dimanche 10 avril 2011, par
Peau et métal
On l’a dit et il faudra bien le répéter : le plus excitant des rocks français se pratique désormais au Canada. Quand celui de France, écrasé par le trop lourd héritage de Noir Désir, s’enfonce dans la pachydermie à prétention littéraire (Luke, quelqu’un ?), nos amis du Québec se montrent capables de conjuguer souffle épique et légèreté, désinvolture et gravité. Ainsi des épatants Karkwa ou Marie-Pierre Arthur, trustant les meilleures places du palmarès francophone de l’an dernier, ou encore de Malajube dont le retour est imminent. À ces quelques noms, qui ne représentent jamais que la part exportable d’une scène quasi inconnue de ce côté de l’Atlantique, il y a désormais lieu d’ajouter celui d’une nouvelle formation montréalaise époustouflante : Monogrenade.
Pratiquants doués d’une musique symétrique, débordante d’énergie mais rééquilibrée par des programmations aériennes et des arrangements de cordes omniprésents, les quatre membres de Monogrenade expérimentent les sonorités pour délayer l’organique dans les machines, rendre leurs beats solubles dans l’acoustique. La démarche n’est ni folktronica, ni comparable aux bidouillages d’un Chapelier Fou : les chansons sont juste confondantes d’évidence, mariant des textes immédiats à des harmonies gentiment sinueuses. Ni audace ni révolution, mais une écriture tellement universelle qu’elle se moque bien des frontières, des langues et des accents. D’aucuns n’entendront sans doute rien de remarquable dans ces aubades sucrées-salées ; les autres craqueront pour leur éminence mélodique.
Il y a grosso modo deux façons de faire sonner un instrument à cordes frottées sur un disque. La première, préférée par le plus grand nombre, dompte le cordophone pour en faire un organe domestique ; la seconde, exploitée par tant d’artistes chers et charnels, laisse au contraire tel violon ou violoncelle s’épancher à même l’archet, dévoiler une beauté plus farouche et intime. C’est cette voie qu’emprunte Monogrenade quand M’en Aller opte pour la sauvagerie des premiers dEUS ou que La Fissure vient rappeler la nudité de Venus. Tantôt couvertes d’oripeaux synthétiques (Obsolète, Tantale), tantôt jouées plus près de l’os (Immobile, L’Araignée), les chansons hésitent en permanence entre la peau et le métal, mais n’embrasent jamais autant que dans leur fusion.
Ainsi, La Marge démarre sur un piano familier du doigté de Patrick Watson, avant de se laisser hachurer par une batterie traitée en laboratoire. « Je sens que mon pouls s’accélère », et le morceau de s’emballer dans une rafale contrôlée. Plus loin, Ce Soir s’affirme comme le tour de force de l’album, un morceau de bravoure qui construit patiemment son mur sonore jusqu’à atteindre un paroxysme atmosphérique digne des maîtres du genre – tous idiomes et époques confondus. Escapade ou D’un Autre Œil réitèrent tant et tant cet exploit qu’il n’est plus possible de le traiter de coïncidence : Monogrenade, groupe presque débutant, flirte déjà avec un savoir-faire d’adultes, quand bien même sa marge de progression reste potentiellement étendue.
On ignore parfaitement si les Québécois sont à même – ou auront à cœur – de couvrir cette distance. Peut-être, comme leurs compatriotes, publieront-ils indéfiniment le même disque en nuançant çà et là ce que leur art aura gagné en finesse. Tantale, père de Pélops, fut condamné à souffrir d’une faim et d’une soif éternelles : plongé dans une rivière, il en verrait le cours s’assécher chaque fois qu’il se pencherait pour s’y abreuver ; placé sous un arbre, il en verrait s’éloigner les branches chaque fois qu’il voudrait tendre le bras pour y saisir un fruit. Le mythe dont s’est inspiré Monogrenade est celui du désir inaccessible. Quand bien même le groupe vise un modèle de perfection formelle, toujours ses ambitions se confronteront au supplice de l’impossible. Que cela, surtout, ne l’empêche pas d’avancer.
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