jeudi 28 janvier 2016, par
Un antonyme de ‘critique’ pourrait être ‘fan’ tant ces deux modes de pensée sont éloignés. Mais dans la réalité, les choses sont plus complexes. Et quand on se pique de donner son avis à tous les passants, il n’est pas rare qu’on baisse sa garde systématiquement devant ceux qui nous ont déjà tant donné. Près de douze ans après les avoir découverts, je peux dire que je suis plutôt fan de tout ce que fait Shearwater. La personnalité de son omnipotent leader n’était évidemment pas étrangère à cette fascination.
Pourtant, on ne peut pas dire que la bande (variable) de Jonathan Meiburg nous ait systématiquement servi la même chose et pris à chaque fois dans le sens du poil. Il semble désormais acquis qu’ils ont tourné le dos à ce qui a formé à posteriori une magnifique trilogie avec Palo Santo, Rook et The Golden Archipelago. Et on réalise aussi qu’on aurait aimé que ce soit une octalogie, une onzologie tant ces albums ont cristallisé ce besoin de lyrisme maîtrise, d’émotion à fleur de peau qui avait le bon goût de ne pas toujours exploser. La combustion lente de Rooks en fait simplement un des meilleurs morceaux qui soient, toutes époques et genres confondus.
Jonathan Meiburg partage sa vie entre ses deux passions, la musique et l’ornithologie. Il nous prépare un bouquin pour 2018 d’ailleurs, sur l’évolution de la vie sauvage en Amérique du Sud par le regard de certains Cara Cara (hum...). On le voit, des préoccupations bien éloignées de la musique et qui peuvent dérouter mais qui influencent aussi le contenu de sa musique. Les compositions ont le temps de ‘reposer’ pendant ses séjours à l’étranger et c’est sans doute ce qui donne le petit surcroît de cohérence. De plus, le relatif isolement est aussi une source de réflexion, ce qui le pousse à défendre cet album comme étant un genre de protest-songs. J’avoue que ce n’est pas très manifeste mais faisons-lui confiance. En ramenant d’étranges enregistrements sur le terrain, il se rapproche aussi d’artistes qu’il admire comme Brian Eno mais contrairement à ce dernier, il ne l’incorpore pas à sa musique et privilégie le hors-champ.
Depuis quelques années, on savait qu’il y avait chez Meiburg d’autres envies qui se sont matérialisées avec le virage plus rock d’Animal Joy (et leur passage sur le mythique label Subpop) et la relecture décalée de morceaux d’autres sur Fellow Travellers. Ce qui frappe d’emblée, c’est le son, un peu énorme. Quand on se souvient qu’à la base ce groupe est un side-project plus acoustique de membres d’Okkervil River, on ne peut que constater une course aux armements qui les amène à dépasser la formation de base. Et il faut un temps, beaucoup d’écoutes en fait pour surmonter l’appréhension de départ.
Parce qu’on doit faire assez vite le deuil des chansons plus sensibles qu’on appréciait aussi beaucoup. Certes, il reste de belles choses apaisées comme Backchannels mais on trouve aussi de nouvelles tentatives comme Filaments qui peinent à tout-à-fait convaincre. En effet, la basse entêtante nous rappelle de bonnes choses comme les pratiquent leurs concitoyens d’Austin, Spoon mais sans s’y sentir aussi à l’aise.
On avait en effet bien appréhendé leurs envies contradictoires de douceur et de violence qui s’incarnait dans des morceaux fort différents, qui pouvaient montrer une large palette, de la plus écorchée à la plus bruitiste (le magnifique Hail Mary) ou les voir se lancer dans de longs morceaux épiques (l’évocation de Snow Leopard me met la pilosité à la verticale. On sent ici une volonté de ne jamais desserrer l’étreinte, voire de tenter le passage en force (et le réussir sur A Long Time Away) qui déconcerte et fait déplorer l’absence de morceaux vraiment apaisés, toujours transcendés par la voix immense de Meiburg. Comme souvent, c’est elle le point central de l’attention, le signe distinctif qui n’a aucun équivalent, dont la flexibilité permet un panel d’émotions vraiment large et qu’on retrouve toujours avec autant de plaisir en concert. Dans le genre, la note soutenue de l’épique A Long Time Away est assez bluffante. Essayez de retourner à des télé-crochets après ça…
Leur grandeur plus lyrique a fait place à des morceaux bigger-than-life qui semblent partis à l’assaut des stades. Le galvanisant Pale Kings semble en effet le morceau qu’un Coldplay ne pourra jamais faire. Ils ne font pas des morceaux trop grands pour eux puisqu’ils arrivent à donner un souffle tel qu’on a encore plus de mal à tolérer qu’ils restent à ce point confidentiels. Ceci dit, il se pourrait que cet album change la donne, on jugera sur pièce.
Comme souvent, on cherche d’emblée les titres qui pourront nous accompagner et le titre Quiet Americans proposé en éclaireur nous avait déjà rassurés. Placé après un Prime qui lance les hostilités de belle manière, il facilite l’entrée dans l’album. La fréquentation assidue de cet album renforce d’ailleurs la connivence même si on se rend bien vite compte qu’on ne tient pas ici le successeur de Rook au firmament de nos préférences.
On se concentre donc sur ses qualités et elles ne manquent pas, le travail du batteur et producteur Brian Reitzell étant à ce point exemplaire, la symbiose avec Meiburg semblant fonctionner jusqu’à l’emploi d’instruments étranges (un Marxophone, quelqu’un ?). Ce n’est pas un album artificiellement gonflé et il faut aussi souligner que contrairement à beaucoup de formations visant les stades (Foals, Bloc Party, ce genre), cette volonté ne s’accompagne pas d’un affadissement des compositions.
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