Accueil > Critiques > 2011

David Bartholomé - Cosmic Woo Woo

vendredi 14 octobre 2011, par Laurent

One-man-man


On pourrait, à la limite, débattre un peu vainement de cet appétit artistique qui pousse certains frontmen à se lancer dans un projet solo, dès lors qu’ils incarnent à eux seuls l’identité, l’âme même parfois, de leurs groupes respectifs. Cela reste, bien sûr, un moyen privilégié d’exprimer certaines choses étouffées lorsque le groupe en question s’envisage comme une relative démocratie (on renverra ici au cas Thom Yorke), tout comme l’émancipation peut n’être que l’étape logique d’une évolution esthétique, pour le meilleur et pour le pire (Peter Gabriel vs. Phil Collins, pièce à conviction #1).

Oui, mais on est d’autant plus intrigué par ce que cachent les intentions du leader de Sharko, originellement un one-man-band peu à peu mué en trio. De deux choses l’une : soit l’Ardennais n’a pas voulu poser le label de son groupe sur la récréation qu’il s’offrait en solitaire cependant que ses camarades vaquaient à d’autres plans ; soit il a rassemblé ici des compositions trop intimistes pour être partagées en collectif. Et il est vrai que “Cosmic Woo Woo” explore une veine sensible qui s’était déjà exprimée avec bonheur dans le passé, mais jamais avec une telle cohérence.

Les onze compositions proposées sont autant de bluettes d’une délectable suavité, dominées par un son rétro chaleureux – et l’on ne parle pas ici d’un énième revival sixties, mais bien des gramophones de l’entre-deux-guerres. Partout des trouvailles d’arrangements, géniales derrière leur air de ne pas y toucher, maintiennent ou relancent l’intérêt – ce qui ne fait en rien de cet album un gadget. Ce qu’on a toujours adoré chez David Bartholomé, c’est la facilité avec laquelle il pond des mélodies universelles, et l’application qu’il met joyeusement à les démolir.

Sur “Cosmic Woo Woo”, on emprunte comme à chaque fois des chemins quelque peu tordus, de même qu’on ne saurait prêter des intentions radiophoniques à l’organe si particulier du chanteur, plus touchant de fragilité que jamais. Mais il semble que David Bartholomé, libéré d’un joug imaginaire, ose enfin assumer l’écriture de chansons tout simplement belles. Si Jamaica et Sing restent suffisamment lo-fi pour ne pas éveiller les soupçons d’une fanbase exigeante, Never est pour sa part un moment de douceur d’une absolue pureté, une tranche de poésie qui ne se cache derrière aucune étrangeté. Rarement auparavant l’homme de Sharko aura été aussi près de nous arracher des larmes.

Bien sûr, il relève le tempo de temps à autre, toujours dans un esprit bon enfant (Moon, In the Middle of). Ce qui frappe surtout, c’est que dans sa balade solo, Bartholomé a préféré rester très entouré. En duo sur Snow, l’extravagant Hawksley Workman apparaît soudainement comme une évidence. Sur Speak Out, Fanny Beriaux démontre qu’il ne faut pas s’appeler Norah Jones pour posséder un timbre jazzy et sensuel. Et pour s’avouer un peu plus qu’il a peur de la solitude, David Bartholomé achève régulièrement ses chansons dans une chorale foutraque, comme sur l’excellent We Spent.

Et si au fond “Cosmic Woo Woo”, disque de groupe sans groupe, était tout bonnement le meilleur album de Sharko sans Sharko ?


Répondre à cet article

2 Messages

  • David Bartholomé - Cosmic Woo Woo 16 octobre 2011 22:35, par Mmarsupilami

    J’aime ce garçon et ce qu’il représente pour notre chanson locale. J’ai d’ailleurs longtemps cru que Sharko était son nom à lui tout seul. J’ai même réussi, il y a dix ans, à le faire aimer et écouter par des Australien, Canadien et Américain. Comme avec les gens qu’on aime un peu trop, il y a toujours une appréhension peu raisonnable devant un nouveau travail. Connaissant préalablement ton avis, le stress baisse !!!
     :-)

    repondre message

  • David Bartholomé - Cosmic Woo Woo 26 novembre 2011 11:56, par Ph

    Je ne connaissais Sharko que de nom.
    J’ai découvert David Batholomé à travers la vidéo assez démente de WAF.
    Je pense pouvoir dire que je préfère le son de Sharko mais j’aime beaucoup le titre Sing de Cosmic Woo Woo, entre autres (quand même).

    repondre message

  • Chaton Laveur - Etat Sauvage

    Parfois il faut de la flexibilité mentale pour réconcilier des concepts. D’un côté on a un nom vraiment amusant mais improbable et une goutte d’eau qui poursuit un promeneur. De l’autre une musique qui revendique à juste titre une étiquette kraut-pop.
    Julie Odeurs et Pierre Lechien profitent donc de cette base solide qui permet la fantaisie par ailleurs. Laquelle peut s’exprime à travers des (...)

  • Billions of Comrades - Trotop

    Une certaine distance vis-à-vis des artistes qui sont critiqués ici rend incongrue la proximité géographique. 1480 est un morceau ici mais aussi un code postal. Y a-t-il une école wallonne de la turbulence ? Si on se réfère à La Jungle et ceci, ce n’est pas impossible. Est-ce une coïncidence s’ils font tous deux partie du catalogue Rockerill ? Nous ne le pensons pas.
    Mais cet album produit par Gil (...)

  • Danube - Cities

    Plusieurs morceaux étaient disponibles et ont attisé l’attente qui n’a pas été déçue par ce premier album de Danube dont les noms de morceaux sont des capitales européennes. Oui, un peu comme dans La Casa de Papel. Ce qui n’est pas clair par contre c’est qui se cache derrière ce projet. C’est secondaire évidemment, la musique primant tout.
    Quoi de plus compliqué à définir qu’un son ? C’est un challenge (...)

  • Factheory – Serenity In Chaos

    On avait déjà évoqué les musiques cold comme étant le pendant musical du cinéma de genre. Le groupe belge revendique d’ailleurs un statut d’artisans et d’amateurs dans l’acception de ceux qui aiment. Et on ne pourrait être plus exact. Mais n’allez pas en conclure que le résultat fleure l’amateurisme, ce n’est vraiment pas le cas parce qu’après une poignée d’EPs dont un qui avait capté notre attention, (...)