Accueil > Critiques > 2021

The Imaginary Suitcase - The gods gave you victory today only to make your final defeat more bitter

vendredi 5 mars 2021, par marc


Si on considère que j’ai écrit plus de 2000 articles en plus de 17 ans, il est remarquable de constater le peu d’artistes que je côtoie. Cependant, sans échange dans la vraie vie, certains apparaissent comme étrangement proches. C’est le cas de Laurent Leemans et la franchise m’oblige à le signaler en préambule de cet articulet.

On vous avait prévenus de ce retour, vous ne pouvez pas jouer les surpris maintenant. De surprise on ne peut d’ailleurs pas parler de prime abord. Certes, c’est inhabituellement copieux dans la prolixité du titre et dans le contenu, 14 titres pour près de 72 minutes, de quoi remplir à ras un éventuel CD non encore disponible. Mais le style n’a pas vraiment subi de révolution, ce dont il n’avait pas besoin du reste. Fort heureusement, l’uniformité n’est pas de mise et quand on observe d’un peu plus près, une certaine évolution est manifeste.

Hey Stranger le voit se placer dans une longue lignée de chansons de gens qui boivent. Pensons à Brother My Cup Is Empty si vous avez besoin d’un exemple. C’est aussi une chanson sur la boisson (Whiskey) qui clôt cet album. Aucune conclusion ne sera tirée de cette observation.

Les préoccupations de cet album de facture classique sont éminemment modernes, ce qui n’est pas toujours le cas des références citées. Le ton parfois un rien narquois n’est jamais cynique ou donneur de leçon, c’est un équilibre subtil qui est trouvé. On a passé l’âge de la révolte brute sans doute mais ce n’est pas pour autant que l’acceptation est là. La révolte n’est pas qu’une affaire de jeunes si on veut se rappeler que Stéphane Hessel a écrit Indignez-vous à 93 ans. Ce n’est cependant pas un album de protest-songs, il a déjà fait ça.

Si on reconnaît dans les titres des concepts bien actuels, repris dans des memes ou des hashtags (mots qui vont dater cet article), il confesse aussi une implication dans des sujets plus personnels. Oui c’est le moment de se poser des questions. Appelez ça midlife crisis si vous voulez mais la sincérité suinte de Father, tout comme de Complice où son chant plus expressif que jamais s’incarne en français. Et puis il y a aussi des morceaux qui sont tout simplement beaux et touchants.

Parfois c’est juste beau dans sa simplicité (My Garden, Thee Greatest Love) parce qu’il peut faire montre d’un haut sens mélodique (Coming Home). Le bonus, ce sont ces fins de morceau réussies par des moyens différents comme des guitares en brouillard (Coming Home), des arpèges ou de l’intensité tout simplement (The Bungler)

Notons aussi la présence de nouvelles choristes sur Pigeons Playing Chess et on ose dire de but en blanc que c’est une plaisante addition, moins perplexifiante que les précédentes contributrices vocales. On découvre aussi une certaine Daria Leemans (hasard patronymique ? Nous ne le pensons pas…) sur Anarchie Gordon, reprise de Loreena McKennitt et on espère en entendre plus. C’est le versant le plus folk de cet album qui est forcément très en place. A l’opposé, Sex, Drugs & Rock ‘n Roll est un peu plus nerveux comme le promet son titre.

On retrouve logiquement le single Hope Is a Sick Joke et on se rend compte qu’on avait mémorisé son riff plus qu’on ne l’aurait pensé. Ce morceau en a sans doute encore un peu sous la pédale. Si le son crachote un peu sur Hey Stranger et qu’on sent forcément une marge de progression dans ce qui n’est qu’un d’enrobage, on pourrait à l’inverse imaginer quelque chose de plus cra-cra. Et surtout de belles perspectives si un accompagnement plus ample est possible après le déconfinement. Les références sont à chercher dans un americana sudiste gothifiant. Disons Wovenhand pour fixer les idées. La voix pousse et ça lui va forcément bien.

