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En vacances, j’ai écouté... (2) du hip-hop

samedi 17 septembre 2011, par Laurent


Ben oui, les vacances sont les vacances : ça donne beaucoup de temps pour piquer un plongeon dans la musique, mais pas trop l’envie d’en parler. Du coup, autant revenir sur quelques disques écoutés à l’ombre des cocotiers et dont, qui sait, vous me direz des nouvelles... Poursuivons dès lors nos séances de rattrapage avec une série de plaques qui, loin des clichés qui font « wesh wesh » et « yo yo », ont agrémenté l’été tout en se proposant de rénover un genre musical déjà vieux de trente ans.


Cool Kids – When Fish Ride Bicycle



Alors qu’on se demandait si l’on avait trop tôt accordé notre confiance au duo de l’Illinois à l’époque de l’introductif “The Bake Sale”, ce disque vient confirmer l’originalité de leur hip-hop gentiment paresseux, économe de ses moyens mais dans le bon sens du terme. Peu enclins à sortir l’artillerie lourde des blockbusters du genre, les Cool Kids font honneur à leur patronyme et se la jouent relax sur des beats minimalistes. Leur flow somnambule fait le reste et la plupart du temps, les gamins font mouche, en particulier sur les vaguement énergiques Bundle Up et Get Right ou quand une voix féminine érige Summer Jam en tube d’il y a vingt étés. C’est pourtant grâce à Ghostface Killah qu’ils trouvent un instru à leur mesure, et Penny Hardaway offre ainsi une très alléchante perspective d’avenir.


Death Grips – Exmilitary



Mieux vaut en savoir le moins possible sur ces trois zigotos californiens et entretenir le mythe. Ce qu’on peut dire, c’est qu’ils cultivent un intérêt pour les vieux vinyles de rock garage (Spread Eagle Cross the Block, bâti sur un sample de Link Wray, est une énorme tuerie) et les distorsions électroniques suffocantes. Et ça rappe là-dessus avec une hargne punk et un esprit dancehall. Ça ne vous aide pas ? Normal : les Death Grips produisent un son – un bruit ? – jamais entendu de ce côté de la santé mentale. Un truc de grand malade. Le problème, c’est que la lourdeur de l’ensemble se révèle insoutenable sur la longueur ; mais à doses bien choisies – disons la première demi-heure – c’est un irrésistible tour de force, presque aussi dansant qu’oppressant.


Ghostpoet – Peanut Butter Blues & Melancholy



C’est la tendance courante du hip-hop actuel : ralentir le tempo pour enfoncer l’auditeur dans un univers narcoleptique malsain, bien plus effrayant que les drumbeats mitrailleurs et les poses crypto-mafieuses. Du Niger à Londres, le très inspiré Obaro Ejimive privilégie ainsi un rap atrabilaire, soutenu par des instrumentations où le dupstep (One Twos Run Run Run) croise la deep house (Garden Path) sur un mode résolument down tempo, quand bien même l’artiste n’exclut pas de passer par des moments plus enlevés, par exemple la dance fatiguée du néanmoins efficace I Just Don’t Know, ou lorsqu’il fait intervenir les guitares (Liiines, Finished I Ain’t). Intelligent et pertinent, souvent sensible (Survive It), Ghostpoet ne passionne pas vraiment mais exerce, à tout le moins, un certain pouvoir de fascination.


Gonzales – The Unspeakable Chilly Gonzales



Pour être franc, la carrière solo de Jason Beck, reliquat dadaïste qui n’investit son génie musical que dans le concept foireux, ne m’a jamais captivé. Il va de soi pourtant que son dernier projet en date – un disque de rap symphonique avec 0% de beatbox – ne pouvait qu’attiser la curiosité. Le résultat est un egotrip de 27 minutes, hyper léché et indéniablement déroutant dans sa façon d’inventer un genre neuf et de le mettre en abyme. Cela dit, une fois passés les deux premiers titres Supervillain Music et Self Portrait, l’inventivité s’effiloche et Gonzales ne fait plus que poser son phrasé sur des orchestrations pompières ; le rapport au rap, lui, devient la caution lointaine d’un album pop très second degré, où la voix agace de plus en plus. Le dernier titre résume tout : Shut Up and Play the Piano.


Jay-Z & Kanye West – Watch the Throne



Décidément, Kanye West enfile les perles. Après un album crucial, il revient sur le mode récréatif avec un Jay-Z qu’on n’a jamais connu plus en verve. On le sait, West n’est pas un excellent MC mais son travail de production tutoie ici de nouveaux sommets, même quand Beyoncé se mêle de surcharger en sucre le refrain de Lift Off ; et sans chercher à tirer la couverture à lui, le flow de Jay-Z domine clairement les débats, en particulier sur Who Gon Stop Me, modèle de chanson à tiroirs où tous les coups sont permis. Le single Otis recycle Otis Redding de façon brillante, et le duo clôt son album sur un tiercé de titres à tomber par terre, avec des échantillonnages qui passent de Cassius au folklore roumain. Douze titres, douze tubes : c’est pas tous les jours qu’un supergroupe vaut largement la somme de ses parties.


