jeudi 3 novembre 2016, par
On ne se rend pas trop compte de ce côté-ci de l’Atlantique du succès qui a pu être celui de Conor Oberst. Cantonné dans un monde folk ici, il a connu dès les débuts de Bright Eyes un succès dont il bénéficie encore. Ses prestations se faisaient en tous cas devant un public étonnamment jeune. Il semblerait que la récente édition d’une intégrale de Bright Eyes sonne le glas de la formation. Pas trop grave, ce ne sont pas les projets parallèles qui manquent, lui qui s’est lancé dans Monsters of Folk ou Conor Oberst and The Mystic Valley Band en plus des albums sous son nom propre.
S’il est une étiquette qu’il est difficile à porter, c’est bien celle de ‘nouveau Dylan’ qu’on appose à tout jeune songwriter talentueux qui doit alors non seulement tracer sa route mais aussi s’évertuer à effacer toute trace du maître. On avait fait le coup à des gens aussi divers que Bruce Springsteen et, donc, Conor Oberst. La référence n’est pas innocente vu que cet album assez minimaliste pourrait se présenter comme le Nebraska du Boss. Il a été d’ailleurs composé et écrit dans cet état, celui d’Oberst où il n’a visiblement rien prémédité pour cette retraite enneigée à Omaha.
On pourra difficilement faire l’économie de la référence au récent prix Nobel de littérature cependant. Surtout pour l’emploi quasiment systématique de l’harmonica, qu’on n’entend jamais sans penser aux années folk de Dylan. Il y en a ici partout, tout le temps et c’est un marqueur fort, une caractéristique qui pourrait bien faire fuir certains auditeurs potentiels. De toute façon, la voix et les thèmes sont trop différents pour rendre pertinente toute comparaison frontale. Et c’est tant mieux.
Ceci dit, si les chansons sont belles, il y a tout intérêt à se plonger dans les textes pour y déceler tout le talent d’Oberst. Il y a évidemment beaucoup de références à la drogue (sur sur Gossamer Thin ou Tachycardia notamment) et à l’alcool, sa retraite dans le Nebraska n’étant peut-être pas purement bucolique. Mais une connaissance trop imparfaite de sa biographie récente ne me permet pas d’être catégorique. Au contraire de certains aphorismes comme
I don’t wanna feel stuck, baby
I just wanna get drunk before noon (Barbary Coast (Later))
Et le fait que le St Dymphna de la chanson finale est un bar de New-York. Mais bon, le talent est là pour témoigner que ce n’est pas un vulgaire Renaud qui veut qu’on sache qu’il ne boit plus.
Les thèmes ne sont pourtant pas monomaniaques, et on décèle comme souvent plusieurs niveaux de lecture, et quelques références inattendues. Ainsi, Mama Borthwick évoque la mort d’une militante féministe et de son Son mari architecte qui a bâti de fantastiques choses que plus personne n’habite
I’m not content
But I’m feeling hesitant to build something that’s sacred till the end.
Si The Rains Follows The Plow semble pavé de souvenirs de jeunesse, il peut aussi s’agir d’une allusion à l’invasion de l’Amérique par les conquistadors. On le voit, ce n’est pas toujours littéral. Mais au détour de passages plus frontaux, le malaise peut poindre. Le perturbant Counting Sheeps évoque la mort de deux enfants et lui inspire ‘Hope it was slow/Hope it was painful’ avant de repartir dans une évocation de détresse physique et mentale. Dérangé et dérangeant donc.
Sans doute que le plus poignant est Next of Kin, magnifique chanson désabusée sur la disparition
Her bathrobe hangs on the bedroom door
Though she’s been dead for a year or more
He buried her by the sycamore
So that he could keep her close
Et qui montre une certaine lassitude pour quelqu’un qui n’est finalement pas si vieux
Yeah, I met Lou Reed and Patti Smith
It didn’t make me feel different
I guess I lost all my innocence
Way too long ago
C’est aussi sans doute de lui qu’il parle quand il dit sur You All Loved Him Once
You all loved him once
Yes, you ate out of his hand
He mirrored your confusion
So that you might understand (…)
You all loved him once
It ended bad
Une voix, un piano (ou une guitare), un harmonica, c’est un album assez minimaliste. Mais comme c’est toujours produit par le fidèle Mike Mogis, ce n’est jamais lo-fi. Et donne une patine intemporelle avec un exercice aussi ancien que la musique enregistrée. Une critique a le droit d’être subjective, elle se doit même de l’être, l’objectivité est même une chimère en la matière. Il faut croire en la sincérité cependant. Et en toute sincérité, il y a eu des choses qui vibrent ici, sur cet album hors du temps qui semble pour la première fois depuis bien longtemps être à la hauteur du talent de son auteur.
http://www.conoroberst.com/02/
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