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Jarvis Cocker - Further Complications

mardi 19 mai 2009, par marc

Jarvis and the bad seeds


On n’aborde jamais un album sans avoir au moins une idée sur ses géniteurs/trices. Dans le cas qui nous occupe, c’est le retour d’une vieille connaissance et on a d’office un petit viatique de sympathie pour le bonhomme. Car au cours de la carrière tortueuse et variée de Pulp, ce songwriter d’exception nous a quand même valu de nombreux bons moments. Si c’est par le His and Hers daté de 1994 que je les avais découverts, reprendre leur discographie à rebrousse-poil m’avait fait tomber sur de petites pépites. Puis ce furent la consécration (Different Class), la pop moins immédiate (This Is Hardcore), voire carrément abstraite (We Love Life). Tout ceci pour dire que pour moi c’est une longue et belle histoire musicale. Si vous aimez les comparaisons au lance-pierre, Jarvis Cocker serait une sorte de Morrissey nineties. Les groupes supporteraient moins la comparaison, ayant connu leur apogée dans des contextes musicaux radicalement différents, une certaine explosion indie pour l’un, une éphémère vague britpop pour l’autre. Bon, c’est avec tout ceci en tête que j’aborde le second album solo de Jarvis Cocker.

Les premiers morceaux déroutent clairement. Aussi étrangement que ça puisse paraître, le rock circulaire de Further Complications aurait aussi certainement bien convenu à Iggy Pop. Le résultat n’aurait pas été identique certainement, mais on ne s’attendait pas à la voir éructer de la sorte. Alors quoi, Jarvis se serait-il mis au garage ? On se le demande encore sur Angela. Il semble prendre un malin plaisir à poser sa voix sur ces chansons rêches qui évoquent aussi une version adoucie des délires de Nick Cave avec Grinderman (Pilchard), mais, qui plus est, en instrumental. Déroutant, surtout sur un album d’un songwriter pur et dur. Comme figure tutélaire, on aurait mieux imaginé, disons, Scott Walker que le crooner crépusculaire des antipodes. Sans doute la production due à Steve Albini est-elle en partie responsable du résultat.

Cette impression un peu brute de décoffrage (tout est relatif évidemment, il n’en devient pas Jack White pour autant) se retrouvera plus tard sur Fuckingsong ou Caucasian Blues. Non moins intrigants sont les chœurs qui renvoient aux Australiens susmentionnés sur un Leftovers qui a le ton neutre qui prédominait sur We Love Life.

Mais ces titres d’introduction ne doivent pas vous induire en erreur. Il y a un slow superbe (I Never Said I Was Deep) dans la grande tradition de ses décalages entre des paroles aussi directes que celles d’un Little Girl With Blue Eyes et un ton classieux qui sied à la sensualité de son chant. C’est pour moi le morceau qui m’a servi de porte d’entrée, celui que j’avais envie d’écouter et les autres sont venus naturellement. J’aime ce mélange de faux cynisme et de musique un peu sirupeuse comme plaisir coupable occasionnel. La classe du songwriting (tout est relatif quand on entend un I’m not looking for a relationship/Just a willing receptacle) sert de prétexte en béton de toute façon.

Etrange progression de cet album qui termine dans le funk fade (You’re In My Eyes). Intrinsèquement, c’est un peu sans intérêt, mais dans le contexte d’un album qui a balayé le garage sixties et les réminiscences brutes, c’est assez réussi comme contrepoint. Et puis, Cocker est sans doute le meilleur pour murmurer.

Cet album ne s’adresse pas en priorité aux fans de Pulp. Et malgré mon attachement au groupe de Sheffield, c’est très bien ainsi. Car le spectre musical est différent, de même que sa façon de chanter. Ce que je craignais de la part d’un album solo d’un auteur aussi fin, c’est une collection de bonnes chansons dans des atours passe-partout et entendus. Mais ce n’est aucunement le cas. En se risquant à un son plus brut, et rêche, il garde le cap tout l’album durant, même si le haut fait est dans un style plus conventionnel.