A la fois plus cohérent et homogène mais moins typé, cet album au titre trop long marque une étape dans la déjà étoffée discographie de The Imaginary Suitcase. Le plus important, outre de biens bons morceaux au passage, est cette impression qu’il ne nous a pas encore tout dit.

    Article Ecrit par marc

Répondre à cet article

5 Messages

  • Lou K. - Obscurité

    Le hasard fait qu’on a dans la pile plus de disques furieux que d’habitude. Ou alors c’est un contexte musical dont on ne perçoit que des bribes. Ce qu’on aime aussi, c’est qu’il y toujours sur ces albums ces moments ou la tension ne passe plus par une certaine violence. Et pour cet album qui voit Raphaële Germser et Audrey Dechèvre entourer Lou K (Lucie Lefauconnier), ça n’a pas raté non (…)

  • The Golden Son - I am Who am I

    On l’a dit, on connait remarquablement peu d’artistes pour les plus de 2000 critiques écrites ici. Pourtant quelques camaraderies virtuelles ont pu se développer. A force de commenter les albums de The Imaginary Suitcase, j’ai même eu droit à une écoute préliminaire de cet album. Ceci est juste une petite mise au point au cas où vous viendrez fort légitimement douter de mon objectivité en la (…)

  • Clemix – Endorphine

    Noyé dans un flot continu de sorties et d’envois, on a sans doute du mal à évaluer l’effort insensé requis pour sortir un album. Si on a attendu entre les EP et cette collection plus complète qui sort chez La Couveuse, le temps a fait son œuvre et visiblement poli le propos de la Belge Clemix. Ce qui marchait par surgissements s’est mué en style, avec un album paradoxalement plus constant que (…)

  • Auguste Lécrivain - Miranda

    On avait parlé d’un premier album sensible du jeune artiste belge Auguste Lécrivain. Si vous avez écouté (c’est bien), sachez que l’évolution est manifeste. Exit la chanson française ‘canal historique’, exit les tentations bossa, voici le temps d’un groove plus en phase avec son époque. Plus qu’un ravalement de façade, on peut parler de reconstruction, mais avec les matériaux d’origine. Un (…)

  • Raoul Vignal – Shadow Bands

    On apprécie toujours le retour d’un ami de longue date, surtout s’il reste empreint d’une grande beauté. Comme on l’avait signalé à la sortie du précédent Years in Marble, il s’éloigne d’influences comme Nick Drake (avec un picking virtuose) pour favoriser un mid-tempo qui coule de source comme South, Brother qui relate ses retrouvailles avec son frère qui vit en Espagne. La finesse d’écriture (…)

  • Bright Eyes - Five Dices All Threes

    Conor Oberst a aquis très tôt un statut culte, le genre dont il est compliqué de se dépêtrer. Lui qui se surprend ici à avoir vécu jusque 45 ans (il y est presque...) nous gratifie avec ses compagnons de route Mike Mogis et Nate Walcott d’un album qui suinte l’envie.
    Cette envie se retrouve notamment dans la mélodie très dylanienne d’El Capitan. On peut retrouver quelques préoccupations du (…)

  • Fink – Beauty In Your Wake

    Un écueil fréquent auquel se frottent les artistes à forte personnalité est la répétition. Quand on a un son bien défini, un univers particulier, les variations sont parfois trop subtiles pour être remarquées ou remarquables. Si vous avez écouté deux albums de Stereolab vous savez de quoi on veut parler. Si on identifie un morceau de Fink assez vite, il y a malgré tout suffisamment d’amplitude (…)

  • My Name Is Nobody - Merci Cheval

    La veille musicale est un engagement à temps plein. Une fois qu’on a aimé un.e artiste, il semble logique de suivre sa carrière. Pourtant il y a trop souvent des discontinuités. Mais il y a aussi des possibilités de se rattraper. La présence de Vincent Dupas au sein de Binidu dont l’intrigant album nous avait enchantés en était une. On apprend donc qu’il y avait eu un album en mars et (…)