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Wire - Red Barked Tree

jeudi 13 janvier 2011, par marc

Charme de légende


Le terme de Légende est souvent évoqué en rock, pour couvrir d’une patine mythologique un ensemble cohérent de clichés. Une légende n’est pas en marche, elle stabilise pour l’éternité un état de fait, indépendamment d’une réalité complexe et mouvante. Le plus beau dans Wire, c’est que la légende s’écrit là, devant nous. Ce n’est pas vrai, bien sûr, mais c’est ce qu’on aime penser, comme pour s’approprier des moments d’éternité, nous qui sommes nés trop tard dans un monde trop vieux (la citation se trouve sur une stèle égyptienne). Je ne vais pas épiloguer outre mesure sur une époque que j’étais trop jeune pour vraiment vivre mais il est nécessaire de préciser que le groupe du jour n’en est pas exactement à ses débuts.

Wire, comme d’autres (Can, ce genre), ce sont les héros méconnus, ceux qu’on cite plus qu’on n’écoute, et qui ont prouvé en une imparable trilogie que l’expérimentation n’est pas un but en soi, mais une recherche permanente du morceau parfait. C’est un peu ça Wire, une certaine vision du post-punk, quand des groupes se sont rendus compte que la furie seule ne suffisait pas, qu’il fallait si pas la canaliser, au moins l’exploiter dans un but moins juvénile, voire même carrément risquer des alliances contre nature avec des basses disco ou de la world music.

On peut évidemment trouver ici des traces de ce qui a révolutionné en douceur la musique à charnière des années ’70 et ‘80 mais ce n’est pas ce qu’il faut attendre de Wire. C’est du côté du son qu’il faut regarder pour définir les singularités. Plein de groupes essaient de copier cette ardeur post-punk mais cette science ne s’acquiert pas comme ça. De même, tout comme Object 47, cet album n’a pas pour but de surfer sur un retour des années ’80 en soufflant sur les braises de la nostalgie. Grinderman a montré dans un passé récent que vouloir ressusciter un passé lointain n’était pas une garantie de succès. Mais comme ce n’est pas la furie qui est privilégiée ici, on a moins l’impression de pères voulant vivre la vie d’étudiants de leurs enfants.

Il y a une ‘patte’ Wire, un fil d’Ariane qui les relie à l’auditeur de connivence. Cet album commence tout simplement par « please take your knife out of my back and when you do please don’t twist it ». Tu parles d’une entrée en matière. Quand on les connaît, on retrouve leur L’expressivité froide permet de faire passer des morceaux sur ce qui n’est pas vraiment une mélodie enchanteresse, leur façon tellement particulière de trousser le riff de Moreover. Impossible de ne pas reconnaître quel groupe a écrit ce Now Was. Même très linéaires, ils gardent la tension, le phrasé de Two Minutes restant très reconnaissable. Pourtant, ils s’aventurent (c’est leur nature) hors de leur zone de confort, se frottant à la pop song floue sur un Adapt qui passe très bien la rampe. Ils l’accolent très judicieusement à la décharge de Two Minutes qui comme son nom l’indique fait 120 secondes. C’est bien fait tout de même. Et puis ils nous quittent sur la plage titulaire qui frappe sans même qu’on ait eu le temps de s’en rendre compte.

Comme pour l’album de Deerhunter, c’est un album qui force le respect mais ne force pas l’émotion. La musique de Wire est sans doute trop hiératique et émaciée pour ça, et notre attachement y est relié. Pourtant, on retrouve assez vite cette connexion, ce lien intime avec un groupe faussement distant, cette façon si british de mettre des gants même quand on brandit une dague. Alors quoi ? Alors je succombe, encore une fois.

Article de Benjamin sur Playlistsociety

    Article Ecrit par marc

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5 Messages

  • Wire - Red Barked Tree 13 janvier 2011 15:13, par Benjamin F

    Comme tu le sais déjà, on est en phase sur ce disque qui également mon premier gros émoi de 2011. Et puis j’aime beaucoup l’introduction, cette idée qu’on essaye de s’approprier des moments d’éternité, c’est très juste.

    Bon j’espère qu’avec tout ça, ça va donner envie à Laurent de découvrir le groupe en long et en large !

    Voir en ligne : http://www.playlistsociety.fr/

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    • Wire - Red Barked Tree 13 janvier 2011 15:35, par Marc

      Comme toujours dans ces cas-là, j’ai attendu d’avoir terminé l’article pour lire le tien, avec lequel je sens plus que quelques affinités. Tu as bien résumé l’ambivalence de cette formation.

