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Nick Cave and The Bad Seeds – Wild God

vendredi 6 septembre 2024, par marc


La nature a horreur du vide, l’industrie musicale encore plus. C’est donc une volonté de la maison de disques de propulser le crooner crépusculaire australien au sommet, déserté par des gens comme Leonard Cohen ou David Bowie pour d’évidentes raisons de décès. Et il semble que ça marche, cette sortie est précédée d’un abondant tam-tam. Pour le reste, c’est aussi la connivence qui va jouer. Partant du principe qu’il s’adresse à un public déjà client, il est assez vite en territoire conquis. Et même pour ceux dont les centres d’intérêt ne tournent pas autour de la foi ou des fantômes (c’est notre cas). N’oublions pas qu’il fait aussi des céramiques plutôt atroces (attention les yeux si vous googlez ça...)

L’argument de cette sortie était un album de joie retrouvée (Joy n’apporte pourtant pas l’euphorie promise). C’est vrai qu’il marque un virage après deux albums marqués par le deuil de son fils. La mort n’est évidemment pas absente puisque O Wow O Wow (How Wonderful She Was) est consacrée à la formidable et regrettée Anita Lane, ancienne collaboratrice et dont le Dirty Pearl reste un sommet absolu (et ce morceau...). Et bon, entendre sa voix, même parlant, c’est toujours touchant.

Dans le détail, cet album a un début étrange. Song of the Lake semble nous catapulter en milieu de morceau et d’album. Mais on retrouve d’emblée un style familier, qui a abandonné il y a belle lurette les enchainements couplet/refrain. Il y a aussi le syndrome Miossec, avec des phrases qui semblent deux syllabes plus longues que les phrases musicales qui les contiennent. Il y a aussi beaucoup de cordes, notamment sur la plage titulaire qui prend des allures presque dream-pop.

Evidemment il y a beaucoup de chœurs, c’est au cœur-même du style et c’est un enrobage surprenant. Plus étonnants encore sont ces incursions de vocoder, légères certes mais qui apparaissent comme un marqueur temporel pas vraiment nécessaire. Là où un Bon Iver en fait un style, ici c’est un accessoire, certes pas bien gênant. As The Waters Cover The Sea est un morceau largement gospel, ce qui est raccord avec le reste, qui tente par tous les moyens de susciter l’émotion.

Pourtant, cette émotion, la forte, la vraie, n’est jamais venue sur cet album. Ce qui ne signifie nullement qu’on se soit ennuyé une seconde mais cet album semble plutôt assurer sa place de prêcheur en chef qu’en artiste au sommet de sa créativité. Même s’il a produit quelques-uns de nos albums préférés des années ‘90 et si le personnage reste central sur la scène musicale actuelle, il y a trop de distance entre lui et nous pour qu’on chavire complétement à chaque parution. Mais on lui est très reconnaissants de sortir ce Wild God de bonne facture, avec une intensité même si elle repose sur des concepts qui ne sont pas les nôtres. Il est probable qu’on oublie vite cet album cependant, au contraire de son auteur.

    Article Ecrit par marc

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2 Messages

  • Nick Cave and The Bad Seeds – Wild God 6 septembre 14:12, par Laurent

    C’est marrant, j’ai adoré chaque écoute de cet album (on doit tourner autour de 10)... vraiment adoré... et pourtant... je suis globalement d’accord avec toi. Je trouve que tu continues à pondre des articles d’une grande pertinence, sans te départir ici d’une certaine légèreté qui ne gâche rien. :-) Le début d’album abrupt, le phrasé à la Miossec (j’ai ri), c’est très bien vu. Alors ces moments de plaisir (y’a une ref’), j’en fais quoi ?

    Le truc, c’est que quand Nick Cave sortait ses albums majeurs, fin du 20e siècle, j’avais pas encore vraiment pris le train. C’était entendu de loin, écouté plus attentivement des années après. Mais depuis vingt ans, je reçois chacune de ses sorties avec les Bad Seeds comme un chef-d’œuvre... alors que sur la durée, une fois sur deux c’est en fin de compte inégal.

    Mais c’est parce que les highlights sur "Dig Lazarus Dig !", sur "Push the Sky Away" ou sur "Ghosteen" par exemple, sont tellement incroyables. C’est plus rarement le cas sur la totalité des disques (avec des exceptions comme le magnifique "Skeleton Tree" ou éventuellement "Lyre of Orpheus"). Mais ici, en effet, il y a fort à parier que certains titres vont moins me rester quand bien même pour l’instant, j’ai devant moi un CD que je compte déjà parmi mes préférés de 2024. Encore une fois, sacrés highlights.

    Là où on diverge certainement, c’est que j’ai eu plus que ma dose d’émotion sur ces quelques titres. La plage titulaire ou Conversion, pour ne citer que celles-là, me mettent systématiquement la chair de poule. Je peux entendre qu’on y décèle une formule, mais c’est pour l’intensité de ces "Bring your spirit down" ou "Touched by the flame" chantés avec une dévotion effectivement toute religieuse (pas forcément ma tasse de thé non plus) que j’étais venu.

    La récompense fût-elle inégale, ces moments vont rester, ça je le sais. Dommage que tu sois resté à distance pour ta part. C’est peut-être ton bouclier anti-prosélytisme qui s’est déclenché et t’a empêché de laisser sa chance à l’émotion forte (je l’ai prise de plein fouet de mon côté). Au moins, tu fais fuir les témoins de Jéhovah et autres prédicateurs mormons, ce qui doit te faire des WE tranquilles en matière de porte-à-porte. :D

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    • Nick Cave and The Bad Seeds – Wild God 8 septembre 16:23, par marc

      Je dois avouer que c’est une critique compliquée à écrire. Il y a de la matière avant même d’avoir écouté l’album mais j’ai mis du temps à former un avis cohérent. On avait déjà souligné la difficulté de s’immerger dans des albums d’artistes qu’on aime depuis une éternité (genre Radiohead ou PJ Harvey).

      Il n’est pas impossible qu’il se hisse dans les meilleurs de l’année, il suffit d’une écoute pour ’débloquer’ ce ressenti qui me tient un peu éloigné pour le moment.

      Et oui, on ne m’a plus demandé mon avis sur Jésus depuis un temps...

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