Accueil > Critiques > 2018

Marissa Nadler - For My Crimes

mercredi 24 octobre 2018, par marc


Sur le premier morceau du nouvel album de Marissa Nadler, un doute moche survient : a-t-on déjà entendu ce morceau ou pas ? Il faut dire qu’au long de douze années de fréquentation plutôt assidue de sa musique concrétisées par dix critiques, on n’a pas eu à constater de brusque changement de cap. Mais avant la fin de ce For My Crimes (le morceau, pas l’album), on est déjà reconquis, même si on s’était présentés en victimes consentantes. On sait qu’on va aimer un album de Marissa presque avant de l’écouter et elle ne nous a encore jamais donné tort.

Certes, elle creuse toujours le même sillon, plus ou moins profondément. Ce qu’on demande, ce sont des morceaux forts pour incarner ce style affirmé. On a pu par le passé la comparer à Hope Sandoval (Mazzy Star et autres) mais force est de constater qu’avec le recul sa discographie est bien plus consistante et constante.

La forme a oscillé entre le pur picking/voix des débuts et une inclination vers la dream-pop crépusculaire (le toujours recommandable Little Hells) et puis la synthèse actuelle, plutôt simple d’apparence mais assez fouillée et profonde en réalité. Les arrangements sont toujours judicieux, comme le violon simple mais saturé d’effets sur I Can’t Listen To Gene Clark Anymore ou le violoncelle grave de Lover Release Me. Il faut prêter l’oreille pour l’entendre mais ce n’est pas nécessaire non plus, la sobriété d’Are You Really Gonna Move to the South. On retrouve son délicat picking sur Interlocking mais s’il est poussé en avant, ce n’est qu’une des composantes du son.

Blue Vapor est un morceau encore plus dense et qui avait donné bien envie en tant que single éclaireur. Elle y ajoute des cuivres qui donnent une autre coloration, tout en se fondant admirablement dans l’infinité des teintes de gris. C’est un de ses meilleurs morceaux, une des plus intéressantes variations sur son style. Il y a aussi quelques invitées prestigieuses. Sharon Van Etten étant la plus visible sur le splendide I Can’t Listen To Gene Clark Anymore mais il y a aussi Kristin Kontrol (Dum Dum Girls) et Angel Olson.

Elle arrive à faire des adieux touchants à une voiture, même si c’est figuré (Say Goodbye To That Car) et cet album marqué par le questionnement compte ses habituels surgissements

In your sleep you called me Nathalie/That’s the nicest thing you said
You said I Lived for tragedies/So I threw your keys at your head
(All Out Of Catastrophes).

La mélancolie est un art majeur, on le sait depuis un siècle et demi et la chanteuse américaine porte haut ces (non) couleurs-là. Et album après album, elle arrive à ne jamais nous lasser et retisser ce lien qui nous lie à elle de façon maintenant indéfectible.

    Article Ecrit par marc

Répondre à cet article

2 Messages

  • Marissa Nadler - For My Crimes 25 octobre 2018 21:51, par Laurent

    Un très grand cru. Je ne suis pas loin de penser que c’est le sommet de sa disco - ce qui n’est pas peu dire ! J’en profite, cher Marc, pour souligner qu’un disque est en train de passer injustement en dehors des radars, c’est le dernier album d’Alina Orlova. J’ai dû passer par un obscur importateur lituanien pour pouvoir en profiter, et il vaut le détour. Et puis vivement demain : nouveau Soap & Skin ! Décidément l’hiver est à nos portes, c’est l’heure d’aller couper des bûches, ça va crépiter dans l’âtre et tous ces disques mélancoliques tombent à point nommé...

    repondre message

    • Marissa Nadler - For My Crimes 26 octobre 2018 08:11, par Marc

      Salut Laurent !

      Son meilleur album ? Probablement. En tous cas son plus varié, son plus complet, son plus dense. Personne d’autre ne peut faire ce Blue Vapour.

      Si j’ai bien tout compris, l’album d’Alina Orlova est sorti en juillet en Lituanie et ressorti en Europe la semaine passée. J’ai mis la main dessus, c’est évidemment très bien, je termine un articulet pour très bientôt.

      Soap & Skin a l’air de revenir en forme, je suis curieux d’entendre l’album complet. La Toussaint sera de haut niveau cette année !

      repondre message

  • Sarah Mary Chadwick - Messages To God

    Dans une ère où toutes les émotions sont passées sous l’éteignoir d’une production qui lisse, il est plaisant de rencontrer des voix (forcément) discordantes comme celle de la Néo-Zélandaise Sarah Mary Chadwick sur son huitième album solo. On se frotte d’emblée à ce ton naturaliste et direct qui n’est pas sans rappeler Frida Hÿvonen. Frontal donc, d’une sincérité qui peut aller jusqu’au malaise. La dernière (...)

  • Anohni and the Jonsons - My Back Was a Bridge for You to Cross

    Une limitation connue de la critique est qu’elle intervient à un temps donné, dans un contexte. Or on sait que les avis ne sont jamais constants dans le temps. Ainsi si I am a Bird Now a beaucoup plu à l’époque, on le tient maintenant comme un des meilleurs albums de tous les temps, tous genres et époques confondus. Cette proximité crée aussi une attente quand que les Jonsons sont de nouveau de la (...)

  • Jungstötter - Air

    Quand on a découvert Jungstötter, c’était presque trop beau pour être vrai. En se situant aux confluents de tant de choses qu’on aimait comme Patrick Wolf ou Soap&Skin (dont il a assuré les premières parties) ou Anohni, il a délivré avec Love Is un de nos albums préférés de ces dernières années. C’était aussi l’occasion de retrouver des collaborateurs talentueux comme P.A. Hülsenbeck qui d’ailleurs est (...)

  • Lana Del Rey - Did You Know That There’s a Tunnel Under Ocean Blvd (...)

    Généreuse dans l’effort, Lana Del Rey l’est certainement, et il faut l’être pour livrer aussi régulièrement des albums aussi consistants. Surtout s’ils sont entrecoupés de recueils de poésie. Maintenant, on peut s’affranchir d’un rappel des faits précédents. On remontera juste jusqu’au formidable Noman Fucking Rockwell ! pour signaler qu’il y a eu deux albums jumeaux en 2021 qui l’ont vu à la fois revenir à (...)