samedi 15 janvier 2011, par
Du neuf avec du vieux
Refaisons, si vous les voulez bien, le point sur les grandes tendances de 2010, possibles indices de la forme que prendra éventuellement la décennie musicale naissante. Plus que jamais, semble-t-il, les sonorités d’aujourd’hui vont puiser sans vergogne dans les modes d’hier pour se construire un présent savoureux. L’invention, toutes formes d’art confondues à ce stade de notre évolution culturelle, est clairement devenue une denrée rare. Et le recyclage, notion on ne peut plus ancrée dans notre civilisation à l’ère du tri sélectif, figure quant à lui le premier matériau créatif du 21e siècle. Pas étonnant, dès lors, si 2010 fut le théâtre d’un nombre conséquent de revivals.
D’abord, on a assisté à un retour décomplexé de la synth-pop telle que la pratiquaient d’anciens bellâtres si longtemps honnis et aujourd’hui réhabilités à titre... disons... pré-posthumes. Il n’est désormais plus honteux pour personne d’afficher ses vinyles de Human League, de plus en plus dangereusement considérés comme les pères fondateurs d’une façon plus libre d’envisager la musique populaire. Partant de ce constat, même le r’n’b moribond de l’âge d’or de MTV n’hésite pas à réclamer sa part du gâteau, et on ne s’étonnera guère de voir encore les idoles du jour s’engouffrer plus avant dans la brèche.
Cependant, c’est le rock qui semble s’être plus que d’autres réapproprié son passé. Non pas celui des racines, qui n’ont jamais quitté nombre des formations les plus talentueuses et restent brillamment sanctifiées par des puristes à la Jack White. Non, alors que l’intérêt retrouvé pour la cold-wave de l’ère post-punk n’a plus rien livré de très significatif depuis The XX, et à qui de beaux jours sont par ailleurs encore permis – sinon promis – 2010 a surtout vu deux retours en force particulièrement imprévisibles, et directement soutirés aux décennies précédentes : sixties et seventies.
D’une part, de nombreux combos semblent s’être donné le mot pour raviver la flamme indolente de cette lointaine jeunesse qui, des Beach Boys aux Ronettes, chantaient avec insouciance le plaisir d’une virée en surf ou l’admiration secrète pour le garçon le plus populaire du lycée. Bien sûr, le ton s’est entre-temps durci mais c’est qu’il s’inspire tout autant de l’esprit d’un garage séminal tel que le concevaient les Sonics et autres Standells. Sans compter le goût encore vivace d’un certain psychédélisme, qu’il soit hérité des Doors, Syd Barrett ou, chez certains ex-pourvoyeurs de hits, Dan Treacy.
D’autre part, on n’a que trop ressassé les pénibles appels du pied adressés au rock mollasson des années Fleetwood Mac (après Peter Green, s’entend). Qu’on l’appelle soft-rock, classic rock ou qu’on l’estime adult oriented, rien n’y fait et rien n’y fit : 2010 s’est montré particulièrement généreux en riffs aseptisés, soli démonstratifs et autres artifices de production qu’on croyait enterrés avec l’apparition des synthés mais qui ont pourtant enrubannés – pour ne pas dire gâché – les disques de plusieurs groupes qu’on a connus à la fleur de l’âge et dont on a dû déplorer la sénescence précoce.
Au cœur des obsessions vintage, on pourrait également citer la (non) évolution – marche arrière toute – des nouvelles tendances soul. Partis de l’engouement suscité par le succès d’Amy Winehouse et ses suiveuses, qui ont réussi à délayer quelques pincées de crédibilité Stax dans un velouté de songwriting contemporain, les soul brothers et sisters de 2010 n’ont pas hésité à renverser les proportions pour ressusciter purement et simplement la ferveur de leurs aînés, en particulier les plus aveugles. Surnageant par-dessus la vague des Pixie Lott et autres Eliza Doolittle, des fauchés qui quémandent un dollar brillent d’un éclat nettement moins chic et toc que les divas de pacotille.
Toutefois, rien ne rend la soul et la pop plus excitantes que lorsqu’elles se font mutantes, plurielles, brouillant à jamais les frontières génériques qui ont fait de l’histoire musicale une guerre civile perpétuelle – qu’elle oppose les villes aux campagnes, les bourgeois aux prolétaires ou les maîtres aux esclaves. Plus ça va, et plus la musique se veut œcuménique, mondialiste et transsexuelle. Cela dit les musiques traditionnelles sont restées, par définition, d’élémentaires constantes, des repères auxquels il fait parfois bon se raccrocher quand les étiquettes volent en éclats et génèrent d’ingérables crises identitaires. Ce qui ne les rend pas cloisonnées pour autant, pour preuve ces Scandinaves passés maîtres de la country-folk américaine.
Enfin, on ne peut pas taire le corollaire évident de ces mélanges : la démocratisation, pour ne pas dire vulgarisation, de l’électronique la plus pointue. Jadis réservé à quelque intelligentsia, le dubstep est en passe de devenir un genre quasiment populaire via l’injection d’ingrédients plus familiers – entendez du chant, mais ratissant un spectre qui passe allègrement du rock à la soul. Fort de ces nouvelles résolutions, le genre pourrait prochainement contaminer les radios et chatouiller les charts, ce dont on ne se plaindra pas tant l’indigence de certains blockbusters reste évidemment de mise.
Sans chercher à jouer aux prophètes de série B, j’ai juste voulu pointer ce qui me paraissait constituer l’essentiel des confluents où nous auront menés les grands courants musicaux de ces derniers mois. Les présentations faites, il me sera désormais plus facile de vous parler des disques du moment, persistant à surfer sur ces vagues qui n’ont pas fini de refluer : du doo-wop nostalgique de Tennis au rock passéiste des Smith Westerns, du retour des noirs esprits de White Lies au dubstep mâtiné de soul de James Blake, vous verrez qu’on risque encore de parler de ces fameuses tendances. Considérez donc cette parenthèse comme un semblant de teaser. À très bientôt !
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