Let Out All the Crazy) rangerait plutôt Quitzow près d’un hermaphrodisme innocent, celui des garçons manqués et des fils à maman, qui n’aspirent qu’à l’insouciance et possèdent l’accent de sincérité des enfants dépourvus d’ambitions.

Et puis il y a Race Car, diptyque consumant une féminité blessée ; dû à une autre plume, ce double titre dévoile des sonorités acoustiques en total contraste avec le reste de l’album. Dans la première partie, on retrouve un de ces slows efficaces comme pouvait en produire le rock alternatif des nineties (pensez Joan Osborne ou Anita Lane). Mais Race Car 2 monte le curseur trois crans plus haut et caresse l’intemporalité de Wild Horses, Wild World ou Wild Is the Wind. Peut-être une des plus belles chansons de l’année, coincée au cœur d’un album trop étriqué pour elle. De quoi confirmer du moins tout le bien que l’on pensait de Quitzow, artiste résolument indépendante et farouchement singulière, encore en quête d’un album à sa hauteur.


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