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Evangelista - In Animal Tongue

lundi 17 octobre 2011, par Laurent

Beauté monstrueuse


Parmi les labels chouchous des amateurs d’indé exigeant, nul doute que la maison canadienne Constellation fait partie des mieux cotées, que ce soit pour sa contribution à l’envol du post-rock ou son intransigeance. Connue – façon de parler – pour être la première artiste allochtone à s’y faire embaucher pour un CDI, Carla Bozulich s’est depuis lancée dans une pléthore de projets dont le plus brillant reste vraisemblablement son groupe phare Evangelista. Une plateforme pour ses envies de rock vénéneux, tantôt bruitiste, tantôt sur la corde raide entre silence suffoqué et vocifération.

Cela dit, alors que le précédent album “Prince of Truth”, qui la voyait au sommet de son art, n’hésitait pas à relâcher la pression à coups de rugissements tempétueux, ce quatrième opus préfère maintenir une tension permanente, inassouvie. À défaut de vivre le déchaînement, on ressent tout le long du disque une rage contenue jusqu’à l’amuïssement, comme un cratère bouché par un couvercle de lave refroidie. Il n’est pas pour autant question d’étanchéité puisque, justement, ce garrot rend les émanations de soufre d’autant plus toxiques.

Plus qu’un rappel de notre profonde bestialité, “In Animal Tongue” entend affirmer que tout est élémentaire. « I’m metal, I’m metal. Look inside my cracked eye, you’ll see planets ! » Ainsi Carla Bozulich s’emporte-t-elle sur la splendide Artificial Lamb, complainte anxiogène et traumatique dont elle a le secret. C’est aussi un des rares titres de l’album où l’on peut discerner une ligne harmonique, le seul qu’on pourrait presque qualifier de mélodique. À peu près partout ailleurs, la chanteuse privilégie un ton litanique, et une ambiance pré- ou post-apocalyptique qui rappelle régulièrement les oraisons de Current 93.

La faute à l’orgue taciturne d’In Animal Tongue, aux cordes mort-vivantes de Tunnel to the Stars, aux hululements qui hantent Die Alone. Mais aussi, et surtout, au chant inquiétant, plus proche de la prière païenne que de l’acte de foi musical, d’une Carla Bozulich qui traverse ces territoires brumeux comme une Marianne Faithfull revenue de l’autre rive du Styx. Au cœur de ces tourmentes, l’envoûtant violoncelle-voix de Bells Ring Fire ne fait pas moins peur mais délivre une nouvelle variation de la beauté pure, quand la danse guerrière de Hands of Leather semble offrir un semblant d’oxygène.

Complètement empoisonné, Hatching clôture le parcours dans une projection ininterrompue d’hallucinations horrifiques. Car cet univers-là est aussi divin qu’infernal, à l’image de la pochette, sublime, renvoyant à la même beauté monstrueuse que celle qui présidait aux travaux de Rudy Trouvé. Convaincue qu’en retournant à la poussière, toute chose participe à l’énergie unanime de la nature, Carla Bozulich puise sa force dans une sorte de colère organique, mortifère, et l’expulse telle une sibylle chantante. Même sans y comprendre grand-chose, on y croit dur comme fer.


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