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Anna Calvi - Anna Calvi

vendredi 21 janvier 2011, par Laurent

Escarpements


De Calvi, je me remémore la citadelle, flanquée comme à jamais sur les rivages contondants de l’île de beauté, la torpeur paisible que génèrent ces cieux cléments favorisés par un soleil de plomb qu’épouse le souffle du littoral, l’étape salutaire d’un mare e monti fait de sueur et de soif. D’Anna Calvi, je ne sais rien ou presque, mais je m’apprête à découvrir une autre forteresse cernée d’escarpements, une œuvre brûlante qu’adoucit la brise d’une voix peu avare de caresses, un moment d’arrêt et de contemplation au cœur d’attaque musicales autrement tourmentées.

Un peu trop précipitamment érigée en sûr espoir de la décennie en cours, la jeune Anglaise aux limpides origines méditerranéennes ne répondra sans doute pas à toutes les attentes démesurées dont on lui a fait le cadeau empoisonné. D’abord, parce que ses chansons tortueuses n’ont pas l’évidence des futures incontournables, exception faite sans doute du pétulant Blackout. Mais surtout, parce que la production – partiellement signée Brian Eno – les fait sonner comme des esquisses, délivrant un goût amer d’inachèvement ou du moins, la vanité parfois trop audible de ces paysages qui se rêvent rêches quand tout concourrait à les rendre lisses.

Certes, on peut et doit préférer la parcimonie à l’excès : en guise de préambule, la guitare solitaire de Rider to the Sea fait son petit effet. En mode Kaki King, la musicienne vogue sur une houle gentiment suave et l’on n’est pas loin de se faire happer par ce lointain chant des sirènes qui se rapproche jusqu’à la collision ; on est toutefois moins séduit par une démonstration de virtuosité à la Django Reinhardt qui charrie finalement le morceau vers l’écueil de l’ostentation. Dans le même ordre d’idée, on se demande ce qui pousse Anna Calvi à chanter Suzanne & I à la manière dont Shirley Bassey habitait les thèmes de James Bond.

Par moments, on se dit que les pastiches involontaires auxquels se livre la jeunette pourraient aisément agacer, mais elle ne les exécute pas moins avec la chance et le charme du débutant. Ainsi, lorsqu’elle s’achète une crédibilité rock en piratant les inflexions de Patti Smith sur Desire ou qu’elle singe PJ Harvey en pleine voltige sur The Devil, on est partagé entre la raillerie d’une personnalité encore trop peu affirmée et la conviction qu’elle n’attend qu’à s’épanouir. Mais l’économie de moyens à l’œuvre sur Morning Light ou No More Words ne nous permet que d’entrevoir ce dont Anna Calvi est capable, au même titre que les démos ante-mortem de Jeff Buckley ne resteront que des ébauches de grands moments potentiels.

Toutefois, il y a assez de bonnes idées dans First We Kiss ou Love Won’t Be Leaving pour flirter avec la finesse de Sarah Blasko (en plus hardi) et l’intensité de Florence Welch (en moins baroque). Tout le monde ne peut transformer son coup d’essai en coup de maître et, au lieu de pleurer les espoirs que déçoit ce premier album, réjouissons-nous de ceux qu’il nourrit pour la suite. Par crainte peut-être d’être trop vite conquise, la citadelle de cette Calvi n’a pas conforté son accès. Mais la rudesse de ses arêtes, un peu trop instinctive pour sembler préméditée, ne la rend pas si imprenable. Un jour, qui sait, on la visitera comme un palais.


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9 Messages

  • Anna Calvi - Anna Calvi 21 janvier 2011 10:07, par Mmarsupilami

    La contribution que j’apporterai (peut-être) prochainement au débat sur Mselle Calvi ira dans le même sens finalement : ni excès d’honneur, ni excès de cruauté, cet album présente un potentiel mais n’est pas un chef-d’oeuvre...

    Mais, et cela ne nous étonnera pas nécessairement, ma motivation est juste opposée à la tienne : c’est vachement trop achevé, lisse et glissant. Un peu de hargne aurait arrangé bien des choses !

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  • Anna Calvi - Anna Calvi 21 janvier 2011 16:04, par Benjamin F

    Encore excellent ! Complètement d’accord sur l’album et la manière dont tu l’abordes. C’est vraiment troublant tant sur certaine phrase j’aurai choisi exactement les mêmes mots et les mêmes constructions ! (Je sais qu’il y a un côté prétentieux à dire que ton article est excellent et juste après de souligner que je l’aurais abordé de la même manière, mais bon tu vois où je veux en venir^^).

