lundi 10 octobre 2011, par
J’aime, j’aime la vie
Dans la musique de Björk, il a toujours été question de recherche : la quête d’un équilibre parfait entre sa soif d’explorations sonores et son profond enracinement pop. Comme les deux facettes d’une personnalité schizophrène, tantôt la chanteuse a-t-elle gardé les pieds sur terre, tantôt s’est-elle laissé dominer par ses délires visionnaires. Et si sa discographie, toujours exigeante, est à peu près exempte de reproches, l’équilibre a rarement été atteint. “Debut” et “Post” : trop dansants. “Medullà” et “Drawing Restraint 9” : trop radicaux. Björk avait réellement trouvé son point d’ancrage sur le bien-nommé “Homogenic” et s’était ensuite amusée à le déplacer dans l’éther de “Vespertine”. En 2007, le sous-estimé “Volta” avait retrouvé un peu de la cohésion du premier, tandis que “Biophilia” voit à nouveau son centre de gravité s’élever dans les limbes du second.
Album à la fois vaporeux et palpable, ce cru 2011 est un balancier parfaitement stable, et rien de moins que le disque le plus réussi de l’Islandaise depuis le siècle dernier. Pratiquement seule à la composition et à la production des dix morceaux qui construisent cet édifice, Björk est dans une forme éblouissante et ses prouesses vocales restent impressionnantes, qu’on apprécie ou non le genre d’acrobaties auxquelles elle se livre sur un titre tel que Mutual Core. Le travail sur les chœurs, en particulier, est absolument remarquable et rappelle le projet dingue de “Medullà” si ce n’est qu’en bâtissant ses nouvelles chansons sur base de structures rythmiques parfois proches du digital hardcore, elle évite aux fioritures harmoniques de flotter dans le vide. La dernière minute de Crystalline, single positivement génial, rappelle ainsi pourquoi Björk est une des rares artistes à avoir défini le son de ce début de millénaire.
Et les exploits sont nombreux sur “Biophilia”, dès le jeu de harpe féerique qui ouvre Moon comme on tirerait le rideau derrière lequel se cache une forêt enchantée. Pour ne pas immerger d’emblée le voyageur dans l’oppression moderniste, ce premier titre laisse pénétrer une vaste quantité d’espace. Tout autour, le décor n’est pas dénudé, bassement aérien ; il est peuplé au contraire de constellations entières, comme celles qui jalonnent cette pochette encore une fois sublime. Mais la distance est tangible, si bien qu’entre les étoiles et nous, les fantaisies ont tout loisir de s’immiscer. L’air se raréfie progressivement sur Thunderbolt, moment de communion avec l’essence même de toute chose, ce genre de miracle dont Björk semble détenir le secret depuis quelque vie antérieure : « My romantic gene is dominant and it hungers for union, universal intimacy, all embracing. »
En route vers la symbiose, la chanteuse fait un détour nostalgique par les origines du monde ; et on serait presque persuadé, pour un temps, qu’elle en fut réellement le témoin privilégié. Cosmogony commence ainsi par une chute terrifiante dans l’infini : on pense au Requiem de György Ligeti dans le 2001 de Kubrick ; l’instant, qui fait remonter le cœur jusqu’à la gorge, est heureusement de courte durée, et la chanson se déploie alors dans toute son humble majesté, confrontant les mythologies pour mieux les réconcilier. Björk s’y épanche en sobre diva, comme une voix ancestrale plus vieille que la matière. Dark Matter semble être ce résidu de néant au bord duquel l’Islandaise est livrée à elle-même, dérivant en apesanteur et hésitant à plonger dans le vide pour y chercher les réponses qui lui manquent. Hollow est l’histoire horrifique de ce plongeon, une crise d’agitation immobile où Björk s’escrime à trouver sa place dans la grande chaîne humaine : « I yearn to belong, let me belong ! »
Partie de l’immensité pour tendre vers l’intime, Björk touche au but dans la connexion interhumaine mais, à défaut de symbiose, craint de n’entrer en contact avec l’autre que pour en être tributaire (Sacrifice) ou pire, l’entraîner dans une relation parasitaire : c’est le sujet de Virus, titre le plus limpide de l’album et possiblement son plus beau, joué sur un instrument inédit – le gameleste, hybride de gamelan et de célesta spécialement conçu par la chanteuse – dont le son immaculé charrie quelques réminiscences de la pureté de Venus as a Boy. Dans l’échange avec ses congénères, pour peu qu’il accepte de faire don de lui-même, l’homme peut ainsi trouver la lumière tout comme il éclaire l’autre. L’apport et le bénéfice sont sans doute proportionnels, mais cela n’enlève rien à la beauté du geste : « Your generosity will show in the volume of her glow. »
C’est encore une fois une question d’équilibre. « Then you remember that yourself, you are a light-bearer receiving radiance from others. » Sur la très épurée Solstice qui clôture l’album, il apparaît comme une évidence que Björk a trouvé sa stabilité en dessinant un pont entre nous et l’infini. Moissonneuse d’un champ étoilé de possibles, messagère de l’en-deçà, elle nous livre la conclusion d’une vision patiemment construite en vingt années de chantier spatial. “Biophilia” est donc une somme, le (second) chef-d’œuvre d’un parcours de sibylle, un classique définitif. “Biophilia” ou l’amour de la vie, que l’artiste décline en respect de la vie d’autrui, synchronie solidaire, consonance universelle, comme le contrepoids du bon sens face à l’absurdité du silence. Björk peut passer la fin de son existence à se taire : elle a désormais tout dit.
Cette nouvelle sortie de Bitume productions ne fait pas dans la musique extrême, c’est à signaler au moment d’aborder cet étrange objet musical. On est plus dans les dingueries math-rock et prog, le genre qu’on avait entendu du côté de Chocolat Billy ou Joy as a Toy. Et pour assumer le genre, il faut du niveau, qui est là d’emblée et reste tout au long de ce court album sans scorie.
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