Accueil > Critiques > 2016

Alice On The Roof - Higher

vendredi 12 février 2016, par Marc


On a beau nous vendre de la modernité, de la dématérialisation et un changement de paradigme, l’industrie musicale repose encore sur des recettes éprouvées et les comportements restent ceux qui prévalaient il y a une dizaine d’années. Par exemple, rien ne vaut une exposition médiatique via une émission télé et le single radio qui passe en boucle. L’exemple du jour est même assez frappant à cet égard. Ainsi, quand l’attente est savamment orchestrée, on peut remplir de grandes salles en n’ayant qu’un EP sous le bras et gagner des prix d’artiste de l’année (d6bels Music Awards) avant même la sortie du premier album. Quand on s’étonne du peu d’écho que rencontrent généralement les artistes qu’on défend ici malgré une vraie carrière et un talent manifeste, c’est assez rare pour être signalé.

Comme beaucoup, c’est avec The Voice que j’avais découvert Alice Dutoit (On The Roof, vous l’avez ?) et on ne se doutait pas que cette jeune fille qui avait une façon si particulière de faire revivre l’Eau A La Bouche commençait une carrière. Pourtant, même si elle ne gagne pas le télé-crochet cette année-là au profit d’un chanteur qui est depuis retourné à l’armée, son brin de voix a séduit Marc Pinilla qui lui propose de collaborer.

Franchement, ce n’est pas le casting qui nous alléchait le plus, tant Suarez propose un profil tiède passe-partout peu excitant. Ceci dit, une des sources de réticences majeures vis-à-vis du groupe montois est justement l’organe peu impressionnant de Marc. Ne m’attendez pas dans le rôle du ronchon cette fois-ci, parce que le résultat est plutôt une bonne surprise sur ce point.

Enfin, il semble excessif de parler de surprise puisque l’écoute de cet album, on retrouve exactement ce qu’on s’attendait à y entendre. Et cette prévisibilité sera vue comme une qualité par tous ceux qui ont attisé l’attente. Comme prévu donc, la voix est parfaitement en place, garde un caractère identifiable mais est suffisamment versatile pour ne jamais être pris en défaut ici. Au rayon des rapprochements, on pourra penser à une version plus pop et moins neurasthénique de London Grammar (une de ses idoles assumées), voire une Lana Del Rey qui aurait trouvé ses cachets (Like a Dying Rose). Evidemment, l’Américaine a maintenant une personnalité bien plus affirmée qui pourrait donner des idées d’émancipation à la jeune Belge.

Easy Come Easy Go reste l’évidente tête de gondole. On l’a beaucoup entendu ici mais ça pourra toujours servir de carte de visite à l’étranger (qui commence en Flandre) mais Walk The Line a un bon potentiel si des musiciens de scène peuvent assumer cette montée. Il y a forcément des moments plus up-tempo (Sound of Drums) qui semblent un appel du pied à un remix. Monopoly Loser se prêterait en effet très bien à l’exercice. The Magician, si tu nous écoutes… A l’inverse, Feel Tonight est quand même à deux doigts de l’anodin. Il faut le talent d’une Roisin Murphy pour transcender ce genre de soul momolle pour programmation d’après-midi de PureFm.

Alice se lance dans quelques concerts ‘piano unplugged’ qui semblent montrer une belle confiance. C’est donc culotté mais il y a tellement d’exemples bouleversants de ‘filles au piano’ qu’il semble compliqué de s’y faire une place, même s’il y a fort à parier que le public visé ne soit pas trop au courant de l’existence de, disons Alina Orlova ou Soap&Skin, chanteuses autrement viscérales qui nous plaisent tant. Et sans doute aussi que tous les morceaux proposés ici ne sont pas tous aussi adaptés à l’exercice que ceux de Cat Power ou Regina Spektor. Mais cette approche va sans doute plaire.

Avec la sympathie du public, on peut faire ce qu’on veut. Les populaires Vanessa Paradis ou Charlotte Gainsbourg reçoivent des morceaux de compositeurs réputés et déplacent le public alors qu’elles n’écrivent rien et que ce ne sont pas des interprètes inoubliables. Les affinités électives sont impénétrables. Alors quand il y a du talent derrière le succès, on ne boude pas son plaisir. Certes, cet album est un peu lisse mais ce n’est que le premier essai d’une jeune femme de vingt ans, qui plus est écrit et produit par une équipe compétente mais qui ne lui a sans doute pas encore fait le tour de toutes ses possibilités. Espérons qu’elle aura les coudées franches pour aller où elle veut, on est curieux de la voir sortir de ce cocon un peu froid.

    Article Ecrit par Marc

Répondre à cet article

2 Messages

  • Alice On The Roof - Higher 12 février 2016 11:59, par Laurent

    Oui, c’est un peu plat tout ça... Il y a du potentiel, c’est joli quand ça veut mais trop d’éther tue l’éther. Juché sur les toits, on atteint pas forcément les nuages (c’est vendredi, on fait péter les métaphores bidon). En tout cas, je retiendrai surtout de cet article que tu regardes "The Voice"... :-)

    repondre message

    • Alice On The Roof - Higher 12 février 2016 13:45, par Marc

      On est bien d’accord, c’est super lisse. Mais sa voix laisse présager de bonnes choses, surtout avec une autre équipe.

      Et, non, je ne regarde plus The Voice... Je me rends compte que cette révélation a presque valeur d’outing.

      Bon weekend dites !

      repondre message

  • The Imaginary Suitcase - Alone, we go faster. Together, we go further (...)

    Dix ans déjà et maintenant dix critiques de notre côté (on se place tout de même comme exégètes officieux), c’est le temps de la célébration. Pour fêter ça, ce n’est pas vraiment le genre de la maison de sortir une best-of pour les fêtes. Par contre, profiter de l’occasion pour retrouver des collaborateurs qui l’ont accompagné, c’est bien plus le genre de Laurent Leemans. Regarder dans le rétroviseur pour (...)

  • Sïan Able - Veni Vidi Sensi

    D’accord, un premier EP qui plait, c’est un bon début mais confirmer avec un bon premier album, c’est l’étape cruciale d’une carrière. Donc Sïan Able (anagramme de son vrai nom Anaïs Elba) passe la vitesse supérieure et son talent ne se dilue pas dans la taille d’un album.
    On l’a déjà dit, les styles plus soul ne sont pas nécessairement ceux qu’on goûte le plus. Pourtant on l’avait tout de suite adoptée, (...)

  • Van Den Bear - No Plan Survives First Contact (EP)

    On n’a pas deux fois l’occasion de faire une première impression. Fort de ce poncif, le Bruxellois Antoine Van den Berg entame son troisième EP avec fracas, comme une version (forcément) soft d’A Place To Bury Strangers, déflagrations comprises. La voix est clairement l’argument principal mais ce n’est fort heureusement pas le seul. On peut donc convoquer sans honte des références au bel organe parce (...)

  • Auguste Lécrivain - Noir Quart D’Heure

    Sans qu’on sache trop pourquoi ni comment, les artistes francophones deviennent plus nombreux en ces colonnes. Et logiquement, la diversité est au rendez-vous. Si on vous a parlé de ceux qui brouillent les frontières et les genres, ce jeune artiste belge se situe dans un versant résolument traditionnel. Mais n’allez pas en déduire que c’est daté, le son et les influences un peu bossa viennent (...)