Accueil > Critiques > 2015

Sufjan Stevens - Carrie & Lowell

mardi 7 avril 2015, par Marc


Quitte à paraitre un peu décalé, je n’attendais pas grand’chose de cet album de Sufjan Stevens. Non qu’on puisse le moins du monde remettre en question son talent. Mais depuis qu’on s’est rendu compte que son tour des états des USA allait tourner court, il s’est entiché d’une bretelle d’autoroute, a sorti plein d’albums de Noël et laissé libre cours à ses penchants électro-acoustiques pompiers. Je dois avouer qu’un insondable découragement m’avait poussé à passer mon tour sur The Age of ADZ.

Pourtant cette dispersion n’avait pas découragé un impressionnant contingent de fans hardcore. Alors imaginez maintenant qu’il nous livre un vrai beau grand album…

C’est d’un deuil qu’est né ce Carrie & Lowell. La première nommée est la mère de Sufjan, qui avait quitté le foyer assez tôt et que Sufjan n’a revu plus tard et pour un temps pour des vacances à Eugene, Oregon, où elle s’était installée avec son nouveau mari. Qui s’appelle Lowell, a plus tard été séparé d’elle et est devenu le directeur d’Asthmatic Kitty, le label de Stevens (vous suivez ?). C’est ce couple qui figure sur la pochette qui restera sans doute comme une des plus moches de 2015. Le décès en 2012 de Carrie a donc ravivé des souvenirs, des regrets et beaucoup de réflexions. Lesquelles ont alimenté les chansons de cet album.

Pour traiter de ces thèmes éminemment humains, il est logiquement revenu à une forme plus simple. Non dénuées de complexité parfois, elles se contentent en effet d’une guitare (très beaux arpèges), d’un peu de piano. Certes, ce n’est qu’une des facettes de son talent, mais c’est aussi la plus manifeste. On avait un peu oublié à quel point sa voix peut se faire intime. C’est sans doute cette propension à jeter des ponts entre les âmes qui plait tant et avait tant manqué quand il est parti dans un vaisseau spatial.

Cette épreuve de la vie est aussi le terreau d’immortelles (sic) chansons comme Nantes. Le pathos n’est pas vraiment manifeste dans l’expression de Sufjan Stevens mais un coup d’œil aux paroles est sans équivoque, c’est un album sombre, marqué par l’absence, les évocations de lieu (Eugene), l’abandon (Drawn To The Blood), le tout avec moultes références bibliques. Ce qui constitue un franc contrepoint à des chansons à l’apparence jolie (magnifique douceur d’I Should Have Known Better). Ténèbres du propos, luminosité de la forme, c’est le contraste qui frappe sur ce Carrie & Lowell.

Il plane l’ombre d’Elliott Smith sur All Of Me Wants All Of You, grand morceau hanté qui nous rappelle que son ami DM Stith doit revenir bientôt. On ne peut qu’y admirer sa propension à prendre de la hauteur, à se sublimer (dans l’acception physique du changement d’état) lors d’un revirement de milieu de morceau.

Un album de Sufjan Stevens qui coule de source, qui n’impose à l’auditeur que de se laisser aller à la beauté tranquille de la musique, j’avoue que c’est presqu’inespéré. Et d’autant plus précieux. Gageons que cet album intemporel qui restera sans doute comme son classique ravivera s’il était besoin la dévotion dont il fait l’objet et refera l’unanimité.

    Article Ecrit par Marc

Répondre à cet article

  • Dan San - Grand Salon

    On ne va pas se mentir, il faut une petite adaptation à l’entame de ce nouvel album de Dan San. Eux qu’on avait vu évoluer d’un folk ample à un folk puissant avant d’incorporer des éléments plus psychédéliques. La trajectoire vers toujours plus de légèreté ne sera pas infléchie par ce troisième album.
    Les voix ne sont plus aussi typées, même si elles poussent encore parfois à l’unisson. On pense même (...)

  • Feist - Multitudes

    On n’a qu’une chance de faire une première bonne impression. C’est via un album soyeux qu’on écoute encore beaucoup 20 ans après qu’on a fait connaissance du talent tellement attachant de Leslie Feist et on n’a jamais décroché parce qu’elle ne nous a jamais déçus non plus.
    On n’a qu’une chance de faire une première bonne impression. Et c’est avec le délicieusement psychédélique In Lightning qu’elle revient (...)

  • boygenius – The Record

    Sororité est sans doute le premier mot qui vient en tête à l’évocation de boygenius. Depuis ce live de KEXP où elles sont accueillies par Sheryl Waters, on a fondu pour cet incroyable trio. A priori, leur seul EP de 2018 n’appelait pas de suite mais comme c’est visiblement l’envie seule qui les guide ici, elles ont voulu prolonger l’expérience. Il faut dire que la démarche n’était pas celle d’un (...)

  • Maita - Loneliness

    C’est sans doute une étrange idée d’aborder une discographie inconnue par une relecture acoustique d’un album qu’on n’avait pas écouté mais toute occasion est bonne de découvrir du talent. Donc après avoir sorti I Just Want To Be Wild For You, Maita (Maria Maita-Keppeler en vrai) a voulu tout de suite faire émerger des versions acoustiques, plus proches des compositions originales. Les morceaux (...)

  • DM Stith – Fata Morgana

    Difficile de revenir après plusieurs années d’absence, surtout si on était associé à un courant qui s’est un peu éteint. C’est en effet dans la vague freak-folk, mêlant écriture et musique aérienne et organique à la fois qu’on avait placé DM Stith. Avec son pote Sufjan Stevens ou autres Grizzly Bear, il était même un des plus éminents représentants de ce style qui nous a valu bien du plaisir.
    Toujours aussi (...)

  • The National - First Two Pages of Frankenstein

    The National est sans doute le groupe qui nécessite le moins d’introduction. Parce que si on considère les critères du succès et de la pertinence artistique actuelle, c’est sans doute le plus grand groupe de rock du monde. Si on ajoute qu’Aaron Dessner s’est hissé sur le toit du monde des producteurs, que son frère jumeau Bryce réussit quelques belles musiques de film et que des projets comme LNZNDRF (...)

  • Xiu Xiu - Ignore Grief

    Si on a depuis toujours associé Xiu Xiu à la personnalité hors-normes de Jamie Stewart, on sait que la place d’Angela Seo est centrale. Le caractère de duo est maintenant encore mieux établi, la parité étant assurée au chant. Mais n’attendez pas de changement de cap, la flippante musique de Xiu Xiu garde tout son mystère.
    Cet Ignore Grief n’a pas la flamboyance electro de certains essais antérieurs. Il (...)

  • Nicholas Merz - American Classic

    Il faut parfois le recul de plusieurs albums pour qu’on voie vraiment la personnalité d’un artiste émerger. Après un album de Darto et un troisième exercice solo, on peut commencer à cerner Nicholas Merz. On avait tout de suite remarqué sa belle voix grave et elle est logiquement toujours là.
    On commence bien avec The Dixon Deal et ce montage en étranges couches dont certaines sont volontairement (...)