    Article Ecrit par marc

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9 Messages

  • Jarvis Cocker - Further Complications 20 mai 2009 16:10, par Mmarsupilami

    C’est marrant que les albums solo des ex-leaders de Pulp (le Jarvis ci-dessus) et de Blur (Graham Coxon) sortent à une semaine d’intervalle.

    Tous deux ont entrepris une carrière de singer songwriter qui leur sied plutôt bien.

    Dans son nouvel opus, son (déjà !) septième en solo, "The Spinning Top", Graham Coxon opère un virage probablement temporaire -et plutôt fréquent, à un moment ou l’autre dans l’évolution des songwriters- vers l’acoustique. Cela déçoit un peu. Il faut dire que Graham Coxon avait placé la barre extrêmement haut avec ses deux albums précédents et plus particulièrement le dernier, "Love Travels at Illegal Speeds" (2006), une perle d’équilibre et de variété. Ce nouvel album est attachant avec de très belles chansons qu’il faut apprivoiser par plusieurs écoutes.

    Jarvis Cocker, comme le souligne Marc, part dans une direction opposée, diversifie sa palette sous la houlette de Steve Albini. La variété et l’abattage me font par moment penser à Steve Wynn (pas le son, pas la voix, la construction !) qui est tout de même une référence en matière de singer songwriter. Mais, qui aime bien châtie bien : cet album est riche mais parfois un peu trop. Se prendre par moment pour Barry White (orchestration et voix ?) dans le morceau de clôture, "You’re In My Eyes (Discosong)" semble tout de même assez dispensable. Surtout pendant huit minutes.

    Ceci dit, dernièrement, au rayon Singer Songwriter, il faut noter également l’inoxydable Robyn Hitchcock qui, accompagné de The Venus 3, a sorti en février son quinzième album, "Goodnight Oslo". Il connaît toutes les ficelles et ça ressemble de plus en plus à du Tom Petty (oh, le compliment !).

    Bref, avec ces trois-là, voilà qui fait un joli tiercé gagnant, tous plus près des quatre étoiles que des trois...

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  • Jarvis Cocker - Further Complications 21 mai 2009 10:09, par Laurent

    Je termine à l’instant ma seconde écoute et je dois bien admettre ma déception. Si les paroles de ce grand ami de Shirley Bassey et Michel Berger (je vous laisse réfléchir : vous allez voir, c’est consternant) restent souvent d’une classe folle (I fall upon your neck just like a vampire / Yeah, a vampire who faints at the sight of blood), l’emballage (et je ne parle pas de la formidable pochette) est par moments franchement bourrin. Dans l’expectative, je m’étais replongé dans son premier opus solo : élégance, swing, vrai sens du tempo tant dans l’équilibre collectif de l’album que dans l’harmonie individuelle des morceaux. Ici, les titres vraiment aboutis ne se bousculent pas au portillon. M’en vais me refaire "This Is Hardcore", ça va me détendre, tiens !

    Sinon, pour renchérir dans les bons plans songwriters, je trouve le dernier King Creosote très très bon, il est au sommet de son art au même titre que Piers Faccini, dont le troisième album est proprement lumineux. Ajoutons que je réécoute du "rock belge" grâce à The Bony King of Nowhere et qu’au rayon francophone, il est grand temps de consacrer Babx.

    Ah oui : on parlait de coïncidences... Tu citais Iggy Pop comme quelqu’un à qui siérait davantage le son de "Further Complications". Ben justement, le nouveau Iggy sort simultanément et il y croone en Cohen fatigué (c’est dire), reprenant même Les Feuilles Mortes. Est-ce qu’un esprit mal intentionné aurait interverti les chansons et les producteurs respectifs des albums d’Iggy et Jarvis ? S’ils pouvaient procéder à l’échange, l’un comme l’autre seraient vraisemblablement meilleurs...