MellowHype – BlackenedWhite



Comparer le collectif de jeunots angelenos OFWGKTA au Wu-Tang Clan, voilà qui relèverait du raccourci simpliste. Toujours est-il qu’après Tyler the Creator, c’est au tour de Left Brain et Hodgy Beat d’attirer les projecteurs en rééditant officiellement cette autoproduction. Encore une fois, ce déluge de violence verbale souligne une intelligence sonore qui fait apparaître le nom d’Odd Future comme une évidence, tout en démontrant que chaque individualité a les épaules pour faire partie du gang. Si les copains viennent prêter patte forte de temps à autre pour renchérir dans le hardcore (F666 the Police) ou imposer leur vision du r’n’b (Rico), les compères n’ont par ailleurs besoin de personne pour réformer les codes gangsta (Gun Sounds) ou faire dans la léthargie malsaine (Primo). Sombre et intense.


Frank Ocean – Nostalgia, Ultra



Dans la grande famille OFWGKTA, il y a aussi Frank Ocean, alias celui-qui-sait-chanter, un gamin à l’organe trognon et aux propos plus ou moins grand public qui s’est donc logiquement tourné vers le r’n’b. Sans révolutionner le genre – pour ça, voir un peu plus bas – sa mixtape n’en distille pas moins un charme certain – ce qui, pour du r’n’b, constitue une fameuse gageure. Samplant allègrement Coldplay ou MGMT, rappelant largement l’art et la manière du recommandable Drake, le garçon réussit plus qu’à l’accoutumée à séparer le bon grain suave de l’ivraie mièvre. Bien sûr, en grand cœur d’artichaut, il n’échappe pas toujours à la mélasse : témoin American Wedding, emprunt éhonté mais distrayant à Hotel California, plus grand slow braguette de l’histoire de la drague. Ça va pécho, chérie.


Shabazz Palaces – Black Up



Ancien pourvoyeur de rap ingénieux au sein des Digable Planets, le plus tout jeune Ishmael “Butterfly” Butler démontre que hip-hop et maturité font plutôt bon ménage. Sans jouer le moins du monde sur la fibre old school – si ce n’est peut-être un flow encore très funky (Youlogy) – Buttefly enfume son rap à coups de beats spectraux et de hululements étranges (An Echo from the Hosts That Profess Infinitum), le triture à l’aide de breaks jazzy (Endeavors for Never). Peu encline au racolage, la musique de Shabazz Palaces ne s’envisage pas sur un dancefloor mais ses nombreux morceaux lents s’écoutent avec un mélange de magnétisme (Recollections of the Wraith) et d’apaisement (Are You... Can You... Were You... Felt). Pas toujours évident mais indéniablement inventif.


The Weeknd – House of Balloons / Thursday



Tous les paris sont ouverts pour savoir qui est Abel Tesfaye, l’homme qui se cache derrière ce mystérieux pseudonyme et a déjà livré deux albums en pâture aux internautes. Eh bien, contrairement à certains cas d’école en matière de fumée sans feu, on a cette fois raison de s’affoler, tant The Weeknd apporte quelque chose de neuf à un genre sclérosé par ses stéréotypes : le r’n’b versant MTV. Si les codes dudit genre sont bien présents – voix splendide, vulgarité poétisée et visée du coït ininterrompu plus machiste qu’hédoniste – Tesfaye y insuffle en sus l’intelligence musicale qui lui a toujours fait défaut. Résultat : ses nappes sonores puisant dans l’abstract et la minimale font toute la différence, et l’émulsion est si homogène qu’on pardonne sans peine à l’artiste son abondant débit de crasses sexistes.


Wu-Tang Clan – Legendary Weapons



Miné depuis longtemps par des querelles d’ego, le clan sort désormais des disques où ses membres fondateurs sont considérés comme des invités. Un peu comme une réunion d’anciens qui viennent s’échanger quelques anecdotes en matant des vieux films de kung-fu. Justement, “Legendary Weapons” joue à fond la carte de la nostalgie et c’est ce qui en fait un album très recommandable. Si certains (Method Man, RZA) y font de la figuration, chaque apparition de Ghostface Killah (encore lui !) décroche quant à elle la timbale : Laced Cheeba, Black Diamonds ou la plage titulaire, peut-être les plus vintage du lot, sont à ranger parmi les sommets du Wu et devraient rassurer les fans qui croyaient le groupe perdu pour la cause. Le kung-fu, c’est comme le vélo : ça ne s’oublie pas.


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