Accueil > Critiques > 2010

Yeasayer - Odd Blood

mardi 16 février 2010, par marc

Cultivons la singularité


Quand un groupe assez inclassable évolue vers un style un peu différent mais tout aussi inclassable, il ne faut pas s’étonner si l’auditeur est un peu déconcerté. C’est un peu ce qui se passe à l’écoute du second album de Yeasayer. Comme souvent, je me suis empressé de réécouter ce premier album, qui faisait la part belle aux arrangements des voix, enregistré très vite et longuement retravaillé. Et on peut dire qu’avec un peu de recul, All Hours Cymbals a bien vieilli.

On retrouve quand même pas mal d’éléments de ce premier opus. D’autres ont un peu cédé le pas, comme le folk hippie, dont il ne reste plus de traces que sur un Grizelda. Contrairement à leurs coreligionnaires d’obédience folk, ils appuient tout par une rythmique plus présente et un son plus compact. Cet Odd Blood commence par une pop synthétique avec des voix noyées. Noyées d’effet ? Non, elles semblent venir d’en-dessous de l’eau. Le morceau The Children n’est donc pas passionnant en lui-même, mais annonce le ton. Qui sera très vite appliqué dans des exemples bien plus réussis. Lesquels approfondissent une des veines du premier album, et nous avait déjà donné l’excellent 2080.

Le single Ambling Alp avait montré à quel point ils avaient étoffé leur son. On le retrouve avec autant de plaisir ici. C‘est catchy (basse impeccable), original, foisonnant (les discrets ajouts sonores synthétiques, les chœurs tripatouillés) sans être écœurant. Et un morceau comme Madder Red pousse encore plus loin cette voie, en plus lourd et moins sautillant, certes, mais avec la même assurance. C’est dans ce type de morceaux qu’on se rend compte de leur singularité, de leur capacité à sonner familier d’emblée sans ressembler vraiment à rien de précis.

Pourtant, on peut se risquer à quelques rapprochements. Par exemple, ONE est de ces morceaux comme pourraient en faire Hot Chip s’ils décidaient de prendre des vitamines. Et si je suis moins inconditionnel de leur pop sur Love Me Girl, je me suis souvenu d’Of Montreal. Plus intéressante, la fièvre de Mondegreen semble en mesure de tailler des croupières à Tv On The Radio. Enfin, certaines intros m’ont fait penser aux instrumentaux de Bowie période berlinoise. L’aspect solaire en sus.

J’ai au final beaucoup écouté cet album mais je ne suis toujours pas parvenu à le définir. Ce n’est pas mon but dans la musique en général, mais je dois bien dire que d’un creuset original (la matrice de départ), ils sont arrivés à sortir un album moins disparate que le premier, plus régulier et mélangeant toujours spatial et solaire. Déroutant parce qu’assez inclassable, ou alors à la croisée de tellement de choses. Finalement, on peut dire qu’ils ont trouvé ce que tant de formations recherchent : un style et une personnalité propre.

    Article Ecrit par marc

Répondre à cet article

5 Messages

  • Yeasayer - Odd Blood 17 février 2010 08:29, par Laurent

    Personnellement, j’entends beaucoup dans cet album - en particulier dans sa seconde moitié - l’influence consciente ou non des garçons coiffeurs eighties tels que Duran Duran, Human League ou encore Tears For Fears. Ça pourrait faire fuir mais je trouve le résultat, au final, plutôt attachant.

    repondre message

    • Yeasayer - Odd Blood 17 février 2010 10:24, par Marc

      Cet aspect m’avait un peu échappé comme j’étais plus braqué sur leur premier album et sur la scène indie actuelle. Mais c’est vrai que ces références sont pertinentes quand on le réécoute avec cette idée en tête.

      repondre message

    • Yeasayer - Odd Blood 16 avril 2010 13:23, par mmarsupilami

      C’est marrant, comme Marc, à l’occasion de ma chronique très tardive, me fait remarquer qu’il y avait une chronique ici aussi, je viens la (re)lire et la référence de Laurent à Duran Duran et aux garçons coiffeurs me fait rire puisque je termine juste une comparaison moins flatteuse et plus vacharde avec Nick Kershaw et a-ah...
       :-DD

      repondre message

  • Yeasayer - Odd Blood 25 décembre 2010 07:42, par Robja

    Ce groupe incarne -à mon avis- la musique du XXIème siècle. Il m’a fallu plusieurs écoutes, plusieurs allers et retours pour cet album (idem pour le premier. Je trouve d’ailleurs que 2080 est vraiment interstellaire). C’est une musique, il me semble, qui nécessite une sorte de rite initiatique afin de pouvoir y accèder. Cela n’a rien d’ésotérique mais quelque chose fait qu’il y a d’abord une sorte de barrière à réperer puis à pouvoir bousculer. C’est l’impression que ça m’a fait en tout cas. Sinon, il y a un groupe qui leur ressemble un peu, c’est Fool’s Gold.

    repondre message

    • Yeasayer - Odd Blood 26 décembre 2010 16:28, par Marc

      Cet album de Yeasayer comporte en effet pas mal de niveaux de lecture. Si on le place dans la prolongation du premier, on constate surtout un son plus franc, un certain abandon de références weird folk. Mais on peut aussi l’aborder par l’autre versant, et constater des références eighties. Je ne sais pas si cette musique réclame une initiation, mais c’est certain que sans avoir jamais écouté aucun groupe tordu actuel (d’Animal Collective à Deerhunter), on risque d’entendre quelque chose de très différent.

      repondre message

  • HEALTH - RAT WARS

    Même après des années passées à autre chose (des musiques de film, des versions disco), la puissance de feu d’HEALTH a laissé une trace manifeste. Mais il a fallu un rabatteur de qualité pour qu’on ne passe pas à côté de cet album. Le souvenir bien qu’ancien était toujours cuisant et on retrouve le trio avec un plaisir certain.
    Ils ont collaboré avec Nine Inch Nails ou Xiu Xiu et ces cousinages semblent (...)

  • Beirut – Hadsel

    Bien honnêtement, quand on a découvert Beirut en 2006, on ne se doutait pas qu’on allait suivre le jeune Zach Condon pendant plus de 17 ans. Cette musique fortement influencée par les fanfares balkaniques a suscité d’emblée l’intérêt mais le procédé semblait trop étriqué pour s’inscrire dans la longueur. On avait tort, forcément, et ceci en est un nouveau rappel.
    En première écoute, ce Hadsel est plutôt en (...)

  • Animal Collective – Isn’t It Now ?

    A une époque où la modernité n’est plus une vertu cardinale, il peut être étonnant de retrouver cette conjonction de talents (Avey Tare, Panda Bear, Deakin et Geologist) aussi en forme après près d’un quart de siècle d’existence. Avec Time Skiffs, on pouvait clairement parler d’une nouvelle période pour le groupe, un revirement vers plus de musique ‘figurative’ par opposition aux brillants collages (...)

  • Caleb Nichols - Let’s Look Back

    L’artiste qui aura fait le plus parler de lui en 16 mois est un prix qui ne rapporte rien sinon des critiques multiples et sans doute un peu de confusion de la part d’un lectorat débordé. Bref, après avoir pris congé de Soft People, l’actif Caleb nous a donné un album un opéra rock Beatles queer puis deux EP qui mélangeaient chansons et poèmes autour du personnage semi-autobiographique de Chantal. Sa (...)