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    • Jarvis Cocker - Further Complications 21 mai 2009 13:09, par Mmarsupilami

      Je renchéris sur le renchérissement de Laurent : le dernier King Creosote, Flick the Vs, est vivement et ardemment conseillable et conseillé.

      C’est tellement atypique et éloigné des chanteurs précités dans cette chronique que je n’avais même pas pensé à l’évoquer. Mais, certes, bien entendu, Laurent a raison, King Creosote est un... singer songwriter. Il boxe simplement dans une autre catégorie et il est bel et bien au sommet de son art !

      Une fois emporté par le premier superbe morceau de 7 minutes 30, No One Had It Better, on n’a plus d’autre solution que de se laisser aller. Résister serait vain. Bonheur...

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      • Jarvis Cocker - Further Complications 21 mai 2009 17:28, par Mmarsupilami

        Aussi dans les récentes bonnes sorties de Songwriters, il y a le fascinant Heavy Ghost de DM Stith sur Asmathic Kitty. Crépusculaire et fantomatique...

        Pity Dance un morceau très représentatif est gratuit sur le site du label.

        Je m’en vais écouter de ce pas le Piers Faccini trouvé sur E-music (Jarvis Cocker et DM Stith y sont aussi) . Merci du conseil !

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  • Jarvis Cocker - Further Complications 22 mai 2009 19:39, par Laurent

    Je n’ai pas (ré-ré-)évoqué DM Stith pour la seule raison qu’il est hors catégorie, hors normes, hors espace-temps, hors tout. Je ne le classe même pas parmi les singers-songwriters... dans ma tête, quand j’entends "songwriter" je visualise toujours quelqu’un avec une guitare ou un piano. DM Stith, lui, il joue avec des instruments invisibles, entouré par des spectres qui détiennent le secret de la beauté des dieux et le lui soufflent à l’oreille. C’était lundi à l’AB et c’était... c’était...

    Bref, inutile de préciser que j’appuie intensément la recommandation, vu que son disque est un des 5 essentiels que nous a proposés cette première (presque) moitié de 2009.

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    • Jarvis Cocker - Further Complications 23 mai 2009 10:21, par Marc

      Tout d’abord, un grand merci pour les commentaires. C’est encore une fois copieux et consistant, et me fait voir les trous béants dans ma culture musicale. Car si Robyn Hitchcock ne m’est pas du tout familier, je n’avais tout simplement jamais entendu parler de King Creosote.

      Plutôt que vous donner mes impressions sur ma première écoute de DM Stith, j’attendrai un article en bonne et due forme. C’était visiblement un album ’obligatoire’ de ce début d’année. Et plutôt que d’attendre la fin de l’année (comme pour Bon Iver l’an passé), j’ai décidé d’anticiper pour ce rattrapage qui ne pouvait que me plaire. Piers Faccini est aussi dans le pipe.

      Et avant d’entamer la période des festivals, je compte faire un premier bilan, sachant que tous les ans ce qui sort les premiers mois de l’année se voit souvent oublié.

      A bientôt dites...

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      • Jarvis Cocker - Further Complications 23 mai 2009 16:34, par Mmarsupilami

        La discographie de King Creosote est un tel fouillis de productions intensives sur son label Fence et de répercussions un peu mieux diffusées par Domino (je crois que seul Stanley Brinks -Herman Dune a une discographie du même accabit), outre le nouveau, Flick the VS, à nouveau très bon, je soulignerais deux pistes majeures : Rocket D.I.Y. (2005) et Bombshell (2007)...

        Rocket D.I.Y. conserve une aura particulière. Le plan de la perle inconnue, on s’en sert un peu souvent. Mais, là, honnêtement, je réécoute le morceau "Circle my Demise", une voix qui chevrotte, un harmonium, une touche de banjo à la fin et c’est beau à pleurer. La très belle (non) description de Laurent pour DM Stith pourrait être d’application pour certains morceaux de Rocket D.I.Y...

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