jeudi 11 décembre 2008, par
La mélodie de l’hermétisme
C’était un soir de mai, en attendant le retour de quelqu’un d’une activité normale en festival (et dans la vraie vie aussi). Le fil tellement ténu de ces folkeux se tendait sur la scène secondaire du festival Sasquatch ! (un autre article ici). Et avec un peu d’abandon, un site à couper le souffle, une tête forcément vide, la magie opéra en plein. Depuis, je suis passé de l’autre côté, celui où on a suivi le lapin blanc mais où le temps est presque aboli. Je m’étais un peu perdu puis retrouvé dans leur Yellow House.
Si je vous parle de Grizzly Bear, c’est qu’un des membres du duo dont il est question aujourd’hui, Daniel Roosen, y officie aussi depuis. Et puis il y a des similitudes plus qu’évidentes entre les deux groupes. La grâce, d’abord. Plus le fait qu’il faut un temps non nul pour se plonger dans ce bain aussi euphorique que spleenesque. Car voici un exemple de l’orthodoxie indie, un album précieux mais un tantinet hermétique pour les auditeurs non habitués. Cette attitude pourrait passer pour de l’élitisme. Il n’en est heureusement rien. Parce qu’il y a un véritable plaisir auditif là-dedans. Certes, à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit ou dans n’importe quel contexte ça ne peut que ne pas fonctionner mais une fois admises les hypothèses de base, c’est sans doute un des albums les mieux charpentés de cette année qui mine de rien se termine.
Les structures ne suivent pas souvent l’enchainement classique refrain-couplet-pont. La voix apparaît plus comme un complément, même si elle repose sur des mélodies. Alors, bloqué qu’on est, on parle par métaphores. La musique de Department of Eagles serait un bois. Un peu touffu, un peu balisé, mais qui invite à la promenade. A la flânerie plutôt, à la contemplation. De ces promenades sans but autre que le plaisir d’être en plein air. Et de l’oxygène, il y en a une sérieuse bombonne par chanson.
Dès Ear Park, on a tout ça, un arpège de guitare, des violons discrets, du clavier, et un morceau littéralement en apesanteur. Le doute n’est pas permis, un grand moment musical est en gestation. Et même, il a commencé. No One Does It Like You est plus classique en leur chef, et cet album se laisse entrevoir des incursions plus psychédélique, plus électriques aussi avec une intrusion de guitare pour un riff lumineux sur Around The Bay. Et on assistera aussi aux irrésistibles crises d’intensité sur Waves Off Rhye qui font s’envoler le rapace.
Encore une fois, c’est un peu de la musique de spécialistes, même si moins d’habitude est requise pour entrer dans le département des aigles. Et on est d’autant plus soufflé qu’un groupe comme Animal Collective ait pu insuffler une énergie presque pop et électronique (termes à manipuler avec des dizaines de pincettes). Cependant, tout ceci est plus folk dans l’acception classique du terme (instruments acoustiques par exemple).
Quitte à paraître incongru, je préfère ceci à Grizzly Bear (si on excepte leur merveilleux Knife) parce que c’est plus, disons, figuratif. On a parfois juste une pop baroque et luxuriante pas prétentieuse (Teenagers) qui rappelle Andrew Bird, cet autre céleste volatile, à notre bon souvenir. Les aigles encore plus forts que les ours donc. On se croirait dans une pub Valvert.
Je ne peux que trop vous conseiller ce Department of Eagles. Mais je dois vous prévenir aussi. Comme un physionomiste à l’entrée, votre backgroud va décider de votre capacité à rentrer dans cet univers assez cintré, mélodique de façon parfaitement paradoxale, entrainant malgré lui. Ceux qui tenteront le voyage auront droit à un moment hors du temps, enchanteur sans qu’on puisse expliquer vraiment pourquoi. Il ne faut pas trop commenter les réussites. Il faut les écouter, c’est tout.
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