    Voir en ligne : http://www.playlistsociety.fr/

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    • Anna Calvi - Anna Calvi 21 janvier 2011 16:31, par Spiroid

      Je trouve pas ça particulièrement difficile d’accès, mais juste monstrueusement banal. Y’a pas grand chose qui m’ait un tant soit peu accroché positivement, mais par contre quelques choix de mauvais goût m’ont fait tiquer négativement (la batterie, mon Dieu !). Bref, du coup on se retrouve à descendre un album pas dénué de qualités, mais qui ne mérite pas de louanges...

      Sinon, c’est vrai que Benjamin et toi vous écrivez pareil, maintenant, reste à savoir lequel a copié sur l’autre ! ;D

      Voir en ligne : http://tascapotosina.blogspot.com/2...

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  • Anna Calvi - Anna Calvi 22 janvier 2011 00:51, par Marc

    C’est en concert que j’avais découvert Anna Calvi (avec Midlake, chouette soirée, où l’aspect parfois plus brut passe bien mieux que sur album. J’avais eu la même impression avec Villagers ou d’autres. C’est que les digressions à la guitare, ’il faut voir mis’

    Je suis assez d’accord avec tout le monde (oui, je suis assez consensuel quand je veux, et puis je tiens à être d’accord avec Laurent et Benjamin), cet album ne doit déclencher ni l’extase ni l’anathème. Il y a de jolies promesses et quelques fautes de goût. Suite au prochain épisode donc.

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  • Anna Calvi - Anna Calvi 24 janvier 2011 20:12, par cergold

    Il y a un potentiel chez elle qui ne demande qu’à éclore. C’est aussi ce que j’ai ressenti. Sa voix, à la fois puissante, sensuelle et charnelle, évoque Patti Smith, PJ Harvey (bien sûr) et aussi Siouxsie que Laurent a étonnement oublié de mentionner. Sur le disque, la production ne laisse peut-être pas suffisamment respirer la musique : le son de guitare était plus abrasif quand je l’ai vue sur scène au festival des Inrocks. En tout cas, sa musique est habitée.

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    • Anna Calvi - Anna Calvi 24 janvier 2011 21:35, par Laurent

      J’ai malheureusement atteint mon quota de mentions de Siouxsie pour l’exercice 2010-2011. Au-delà, il y a un supplément à payer et j’ai du mal à boucler mes fins de mois. ;D

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  • Anna Calvi - Anna Calvi 31 janvier 2011 13:04, par Luc

    Excellent article. Je partage l’opinion de l’auteur... même si mon avis est plus nuancé du fait d’une découverte en live, qui apporte plus de souffle aux chansons.

    Petite review de la black session sur France Inter le lundi 17/01/2011 :

    22h04 : Lenoir, tout excité, promet à la foule de bobos attirés par le buzz, l’apparition imminente d’un prodige et la possibilité d’une black session d’anthologie.
    22h06 : Anna Calvi déboule nonchalamment dans le sudio de Radio France, accompagnée de son batteur et d’une musicienne multi instrumentiste. La frêle chanteuse dégage quelque chose d’assez magnétique, quelque part entre Natalie Portman et Keira Knightley. Look soigneusement étudié années 1930 et beauté glacée.
    Intro crépusculaire à souhait, solo qui s’étire, son cristallin, ambiance bluesy et silence religieux dans la salle.
    Première chanson, Jezebel : exercice de style, plus cabaret gothique que club rock mais une batterie qui s’excite et confirmation que la belle a du être chanteuse lyrique dans une autre vie. Contraste saisissant entre la silhouette fragile d’Anna Calvi et sa voix qui pourrait provoquer un tsunami.
    Après ce tour de chauffe, enchaînement de morceaux qui alternent énergie rock et complainte sourde. Entre nerfs à vif et désespoir profond. Souvent les mêmes mots : "dark", "devil", "sad"... Happy Monday.
    Souvent la même structure dans les chansons : voix qui caresse langoureusement le public avant de le projeter contre le mur, batterie cajoleuse avant de devenir lourde et métallique, accordéon et piano miniature en support.
    Bilan : encephalogramme oscillant entre moments de grâce et sentiment d’ennui. Entre sensation éphémère et talent unique.

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    • Anna Calvi - Anna Calvi 7 février 2011 20:25, par le cousin de la reine de trêfle

      Crépusculaire, gothique, oui, peut-être ...pas trop emballé par la black cession, mais vu de la radio ...j’ai reçu, merci Amazon, Saints & Stars, de Kal Cahoone ...mélancolie, grâce ..crépusculaire : écoutez sur Deezer, çà ne prend qu’un peu plus de 30’ ..j’ai oublié Anna Calvi !

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