      Bah, écouter la trilogie une première fois ne prend pas tellement de temps. Pour les centaines d’autres fois, c’est une autre histoire évidemment...

      J’irai les voir en concert le 11 février, j’ai hâte !

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      • Wire - Red Barked Tree 13 janvier 2011 18:41, par Mathusalem

        Oui, je me doute qu’à la simple vue de mon nom, tu savais ce que j’allais écrire…
        Je revendique donc pleinement mon statut d’admirateur, quelque peu dépouillé de sens critique (Et donc autocritique) Lorsqu’il s’agit de parler d’eux.
        Autant dévoiler mon jeu de suite, ce sera pour moi un album de l’année, et si je parlais de tétralogie lorsqu’ils sortirent « Objet 47 », force est de constater qu’il faut ici parler de pentalogie, à ceci près qu’ils semblent, avec cet album, se rapprocher encore plus qu’avec le précédent du mythique triptyque « Pink Flag »/« Chairs Missing »/« 154 ».
        (On devrait pourtant s’attarder plus souvent sur quelques autres perles de leur discographie, comme « Ideal Copy » ou « A Bell Is A Cup Until It Is Struck »)
        Mieux même, ils revisitent, à coups de clins d’œil goguenards le chapitre « Rock » (1977-1980) de leur sinueuse, prolifique carrière.
        Les exemples ne manquent pas… « Moreover » utilise le même riff que « A question Of Degree » (« Chairs Missing », 1978).
        Où même « Two Minutes » Qui aurait pu se positionner sans problèmes sur « Pink Flag » si ce n’était ce monologue à l’accent Cockney jubilatoire empreint d’une préciosité toute britannique qui fait quelque peu songer au « Park Life » de Blur…Subtil retour de kick du maître à l’élève…
        Peut être peut on pinailler en se disant que « Down To This » ressemble méchamment à certaines pièces du dernier « Githead » (Projet musical parallèle mené tambour battant par Colin Newman et Malka spiegel, son épouse…Bassiste de « Minimal compact »).
        En tout cas le son typique de guitare y est…Sur le magnifique « Clay » notamment, où la gratte est délicieusement monocorde, lancinante…Insectoïde même, aussi irritante et fascinante qu’un vol de moustique, un soir d’insomnie.
        Juste pour nous rappeler que c’est bien eux qui nous pondirent « I Am The Fly » en 1978 ?
        Et ce splendide « Red Barked Tree », au final, glissant élégamment sur des sonorités « Beatlesiennes » Avec, c’est une première, l’usage décomplexé d’une guitare acoustique.
        (Déjà présente, dans une moindre mesure, sur « Adapt »).
        Mais jouons aussi avant tout la carte de l’indulgence, l’ami Colin peut bien céder à certains tics « Compositionnels », après tout, depuis plus de trente années qu’il inonde mes oreilles de si bonnes choses….
        A ceux qui se demandent comment un groupe peut se renouveler sans perdre pour autant le son caractéristique, véritable marque de fabrique qui assit leur légende…Je réponds donc « Red Barked Tree »
        Si on m’avait dit, en 1978 (L’année ou je les ai entendu la première fois), que j’écouterais encore en 2011 les nouvelles compos de Wire avec un réel et quasi égal plaisir…Je ne l’aurais jamais cru.
        Comme quoi…
        Bref un album en forme de piqûre de rappel pour certains qui les suivent depuis trente ans, une découverte majeure qui explique bien des choses pour d’autres.
        …J’ai évidemment mon ticket pour le 11/02…

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        • Wire - Red Barked Tree 14 janvier 2011 14:27, par Marc

          Evidemment, le simple fait d’écrire ’Wire’ est un appeau à Mathusalem ! Merci pour ton commentaire vibrant, montrant qu’on ne peut pas aborder certains groupes avec distance et détachement. Je peux comprendre qu’on ’passe à côté’ de ce groupe finalement discret, jamais tapageur ni habitué à l’exposition médiatique, mais je les soupçonne d’être le groupe préféré de plein de monde, de servir de référence à laquelle on revient sans jamais se lasser. Je vois que c’est ton cas, c’est aussi un peu le mien (j’étais cependant fort jeune en 1978...).

          Red Barked Tree ne fait pas partie de ces ’albums pour fan’ qui ne peuvent plaire qu’aux convaincus, mais il va de soi qu’une introduction change assez fort l’expérience.

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