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Moonface - This One’s For The Dancer, This One’s For The Dancer’s Bouquet

vendredi 9 novembre 2018, par marc


Cet automne voit donc le retour d’amis de longue date. Avec 13 critiques et 5 compte-rendus de concerts pour des formations comme Wolf Parade, Sunset Rubdown ou Swan Lake, Spencer Krug se place en tête de ceux qu’on suit le plus régulièrement, d’abord par sa productivité mais aussi par son talent multiforme.

Avec Spencer Krug, il n’est même pas possible de deviner les intentions d’un album sur base du nom du projet. Moonface, ça peut être du piano-voix écorché pour un des meilleurs albums de ces dernières années ou des expérimentations seul avec des synthés ou encore une collaborationavec une formation post-rock finlandaise mais d’une manière générale, c’est son projet le plus personnel, par opposition à Wolf Parade où la friction avec le talent de Dan Boeckner fait les étincelles qu’on connait. Il s’apprête d’ailleurs à faire ses adieux à Moonface pour continuer sa carrière solo sous son nom d’état civil. On vous tiendra au courant bien évidemment.

This One’s For The Dancer ; This One’s For The Dancer’s Bouquet est en fait l’apposition de deux albums distincts. Contrairement à Dominique A qui a sorti deux albums issus de sessions communes, ceux-ci proviennent d’enregistrements différents avec des collaborateurs différents.

Si on n’a pas de mal à distinguer de quel album provient chacun des morceaux, on n’a pas d’apposition abrupte pour autant malgré l’alternance entre les titres des deux albums. C’est heureux pour qui se lance fleur au fusil dans l’écoute de ces 16 morceaux pour une heure et 24 minutes.

Le premier est basé sur les marimbas, sujet qui lui est cher puisque sa première escapade s’appelait poétiquement Marimbas and Shit Drums. Ce sont des boites à rythmes qui sont utilisées ici aussi, conférant une belle pulsation. Les titres sont des références directes à la mythologie grecque, au mythe du Minotaure précisément dont il épouse le point de vue pour une série de textes étranges et détaillés sur ses sensations. La palette sonore est d’emblée fort riche. Le vocoder est très présent, ce qui colle bien au son synthétique mais met alors totalement sous l’éteignoir sa capacité à susciter l’émotion qui est hors norme.

Le second album imbriqué ici est plus free-jazz. Mais il n’est pas trop rude non plus. Ce qui nous vaut des morceaux denses, certes mais moins flamboyants (The Cave). Le saxophone y est présent, ce qui est une rareté. Le seul l’utilisant autant sur une scène connexe étant Dan Bejar (Destroyer), les éruptions de sax de Hater renforçant encore la ressemblance avec celui qui a été son comparse dans la formation Swan Lake. C’est forcément moins solidement ficelé mais le jeu de la musicienne Matana Roberts y est indéniablement plus libre. Elle qui a de solides références dans le monde du jazz a aussi collaboré avec quelques-uns de nos favoris comme Godspeed You ! Black Emperor (elle a signé des sorties sur Constellation) ou Tv on The Radio (c’est elle qui rehausse le magnifique Lover’s Day).

Ce saxophone s’accommode fort bien de la présence de claviers (sur Aidan’s Ear par exemple). On retrouve un Heartbreaking Bravery II qui est une suite d’un morceau de l’album du même nom qu’on est contents de retrouver ici. Il le relance en son milieu, ce qui montre qu’il garde sa lucidité, qu’il sait très bien comment maintenir un morceau en l’air (Minotaur Forgiving Knossos), qu’il trouve toujours une façon de tirer vers le haut un titre menacé d’enlisement.

La pulsation sur Sad Suomenlinna (allusion finlandaise) qui rappelle le Luetin d’Underworld avec exactement la même sensation de répétition au départ avant de partir dans des digressions plus intéressantes. Cet album est copieux dans ses mensurations mais aussi parce que chaque morceau est très dense.

Sur chacun de ces albums il y avait un ou plusieurs titres hénaurmes et soyez rassurés, on les retrouve ici aussi. Le plus étonnant c’est qu’au lieu de décourager l’auditeur, l’intérêt augmente, sans doute grâce à un séquencement étudié plus qu’à une connivence qui doit s’établir. On retrouve alors avec plaisir sa science de la progression d’accord (Aidan’s Ear) et sur Dreamsong, on devine ce que ça aurait donné avec des envies différentes comme celle de Julia With Blue Jeans On. Son écriture peut donc s’incarner dans des formes assez différentes. La densité d’Okay To Do This rappelle les belles heures de Whale Song (Song Instead of a Kiss). C’est sur ce genre de morceau qu’on retrouve sa faculté à transcender son propre style.

Dans la très dense et riche discographie de Spencer Krug, cet album à la fois logique et un peu atypique est avant tout destiné à ceux qui le suivent avec passion. Un peu fascinant, forcément un peu crevant sur la longueur, logiquement inégal, il confirme le talent protéiforme de Spencer Krug pour s’emparer de plusieurs idées et les pousser à fond.

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